Le double jeu européen
Pas moins de dix membres de la Commission débarquent ce jeudi à Pékin. José Manuel Barroso promet de parler des droits de l'homme. Mais, en coulisse, les Européens peinent à faire face aux pressions chinoises.
Changement climatique et développement durable : voilà les deux thèmes qui justifient le déplacement, jeudi et vendredi à Pékin, du président de l'Exécutif européen José Manuel Barroso et de neuf de ses commissaires - pas moins - pour rencontrer le président Hu Jintao et le premier ministre Wen Jiabao. Européens et Chinois en profiteront aussi pour inaugurer un nouveau mécanisme destiné à traiter des problèmes d'investissements, d'accès au marché ou de protection de la propriété intellectuelle, auxquels se trouvent confrontées les entreprises qui essaient de s'implanter dans le pays. Les thèmes de discussions économiques, alors que Bruxelles et Pékin négocient un "partenariat stratégique", ne manquent assurément pas.
Mais le président Barroso entend aussi "placer les autorités chinoises devant leurs contradictions : d'un côté la responsabilité d'organiser une des plus grandes fêtes de la jeunesse mondiale - les Jeux olympiques -, de l'autre une situation de répression et de tension", annonce par voie de communiqué la Commission qui, assure-t-elle, "a toujours eu un dialogue très franc avec la Chine" sur les droits de l'homme et la liberté d'expression.
En coulisse, toutefois, elle marche sur des oeufs. Le dialogue UE-Chine sur les droits de l'homme et le séminaire juridique censé le précéder se révèlent particulièrement difficiles à organiser cette année, à cause des pressions chinoises auxquelles les Européens peinent clairement à faire face.
La vie de ce dialogue a connu quelques rebondissements depuis son établissement en 1996. Il avait été interrompu en 1997, quand des Etats de l'Union avaient voulu faire adopter par la Commission des droits de l'homme de l'Onu une résolution critique à l'encontre de la Chine. Mais il a repris à un rythme semestriel. La situation s'est alors envenimée l'an dernier, quand les représentants chinois ont quitté le séminaire organisé pour les ONG et les personnalités académiques, les 10 et 11 mai 2007 à Berlin. La présidence allemande de l'Union venait de refuser d'exclure de la réunion les représentants des organisations Human Rights in China et China Labour Bulletin. Six mois plus tard, les Chinois, qui devaient l'organiser, ont tout bonnement fait l'impasse sur le séminaire. Et maintenant que les Européens doivent, à leur tour, planifier les séminaire et dialogue sur les droits de l'homme, du 13 au 15 mai à Ljubljana, Pékin met la pression maximale pour ne pas voir débarquer les représentants de HRIC et China Labour Bulletin.
"Un choix tactique"
Pour s'en sortir, Européens et Chinois ont trouvé la parade. "Les sujets mis à l'ordre du jour, comme le travail des enfants, ont été choisis explicitement de manière à ce que l'absence des ONG que ne désirent pas voir les autorités chinoises dans le séminaire ne soit pas incongrue, puisque ce n'est pas leur sujet de prédilection", explique l'eurodéputée verte française, Hélène Flautre. "C'est un choix tactique plutôt malin", remarque la présidente de la sous-commission des droits de l'homme au Parlement européen. "Mais il me paraît difficile de ne pas aborder les questions qui fâchent, dans le cadre de ce dialogue, c'est-à-dire les questions d'actualité comme le Tibet, la libre circulation des journalistes, le harcèlement des défenseurs des droits de l'homme."
La Commission européenne et le Conseil de l'Union ont tenté d'expliquer la délicatesse de leur position à Human Rights Watch, Amnesty International et la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) : soit le séminaire tombe à l'eau, boycotté par les Chinois, soit il est organisé en excluant les défenseurs des droits de l'homme jugés gênants. Les trois organisations internationales - qui, elles-mêmes, n'ont toujours pas reçu l'invitation au séminaire - ont protesté dans une lettre commune, estimant que les Chinois n'avaient pas à dicter l'organisation de la réunion.
Et maintenant ?
"Maintenant se pose la question de la poursuite de ce type de séminaires. La situation actuelle rend l'exercice périlleux, mais on tient à ce lieu de discussion sur les droits de l'homme", note Hélène Flautre. Certes, le dialogue se révèle loin d'être parfait. "Nous n'avons pas d'image claire de ce que l'UE a réellement obtenu sur le terrain", regrette Susi Dennison, responsable des relations extérieures au bureau européen d'Amnesty. "Le problème, c'est qu'on met les droits de l'homme dans une petite boîte, et cela arrange l'Europe que cela ne sorte pas de la boîte" , ajoute Antoine Madelin. Mais "le séminaire est l'occasion de soutenir les leviers de changements, les personnes qui essaient de faire avancer les choses au sein même du système", précise le délégué permanent de la FIDH auprès de l'Union. "Il est très utile", confirme Susi Dennison. "On peut soumettre des cas individuels de défenseurs des droits de l'homme en Chine et on a des réponses, d'ordinaire difficiles à obtenir."
En attendant que la situation se décante, José Manuel Barroso doit obtenir des autorités chinoises "l'engagement qu'elles prendront sans attendre des mesures concrètes" , comme garantir aux journalistes le droit d'informer ou mettre un terme à la répression, insiste Amnesty. Selon Hélène Flautre, "l'UE est capable, si elle est déterminée, d'obtenir des résultats". Mais reste à voir si elle l'est, déterminée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire