Les bombes à retardement du gouvernement Leterme
« Définitif », vraiment, ce nouveau gouvernement ? Allons, donc ! Personne n'y croit. Au mieux, on retournera aux urnes fédérales en 2009. Et peut-être même dès cet automne.
Ceux qui sont chargés d'expliquer les termes de l'accord gouvernemental manquent décidément toujours de la rigueur la plus élémentaire. « Cet accord correspond, à concurrence de 99 %, à notre programme », a lâché Joëlle Milquet (CDH) au petit matin du mardi 17 mars, après une nuit de négociations. « Nous sommes satisfaits à 90 % », ont renchéri les libéraux. « 95 % de nos revendications ont été rencontrées », a résumé Elio Di Rupo (PS). Soit les responsables politiques sont fâchés avec les chiffres. Soit leurs programmes se confondent. Soit cet accord n'en est pas un. « Il s'agit tout juste d'un catalogue 3 Suisses », martèle le SP.A, resté dans l'opposition, aux côtés des verts francophones et flamands.
Derrière la glose exagérément optimiste du nouvel attelage Leterme Ier se cachent, en tout cas, bien des non-dits. Les quarante-trois pages du texte signé par les cinq partis de la majorité (PS, MR, Open VLD, CD&V/N-VA, CDH) ressemblent davantage à un missel pour premiers communiants, expurgé des promesses de paradis, qu'à un accord de gouvernement.
Or on sait que les intentions des uns et des autres sont loin d'être angéliques. Les Flamands n'ont pas renoncé à leur ambition d'obtenir une grande réforme de l'Etat. Les libéraux tiennent à leur réforme fiscale. Les socialistes veulent revaloriser les pensions. Comme il leur a été impossible de conclure un accord sur ces points délicats, faute de chiffres fiables relatifs au budget de l'Etat pour 2008, ils ont tout reporté à plus tard. A l'été.
Du coup, le texte comprend beaucoup de blancs lourds de sens. Et nombre de silences menaçants, qui révèlent deux choses. Un : malgré la trêve de façade, le pays reste ingouvernable, car cette majorité est « contrainte » et n'est pas issue, naturellement, des urnes. Deux : avec une économie en panne, des caisses vides, l'absence de consensus sur la réforme d'un modèle social dépassé, l'absence de vision commune sur un avenir commun, la tâche du gouvernement Leterme Ier est vouée à l'échec. Voici les plus grosses bombes qui jalonnent le chemin du Premier ministre.
1. BHV
Sous ces trois syllabes, il y a de la nitroglycérine. La scission de l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde est la revendication, fût-elle éminemment symbolique, de la Flandre, et ce depuis belle lurette. Dans les rangs francophones, on explique perfidement que l'on veut bien en débattre, mais à condition de discuter, conjointement, de l'élargissement de la Région bruxelloise et d'une consultation populaire dans les communes de la périphérie bruxelloise. Deux tabous absolus dans le nord du pays.
Rappelons-le également : les dernières élections communales se sont déroulées en octobre 2006 et, depuis, trois bourgmestres francophones de la périphérie attendent toujours leur nomination officielle. En fait de démocratie, il y a mieux à faire...
Pour faire bref : c'est le dossier le plus explosif du gouvernement Leterme Ier. En cas d'« accident » ou de manipulations incontrôlées, on ne donne pas cher de la peau du pays.
2. La réforme de l'Etat
Ne parlons même plus du « premier paquet », bouclé en février, composé de « zakouski » ou de « réformettes », c'est selon, et qualifié d'« anecdotique » par Didier Reynders lui-même. Le second paquet s'annonce autrement plus indigeste, du moins pour les estomacs francophones. Si l'on s'en tient à l'accord passé entre Flamands et francophones, le gouvernement devrait présenter à la Chambre, avant la mi-juillet, le gros morceau d'une « vraie » réforme de l'Etat.
Celle-ci devrait être approuvée avant les vacances parlementaires du mois d'août. Il reste donc trois mois et demi pour réformer le pays. Au menu ? La régionalisation de la politique de l'emploi, de certains volets des politiques de santé, de la famille, de la fonction publique et de la justice, ainsi que la gestion de la mer du Nord. Toutes des revendications flamandes. A ce stade, seule la réorganisation de la politique menée à l'égard des demandeurs d'emploi est accueillie de façon relativement favorable par les francophones : la situation du marché du travail et les besoins sont, en effet, très différents à Bruxelles, en Wallonie et en Flandre. Tous les autres points, c'est de la dynamite.
3. Circonscription électorale fédérale
Du côté francophone, davantage que le PS, le MR et, surtout, Ecolo insistent sur la nécessité d'instaurer une circonscription électorale fédérale. Dans ce cas, une partie des candidats aux élections devraient faire campagne dans l'ensemble du pays, et non plus exclusivement dans leur communauté linguistique : de quoi retisser quelque peu les mailles du chandail Belgique, espèrent les plus optimistes. En Flandre, Groen ! et le VLD défendront cette position. Le cartel CD&V/N-VA n'en veut pas. Les verts ont pourtant déjà laissé entendre qu'ils ne soutiendraient pas la réforme de l'Etat, s'ils n'obtenaient pas cette fameuse circonscription nationale. Or on aura besoin de leurs voix...
4. La loi de financement
Qui dit réforme de l'Etat dit aussi révision de la loi de financement. Dans les esprits nordistes, en effet, les Régions et les Communautés sont (trop) bien dotées - c'est surtout vrai pour la Flandre, prospère, avec un taux de chômage négligeable -, tandis que les caisses de l'Etat fédéral sont vides. La Flandre essaiera donc d'imposer, à l'avenir, des efforts supplémentaires aux entités fédérées : les éventuels transferts de compétences vers les Régions ne s'accompagneront donc pas nécessairement de transferts financiers. Voilà qui promet bien des remous dans les rangs francophones, en particulier dans ceux du PS et du CDH, au pouvoir dans les entités fédérées (contrairement au MR).
Et puis, il y a Bruxelles : la capitale réclame des moyens financiers à la hauteur de ses nombreuses missions fédérales et internationales. Elle a, jusqu'ici, obtenu théoriquement un rabiot de 65 millions d'euros, soit beaucoup moins qu'espéré. Mais on connaît le peu d'enthousiasme que suscite, chez les responsables politiques flamands, l'idée d'octroyer des moyens supplémentaires à ces « bourgeois francophones bruxellois ».
5. Le budget de l'Etat
La réforme fiscale voulue par les libéraux ? On la chiffrera en juillet prochain, date du contrôle budgétaire. La revalorisation des pensions et des allocations sociales réclamée par les socialistes ? On se penchera sur son coût en juillet également. Le problème, c'est qu'en juillet l'Etat apparaîtra exsangue. Car le budget 2008, voté en février dernier, repose, sinon sur un tissu de mensonges, du moins sur des espoirs parfaitement aléatoires.
Une hausse escomptée des recettes fiscales de 6,75 % grâce à la croissance ? A l'heure où tous les indicateurs économiques plongent dans le rouge, qui y croit sérieusement ? L'obole de 250 millions d'euros réclamée aux producteurs d'électricité ? Ceux-ci ne vont pas se laisser faire si facilement et exigeront, à tout le moins, en compensation, la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. Là, ce sont les socialistes et les verts qui caleront... plus tard. Car le problème a été confié à des « experts », chargés d'étudier le meilleur équilibre énergétique pour le pays.
Les « effets retour » des intérêts notionnels, ces avantages fiscaux consentis aux entreprises sous le prétexte qu'ils favorisent la création d'emplois ? La preuve qu'ils créent réellement de l'emploi n'a, à ce jour, pas été démontrée. La liste est longue des espoirs naïfs sur lesquels repose la copie budgétaire de l'année en cours. Cette « légèreté » est dangereuse : la saison estivale sera celle de tous les arbitrages. Faute d'argent, il n'y a pas de compromis possible.
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