Belgique-Bruxelles, le vrai défi
Bruxelles constitue le véritable poumon économique du pays.
Elle nécessite cependant une attention particulière si nous ne voulons pas perdre collectivement les bienfaits qui en résultent.
Yvan Huyghebaert et Emmanuel van Innis
Respectivement président de la Chambre de commerce de Bruxelles (CCIB) et président de l'Union des entreprises de Bruxelles (UEB)
Ces dernières semaines, le drapeau national se multiplie sur les façades... dans l'agglomération bruxelloise. C'est comme si l'habitant de Bruxelles sentait instinctivement que ces deux concepts sont étroitement liés et que la prospérité et l'existence de l'une ne vont pas sans l'autre. Bien sûr, ceci est largement exact, mais l'importance que revêt Bruxelles également pour la Flandre et la Wallonie est insuffisamment perçue par l'opinion publique et - nous le craignons - volontairement tue par beaucoup d'hommes politiques.
Belgique et Bruxelles sont indissociablement liés et Bruxelles constitue le principal moteur économique et de création d'emplois du pays. Il faut savoir que la Région de Bruxelles-Capitale génère à elle seule - sans sa périphérie - près de 20 pc du PIB belge, soit deux fois plus que ce que représente sa population; qu'elle procure un emploi à 680000 personnes dont près de 400000 habitants de Flandre ou de Wallonie qui paient néanmoins leurs impôts dans leur lieu de résidence et non pas là où ils travaillent !
Bruxelles - encore plus que la Belgique - constitue le seul "branding" connu internationalement.
Bruxelles est le seul vrai centre international de conférences, de congrès; elle est une ville multiculturelle avec une offre extraordinaire - par rapport à sa population - en matière culturelle et artistique. Au point de vue attractivité, elle se classe à la 5e place en Europe et à la 15e au niveau mondial. Les provinces du Brabant wallon et du Brabant flamand sont dans cet ordre-là les deux provinces les plus riches du royaume et cela ne s'explique que par la proximité de Bruxelles. En voilà un "transfert" dont personne ne parle...
Le bassin économique et social bruxellois dépasse, en effet, de loin les frontières institutionnelles et administratives de la Région Bruxelles-Capitale et comprend de larges pans des deux provinces du Brabant. Ceci est tellement vrai que nos amis flamands du VOKA-VEV (association des entreprises flamandes) nous ont proposé de nous associer à une vaste réflexion concernant l'avenir de cette région économique et sociale à laquelle l'Union wallonne des Entreprises s'est jointe.
Nous ne nions pas que des divergences puissent exister, mais nous avons le sentiment et la conviction que les entreprises - où qu'elles soient situées - désirent avant tout un cadre institutionnel stable et pacifié mais surtout des institutions efficaces qui évitent les conflits d'intérêts dus à une dispersion des pouvoirs et qui stimulent par leur transparence et leur simplicité administrative l'esprit d'entreprendre et la compétitivité. Or, force est de constater - que l'on soit unitariste, fédéraliste ou confédéraliste - que nos institutions ne fonctionnent pas à l'optimal et que ce sont précisément ces dysfonctionnements qui alimentent le rejet de notre cadre fédéral ou le découragement des mieux intentionnés.
Nous sommes donc résolument pour une "réforme globale de l'Etat" et de ces institutions sans a priori ni volonté de démanteler notre pays, mais pour respecter les règles essentielles de la subsidiarité (mettre les compétences là où leur gestion est la plus efficace), de l'homogénéité (éviter autant que faire se peut qu'une même compétence soit dispersée entre différents niveaux de pouvoir) et de la responsabilité (responsabilité parallèle entre dépenses et ressources).
Mais pour arriver à cette "réforme globale", nous ne croyons pas qu'elle puisse aboutir dans la précipitation et l'improvisation. Il faudrait la confier à un "groupe" représentatif de toutes les forces politiques du pays, en n'oubliant pas d'y associer ou de consulter les représentants du monde économique, social, culturel et universitaire. Il y aurait obligation de résultat dans un calendrier prédéfini.
Revenons à titre illustratif à Bruxelles, exemple même de cette dispersion de pouvoirs que nous dénonçons entre fédéral, Communauté, Région et communes. Car si comme énoncé plus haut, Bruxelles constitue le véritable poumon économique du pays et son principal atout international, il n'en est pas moins vrai que la Région de Bruxelles-Capitale nécessite une attention particulière si nous ne voulons pas perdre collectivement les bienfaits qui en résultent.
Il est urgent que le pouvoir régional soit doté de compétences exclusives ou normatives en matière d'infrastructure, d'aménagement du territoire, de fiscalité régionale envers les entreprises et pourquoi pas d'enseignement, de formation professionnelle et de remise au travail des chômeurs.
Par ailleurs, il convient de prévoir une coopération interrégionale renforcée, car la Région de Bruxelles-Capitale ne peut se gérer sans connaître les autres Régions dans des domaines, telles la mobilité, l'accessibilité ou les grandes infrastructures situées hors son territoire. Songeons au RER, au Ring, aux voies de pénétration, aux parkings de dissuasion, etc.
Une même obligation de coopération qui, heureusement, commence à s'instaurer doit exister en matière d'emploi. Il faut encourager, rendre possible et ensuite rendre obligatoire la mobilité professionnelle vers la périphérie. Tout comme il faudrait rendre obligatoire la formation professionnelle et l'apprentissage de nos langues nationales. Enfin, il faut que la Région de Bruxelles soit dotée des moyens financiers adéquats et transparents à l'usage exclusif de son rôle de capitale fédérale et internationale.
Que l'on ne se fasse pas d'illusions, il n'est bon pour personne que la situation actuelle perdure. Nous risquons de perdre notre crédibilité et notre attractivité. Déjà, nous connaissons des entreprises étrangères qui hésitent à venir s'installer chez nous devant la crainte d'instabilité institutionnelle. Heureusement qu'il y a l'euro sans lequel notre devise nationale aurait été mise sous pression.
Pouvons-nous simplement avoir l'aplomb de demander à qui profiterait le séparatisme ? Qui en serait plus prospère ? Quelles en seraient les conséquences et les conditions ? Comment s'y prendra-t-on pour le réaliser ? Quel en sera l'impact au niveau européen et international, où on verra de toute façon cette évolution d'un très mauvais oeil ? Y a-t-il une étude sérieuse sur ce scénario avec toute garantie pour notre niveau de vie et la compétitivité de nos entreprises ?
Est-on devenu fou ? Il y a 4 mois, "Le Soir" et le "Standaard" publiaient un sondage commun d'où il apparaissait que 98 pc des francophones et 92 pc des Flamands s'opposaient au séparatisme ! Quatre mois après, on tente de nous faire croire que près de la moitié des habitants seraient devenus séparatistes ou seraient prêts à y croire. Intox ou émotion ?
Et Bruxelles dans tout ça ? Bien sûr, à très court terme, l'Europe, l'Otan, les entreprises ne la quitteront pas et dans un premier temps, Bruxelles indépendante deviendra peut-être richissime puisque toute personne y travaillant y paiera ses impôts.
"Petits détails" toutefois : que deviendront les administrations fédérales ? Quant aux flamandes, elles partiront sans doute à la vitesse de l'éclair.
Mais à moyen terme ? Ne voit-on pas avec quelle convoitise d'autres pays et villes se profileront pour y voir transférer nombre d'institutions européennes et internationales ? Que fera Bruxelles de ses chômeurs et de tous ces groupes précaires qui y habitent ? Croyons-nous vraiment que nous resterons attractifs pour les groupes internationaux ?
Espérons, en conclusion, que cette crise nous procure un sursaut de réalisme et de réflexion. Ayons l'ambition d'être un modèle pour l'Europe de gestion efficace et pacifique de nos divergences, et non pas de devenir la risée internationale et les membres appauvris de l'Europe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire