Si tu veux être ministre, ne sois pas parlementaire !
Leçon de Van Cau et morale de l'histoire
Jean-Claude Van Cauwenberghe s'émeut de la désignation surprise de Julie Fernandez Fernandez et Frédéric Laloux dans le gouvernement Leterme Ier. Et dénonce la nomination de non-parlementaires dans les exécutifs.
Pour comprendre : Jean-Claude Van Cauwenberghe ne rate pas une occasion pour quereller Elio Di Rupo, jugé responsable de son départ précipité de l'Elysette à la fin 2005, dans la tourmente carolo. Le récent remaniement ministériel dans les rangs socialistes pour la formation de Leterme Ier, opéré par son président de parti, lui a ouvert une opportunité. La désignation surprise aux secrétariats d'Etat à la personne handicapée et à la lutte contre la pauvreté de deux trentenaires « inconnus », Julie Fernandez Fernandez et Frédéric Laloux (échevine à Liège, et ex-échevin à Namur, tout de même, donc élus dans leur ville) a provoqué quelques grognements dans le groupe parlementaire fédéral (« Quelle expérience politique ont-ils ? Et nous dans tout ça ? »), et les débuts chahutés du second (séquence télévisée sur la vraie-fausse attribution d'un cabinet à son nom, polémiques sur l'utilisation de sa carte de carburant de la Ville) ont achevé de faire des gorges chaudes.
Tradition
Voilà pour le contexte dans lequel Van Cau a signé, avec le député liégeois Charles Janssens, jeudi dans Le Soir, une carte blanche mi-doctrine mi-vitriol qui dénonce ce qu'il désigne comme une tendance lourde à hisser dans les exécutifs des non-parlementaires, parfois des non-élus, sans légitimité électorale, et intitulée : « Si tu veux être ministre, camarade, ne sois pas parlementaire ! ».
Ecorchant son président de parti et sa bête noire désormais, Paul Magnette, le très remarqué politologue de l'ULB propulsé l'an dernier au gouvernement wallon, puis au fédéral, après avoir éteint le feu carolo comme envoyé express du Boulevard de l'Empereur, l'ex-grand patron de la métropole wallonne s'interroge sur le sort de nos démocraties représentatives.
Vincent de Coorebyter (directeur du Crisp) recadre le débat : « N'oublions pas qu'un gouvernement n'est pas un parlement. J'attire l'attention sur la distinction en démocratie entre l'exécutif et le législatif, qui lui seul est composé d'élus, et dont l'objet est notamment de contrôler l'exécutif, ouvert à tous. Cela étant, il est vrai que la tradition chez nous veut que des parlementaires deviennent ministres, et Van Cau a raison de noter qu'elle a été égratignée ces dernières année. » Quoique très relativement, à ce stade. Côté non élus, Paul Magnette et, en 2001, Marie Arena, ont surgi au PS ; Jean-Claude Marcourt aussi (il était chef de cabinet). La nomination à Namur de Philippe Courard avait fait sensation en 2004, mais lui était mayeur, à Hotton. Bref, le phénomène est limité. La grande majorité des ministres sont issus d'assemblées parlementaires, les exceptions émanant, évidemment, de tous les partis. On pense, entre autres, à Marie-Dominique Simonet, Catherine Fonck, Benoît Lutgen, Josly Piette (CDH), Sabine Laruelle (MR), Kris Peeters (CD&V), Inge Vervotte (VLD)…
« Attention, en France, ils ont promu des Kouchner, Laporte, Tapie, Amara… On est donc allé chercher des non-élus parfois pour leur expertise, certes, mais encore pour leur côté symbolique, pour frapper l'opinion. Ce n'est pas le cas en Belgique. On prend des « vedettes » sur les listes électorales, pas dans les exécutifs, où les compétences importent en priorité ». Ou, parfois, la jeunesse. La nouveauté. Pour de mauvaises ou de bonnes raisons : créer l'événement médiatiquement, court-circuiter les structures internes, provoquer épisodiquement un renouvellement des cadres et des élites.
Fondé partiellement seulement, fleurant fort la polémique interne, l'appel de Van Cau à une reparlementarisation de la fonction ministérielle a donc surtout le mérite de bien signaler ceci, à propos de notre démocratie représentative : quelque chose ne tourne pas rond.
Gravir les échelons du parti ? Le contre-exemple carolo
Il fut un temps où le cursus normal d’un homme ou d’une femme politique impliquait un solide enracinement dans le terreau militant et un passage par l’école de la démocratie locale », écrivaient jeudi dans nos colonnes Charles Janssens et Jean-Claude Van Cauwenberghe. Le tandem socialiste voyait dans ce modèle l’incarnation de « l’éthique socialiste du mérite », à des années-lumière des pratiques de leur président Pygmalion.
On serait tenté d’applaudir, s’il n’y avait… l’exemple carolo. À Charleroi, le fonctionnement de l’USC sous Jean-Claude Van Cauwenberghe n’est pas étranger aux « affaires » qui ont secoué la Ville, depuis 2005. Le PS comptait presque autant de sections (16) qu’il y avait d’anciennes communes (15) et de postes au sein du collège (11 et la présidence du CPAS). En majorité absolue, celui qui voulait briguer un échevinat – l’échevin sortant ou le « leader de section » (nom donné au principal conseiller communal socialiste d’une section ne disposant pas d’un échevinat) – se devait de maîtriser troupes et débats au sein de sa section. Un découpage géographique inspiré par une volonté de proximité mais qui a vite tourné à la féodalité : aucun dossier ne pouvait se concrétiser sans l’aval de l’homme fort du coin. De même, le patron d’une section se devait d’écarter les trublions susceptibles de contester son autorité. On imagine volontiers le sort réservé à un Magnette ou à une Arena s’ils avaient dû effectuer ce cursus honorum du parti avant d’émerger…
Cette logique de pouvoir, appliquée à l’échelon supérieur (contrôler une majorité de section pour contrôler l’USC) a conduit le PS carolo, sous l’ère Van Cau, à privilégier la fidélité à la compétence, chacun bâtissant sa popularité électorale au départ de sa visibilité politique et sociale. Certains camarades ont ainsi pu accéder à des fonctions parce que, maître dans leur fief et dévoué à leur leader, ils s’étaient rendus incontournables. Au point de se croire tout permis.
Jean-Claude Van Cauwenberghe attaque Di Rupo : une nouvelle règle s’impose au PS pour devenir ministre : n’être ni député fédéral ou régional, ni sénateur.
De renouvellement de gouvernement en renouvellement de gouvernement, au niveau fédéral comme au niveau des entités fédérées, une nouvelle règle s’impose au PS pour devenir ministre : n’être ni député fédéral ou régional, ni sénateur.
Il fut un temps où le cursus normal d’un homme ou d’une femme politique impliquait un solide enracinement dans le terreau militant et un passage par l’école de la démocratie locale. Fort de combats électoraux remportés et d’une expérience de gestionnaire communal ou provincial, il se présentait alors aux élections régionales ou fédérales. S’il était élu député ou sénateur et confirmait cette légitimité populaire par des capacités politiques, il devenait alors naturellement ministrable.
Quoi de plus logique et rationnel que de confier les responsabilités exécutives du niveau supérieur à des élus du peuple que leur travail, leurs compétences, leur popularité avaient distingué aux yeux du président du parti. C’est en effet à ce dernier que la tradition confie la charge de constituer « ses » équipes ministérielles sur la base d’équilibres subtils entre fédérations, sexe et expérience.
Ne soyons pas hypocrites, ce type de désignation « discrétionnaire » a toujours entraîné son lot de désillusions, de frustrations voire de rancœurs chez les parlementaires oubliés par « le fait du Prince », mais cela sans pour autant pousser à remettre en cause la légitimité de telles désignations.
Il pouvait même y avoir exceptionnellement – ce que la loi permet – la désignation d’un extraparlementaire, « oiseau rare » que des compétences particulières et une expérience reconnue pouvaient appeler à une responsabilité ministérielle « spécialisée ». Là aussi, derrière les déceptions humainement compréhensibles, personne n’y a jamais trouvé à redire.
Aujourd’hui, ce qui était l’exception tend à devenir la règle. Au point qu’il ne fait pas bon être parlementaire si l’on nourrit la légitime ambition de devenir un jour ministre.
Croire que cette pratique présidentielle est appréciée par les militants serait se bercer d’illusions. Ne parlons même pas du petit monde des parlementaires qui n’a pas de mots assez durs pour critiquer, publiquement parfois, en sourdine souvent, cette dérive qui néglige ces « harkis » qui assument les combats électoraux.
Questionné sur ce phénomène nouveau qui fait adouber un futur ministre par le seul président du parti sans passer par la légitimation préalable de l’électeur, Paul Magnette, spécialiste de cette question en sa double qualité de politologue et de bénéficiaire du système, déclarait que « cela donnait un peu d’air… et apportait un regard nouveau à la fonction ministérielle ». Les parlementaires apprécieront, qui sentent le renfermé des couloirs d’assemblée et dont le regard est fermé par les coups reçus sur le ring des combats électoraux qu’ils ont dû assumer pour leurs idées et leur parti.
Cela étant, il convient encore d’établir une distinction ténue entre un mandataire local désigné ministre et celui qui n’a jamais vu un électeur ni de près ni de loin. Sur l’échelle de Richter de « l’illégitimité », la fracture politique n’est pas de même amplitude.
Pourquoi cette mode nouvelle et critiquable est-elle devenue la règle, s’interrogent nombre de militants et de mandataires socialistes, ne faisant en cela qu’amplifier une interrogation citoyenne ? Quelles en sont les motivations ? Plusieurs explications peuvent être avancées séparément ou cumulativement.
D’abord, probablement la volonté d’un président d’apparaître comme celui qui décide seul, sans contrainte, c’est-à-dire sans devoir s’embarrasser des succès électoraux des candidats ministrables.
Sans doute aussi cette obsession médiatique permanente qui conduit à vouloir toujours étonner et à réserver systématiquement aux médias ce que la presse qualifie de « surprise du chef ».
Certainement aussi cette arrière-pensée selon laquelle, pour bien tenir ses troupes parlementaires en main, il n’est pas inutile de leur démontrer par l’absurde que ce ne sont pas eux qui peuvent s’imposer au président, mais bien l’inverse. Sans parler du lien de dépendance qui se crée immanquablement entre le ministre privilégié et « son » président-créateur !
L’effet pervers immédiat de ce « système » est que les ministres non parlementaires n’auront plus de repos tant qu’ils ne le seront pas devenus. Ils n’auront plus qu’une obsession, compréhensible, celle de conquérir la légitimité électorale qui leur fait défaut.
Très bien… si ce n’est qu’ils le feront sur un pied d’inégalité médiatique avec leurs collègues/concurrents parlementaires restés dans le rang de leur fédération et dont – c’est le comble – on raillera la propension à serrer des mains et à fréquenter assidûment les manifestations « boudin-compote ».
Sans porter de jugement de valeur sur les personnes concernées, la question que l’on peut légitimement se poser est de savoir si cette option correspond bien à l’éthique socialiste du mérite, à la nécessaire transparence, au concept du travail politique récompensé ou, plus fondamentalement, aux exigences citoyennes de notre temps. Qu’on ne vienne surtout pas répondre par une dialectique fallacieuse que les sondages cautionnent ce type de méthode… Ce serait un peu vite oublier que, parfois, les électeurs ne se privent pas de la rejeter avec fracas… !
Au-delà de ces péripéties, la surenchère partisane étant ce qu’elle est, lorsque des règles communes ne sont pas imposées à tous, ne faut-il pas, aujourd’hui, s’interroger sur la nécessité de légiférer en la matière ?
En effet, dans le cadre actuel poussé à son paroxysme, on pourrait imaginer un gouvernement sans parlementaire, ce qui confirmerait, dans le meilleur des cas, une approche purement médiatico-technocratique et, dans le pire, une sélection exclusivement basée sur le « copinage ».
Face à ce qu’il faut bien appeler une dérive, on entend de plus en plus évoquer l’idée selon laquelle la Constitution, la loi ou le décret devrait exiger qu’on soit parlementaire pour devenir ministre ou, de façon moins radicale, que soit limitée la proportion d’extraparlementaires dans les gouvernements. On évoque également la nécessité d’imposer à un candidat à une élection parlementaire de siéger obligatoirement dans l’assemblée pour laquelle il a sollicité et reçu la confiance de l’électeur. Dans la foulée, on pourrait lui imposer de ne pouvoir siéger qu’au gouvernement issu de ce niveau de pouvoir. Plus besoin alors de disserter à l’envi sur les mérites respectifs du couplage et du découplage des élections fédérales et régionales : si chacun de ces deux niveaux essentiels dispose de son personnel politique « spécialisé », les « jeux de chaises musicales » ne sont plus à craindre, sans pour autant sacrifier l’intérêt de scrutins distincts, centrés sur les différentes problématiques.
Faire confiance à un homme ou une femme politique et lui conférer un « mandat » pour qu’il nous représente dans telle assemblée ne doit pas exposer l’électeur à découvrir, après coup, les résultats parfois étonnants de sa transhumance politique.
Plus les règles et les pratiques d’une démocratie représentative seront saines, logiques, compréhensibles et transparentes, plus le citoyen pourra adhérer sans retenue ni réserve aux institutions politiques, qu’elles soient fédérales et régionales. Moins elles le seront et plus le fossé entre l’opinion publique et la classe politique continuera à se creuser.
Un retour à des principes sains et normaux quant au choix des ministres est inscrit dans les astres. Inéluctable car allant dans le sens de l’objectivité et de la rationalité qui sont désormais réclamées du politique et qui sont de ces nouvelles exigences citoyennes marquées souvent au coin du bon sens.
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