23 mars 2008

"Un seul secrétaire d'Etat suffisait"

Pour le président du PS, Elio Di Rupo, le gouvernement pouvait être limité à 14 ministres et un seul secrétaire d'Etat pour le CDH. "Mais d'autres, dit-il, ont défendu d'autres raisonnements."

Entretien
C'est un Elio Di Rupo fatigué par une nouvelle nuit de négociation, mais manifestement satisfait qui répond aux questions de "La Libre". Entretien.
Vous avez donné à Rudy Demotte le rôle de présider à la fois le gouvernement wallon et celui de la Communauté française. Vous faites ce que les libéraux n'ont pas pu faire ?
L'opportunité se présentait de démontrer concrètement le désir du PS de faire en sorte que les solidarités entre Bruxelles et la Wallonie soient les plus effectives. Le débat sur la tuyauterie institutionnelle ne menait nulle part. Il y a un fait régional wallon de plus en plus affirmé. Il y a un fait régional bruxellois de plus en plus marqué. Et il y a une unité de langue entre les francophones, qu'il fallait consolider.
Pourquoi pas une fusion entre la Communauté et la Région comme en Flandre ?
Comment vous allez faire ? La Région flamande compte 6 millions d'habitants et la Communauté flamande, à peine 100 000 de plus. C'est-à-dire, un soixantième de plus. Tout naturellement, les Flamands ont fait de la Région et de la Communauté une seule institution.
Il en va tout autrement pour les Bruxellois et des Wallons. Les francophones de Bruxelles sont 900 000 et les francophones de Wallonie, 3,2 millions. Le rapport est de 1 à 3. On n'est pas dans le même ordre de grandeur qu'en Flandre. Mais on peut manifester la solidarité entre francophones d'une autre façon. Par exemple en installant la même personne à la tête du gouvernement wallon et du gouvernement de la Communauté française. Cette personne, qui par ailleurs s'est engagé à rencontrer tous les 15 jours les ministres francophones du gouvernement régional bruxellois, pourra établir un lien direct entre les francophones sur tous les autres plans que ceux de l'enseignement et la culture. Je pense aux politiques économiques notamment.
C'est une étape ? Ira-t-on plus loin ?
On verra après 2009. Mais on peut encore faire évoluer le modèle.
Est-ce que cela modifie le cahier de charge de la commission Wallonie-Bruxelles ?
Non. La commission Wallonie-Bruxelles doit continuer dans sa mission première. Dans chacune des matières décentralisées, elle doit chercher de meilleures cohérences. Ce travail-là doit de toute façon être fait.
Ne faut-il pas voir, dans la nomination de Rudy Demotte, une claque à l'égard de Marie Arena ?
Non. Dès lors que la décision de mettre un président commun à la Région wallonne et à la Communauté française était prise et que ce président commun serait Rudy Demotte, il m'est apparu difficile de maintenir Marie Arena comme ministre fonctionnelle dans un gouvernement dont elle avait assuré la présidence. Il me paraissait plus normal de lui demander d'assumer des responsabilités importantes au gouvernement fédéral : les Pensions, l'Intégration sociale, la Politique des grandes villes. Des claques pareilles, il y en a beaucoup qui aimeraient en recevoir.
En lisant le programme du gouvernement, on a été étonné par son imprécision et l'absence d'estimations budgétaires. Il paraît très light par rapport à ce qu'on a connu précédemment...
C'est un programme différent. Mais le moment est aussi différent, les personnes autour de la table sont différentes. A chaque époque son leader et son style. En réalité, tout a été chiffré.
Pourquoi cela ne se trouve pas dans l'accord ?
Par honnêteté. Si, pour diverses raisons, les moyens devaient manquer, si on n'a seulement 20 là où on avait dit qu'il en fallait 50, qu'est-ce qu'on fait ?
On ne sait quand même pas si on fera plus de social ou plus de fiscal...
On fera un équilibre entre les différentes matières, cela ne fait aucun doute.
Mais peut-on dire quels outils fiscaux seront utilisés ?
Ceux qui sont dans la déclaration.
Vous, vous voulez essentiellement soulager les petits et moyens revenus. Le MR veut alléger tous les revenus...
Ce sont des racontars. Bien entendu, on ne doit pas me demander de soutenir les 10 pc de plus riches. Mais si on utilise l'un des instruments évoqués dans l'accord de gouvernement, il est évident que tout le
monde aura un avantage. Mais cet avantage sera dégressif. Ce sont les bas et moyens revenus qui seront les plus favorisés.
Pour vous, un revenu moyen, c'est quoi ?
Il faut voir au cas par cas. Pour moi, on discute de salaires normaux. Pour la grande majorité des gens, cela va de 1200 euros à 3000 ou 4000 euros nets/mois.
Est-ce que l'absence du SP.A dans le gouvernement ne va pas vous affaiblir ?
A maintes reprises, j'ai sollicité le SP.A. Mais il y a eu, du côté néerlandophone, des attitudes qui n'ont pas permis de retrouver la même configuration sur le banc francophone et sur le banc flamand du gouvernement. Sur le plan socio-économique, on partage les mêmes idéaux que les socialistes flamands. Le PS essaiera de les faire avancer dans la majorité et le SP.A, depuis l'opposition.
Didier Reynders prétend que c'est le CDH qui est venu vous chercher...
C'est contraire à la vérité. Nous étions convaincus que l'orange bleue se ferait. Durant les trois mois qui ont précédé le second échec d'Yves Leterme, je ne suis même pas parvenu à avoir un contact téléphonique avec Mme Milquet. Or je devais parler avec elle de questions relatives à la gestion des Communautés et aux Régions. Elle était à 100 pc dans l'orange bleue.
D'ici le 15 juillet, les partis devront négocier un nouveau "paquet" institutionnel. Certains plaident pour l'instauration d'une circonscription électorale unique. Vous n'avez pas l'air d'en être partisan...
Je ne rejette pas l'idée a priori. Mais il faut bien examiner la question. Comment on va dépasser les contingences politiques ? Les personnes qui seront élues sur la base d'une circonscription fédérale appartiennent à un parti. Elles vont participer à un groupe politique au Parlement....
La Flandre réclame ce second paquet avec insistance. Allez-vous accepter une nouvelle réforme de l'Etat ?
Nous avons joué le jeu pour un premier paquet. Les quatre partis francophones ont dit qu'ils étaient prêts à discuter d'un second. On le fera. Mais avec la volonté d'aboutir à un résultat à l'avantage de tous les Belges. Si tout le monde y met du sien, il peut en sortir quelque chose.
Le 15 juillet, on doit pouvoir s'attendre à la chute de ce gouvernement ?
Je ne le souhaite pas. Il y a des synergies qui permettraient au gouvernement d'aller jusqu'au bout de la législature.
Vingt-deux membres du gouvernement. C'est beaucoup quand même.
Moi, je trouvais qu'on pouvait rester à quatorze ministres, avec un secrétaire d'Etat pour le CDH. Non parce que j'aurais des affinités pour le CDH, mais parce que ce serait l'application stricte de la clé D'Hondt. D'autres ont défendu d'autres raisonnements. Après de multiples tours de table, on est arrivé à la solution que vous connaissez.
On a quand même l'impression que ce grand nombre résulte d'une bagarre entre partis francophones, non ?
Pas du tout. Le résultat est l'application de la clé D'Hondt compte tenu d'un certain nombre d'exigences.
Yves Leterme a-t-il les capacités de conduire ce gouvernement ?
Je ne le connaissais pas bien. Je l'ai vu travailler. Je trouve qu'il a beaucoup de résistance et une capacité d'écoute. Il est arrivé à un résultat, avec une configuration qui n'était pas aisée.
Le PS est dans la majorité depuis 1992. N'aurait-il pas eu besoin d'une cure d'opposition pour se réformer ?
On peut très bien assurer des responsabilités et se régénérer. Il y a des gens de grande qualité qui durent. Voyez Michel Drucker...
Vous êtes un peu le Michel Drucker de la politique...
On peut être jeune et avoir un comportement de vieux, être vieux et avoir des idées jeunes. Il y a des moments où tout va mal. Et le téléphone est froid comme un glaçon dans un frigo. Il y en a d'autres où les choses se remettent en activité et le téléphone brûle comme un réchaud sur un gaz.
Le vôtre ?
Pour l'instant, il chauffe, mais je l'ai connu gelé.
Votre avenir, à vous ?
Il sera ce que les citoyens en feront...
Karel De Gucht s'en ira à la Commission en 2009 : on aura besoin d'un ministre des Affaires étrangères...
Il en faudra un, oui. Mais nous n'en avons pas parlé... Pour le moment, je poursuis le travail interne. Puis, je me préparerai à l'élection de 2009.
Votre ambition est de redevenir la première force politique en Wallonie et à Bruxelles ?
On fera du mieux que l'on peut...
Une crise à peine finie, une campagne électorale se profile...
Dans mon esprit, il faut travailler d'arrache pied pendant un an encore à tous les niveau de pouvoir.
L'Octopus n'a-t-il pas prévu de regrouper les scrutins ?
Normalement, le gouvernement fédéral est en place jusque 2011. On devrait aller jusque-là. L'idée de regrouper à terme, ce n'est pas une mauvaise idée. Mais dans les démocraties modernes, il n'est pas anormal que l'on vote tous les 18 mois ou tous les deux ans. Voyez aux Etats-Unis : on vote tous les deux ans et la campagne présidentielle dure plus de 18 mois. Les Américains se plaignent-ils ? Moi, je suis hyperlégaliste. Il arrivera un moment où les deux agendas de 4 ans et de 5 ans concorderont. Voyons alors. Si un accident se produit, ce que je ne souhaite pas, on pourra jumeler.

Le bateau ivre d'Yves Leterme

Un gouvernement pléthorique : 15 ministres et 7 secrétaires d'Etat. Certains ont des compétences encore mal définies.
analyse
Evidemment, la photo de famille fait un peu sourire. Le gouvernement compte 22 membres : 15 ministres et 7 secrétaires d'Etat. On n'a jamais vu une telle inflation de secrétaires d'Etat depuis que le nombre de ministres est légalement limité à 15. Encore heureux qu'on ait échappé aux commissaires du gouvernement. Chacun se rejette la responsabilité, même si tous les regards se portent d'emblée vers le MR dont le président exigeait deux postes de secrétaires d'Etat. L'un va à Oliver Chastel, dont la charge ministérielle paraît bien mince : préparer la présidence européenne de... 2010. Et l'autre est pour Bernard Clerfayt, dont les compétences ne sont pas définies : il est adjoint au ministre des Finances. Point. On lui trouvera bien un job : répondre aux questions parlementaires.
Le budget sans ministre
En appliquant la clé D'Hondt, celle qui répartit les influences, si on accorde deux secrétaires d'Etat au MR, on arrive à sept secrétaires d'Etat au total.
Melchior Wathelet (CDH) sera secrétaire d'Etat au Budget et à la Famille. Jamais la responsabilité du Budget n'a été confiée à un secrétaire d'Etat. D'ordinaire, c'était soit un ministre "à part entière", soit, le plus souvent, des vice-Premiers qui disposaient de la compétence (comme l'on été les Verhofstadt, Van Rompuy, Vande Lanotte, Vanden Bossche). Bien sûr, cela fait dire aux humanistes qu'ils ont en fait deux ministres. Mais ce département, en cette période de difficultés budgétaires, aurait bien mérité un ministre à part entière. Et l'on peut se demander quelle sera la force et l'autorité d'un secrétaire d'Etat lorsqu'il devra imposer une discipline budgétaire à un ministre un peu trop dépensier. De plus, selon une correction apportée hier fin d'après midi par le Palais royal, Melchior Wathelet sera structurellement rattaché à deux patrons : Yves Leterme pour le Budget et Joëlle Milquet pour la Famille. Il aura donc un beau-père et une belle-mère.
Au PS, si le coup de maître d'Elio Di Rupo concernant le cumul de Rudy Demotte (Régions et Communauté) est salué, on s'étonne du choix des secrétaires d'Etat socialistes : cela ressemble un peu à du Vogelpik. A moins que ces parachutages ne répondent surtout à la volonté de ne pas choisir d'autres candidats (Luperto à Namur et Christie Morealle à Liège).
"Weg promotie..."
Quant à Etienne Schouppe, le président du CD&V, sa nomination peut surprendre pour un homme fraîchement installé. En fait, il s'agit, comme disent les Flamands, d'une "weg promotie" : on le nomme là pour s'en débarrasser. Car les quelques semaines qu'il a passées à la tête du parti ont démontré son manque de fiabilité. La menace de faire tomber le gouvernement si le "deuxième paquet" institutionnel n'est pas assez lourd... c'est une belle idée à lui.
Concluons par quelques chiffres. Le gouvernement sera donc composé de 12 francophones et de 10 néerlandophones. Les partis flamands (CD&V et VLD) reçoivent, chacun, plus de ministres puisqu'ils ne sont que deux à se partager les 7 ministres (plus le Premier). Et le paradoxe veut que le VLD, grand perdant des élections (18 élus à la Chambre) dispose de 4 ministres et pourrait obtenir, en 2009, le poste de commissaire européen aujourd'hui détenu par Louis Michel. Le CDH, avec 10 élus, n'a qu'un ministre et un secrétaire d'Etat.
L'équipe d'Yves Leterme est très féminine : sur 22 membres du gouvernement, 7 sont des femmes. La délégation la plus féminine est celle du PS avec Laurette Onkelinx, Marie Arena et Julie Fernandez.
Le doyen de l'équipe est Etienne Schouppe (65 ans). La benjamine est la ministre de la Fonction publique, Inge Vervotte (30 ans). Le gros de la troupe se situe plutôt dans la tranche des quadras.

L'édito de Michel Konen
Demotte à la Communauté. Et Rudy à la Région
Rudy Demotte restera dans l'histoire politique comme le premier ministre-Président à la fois wallon et francophone. Le premier et peut-être pas le dernier. C'est à voir...
éclairage
Avec son art consommé de la surprise, et une propension singulière à provoquer des chambardements allant au-delà des nécessités immédiates, Elio Di Rupo a de nouveau fait fort jeudi, transformant l'accouchement aux forceps de Leterme Ier en refonte en profondeur du gouvernement de la Communauté française.
On ne pense même pas tant au retour au fédéral de Marie Arena, qu'il sera difficile de ne pas prendre au moins partiellement pour un désaveu à retardement (en encadré), ou à celui à la Communauté de Christian Dupont. Le président du PS a surtout donné un aspect inédit autant qu'inattendu au sommet, en confiant la présidence de l'exécutif à celui qui occupe déjà la même fonction, depuis juillet, au gouvernement de la Région wallonne. A tout prendre, ce cumul de Rudy Demotte, même si la législature des pouvoirs fédérés est à une année de son terme, pourrait s'avérer plus "révolutionnaire" que la composition (sur laquelle on n'a pas fini de jaser) du nouveau gouvernement fédéral (sur lequel on n'a pas fini de soupirer).
La double casquette n'est pas neuve. Dans l'histoire toujours - inévitablement - laborieuse des articulations intrafrancophones Communauté/Régions, ces ministres à la fois francophones et wallons ou bruxellois participent de la panoplie des mécanismes qui tentent de les huiler (politiques "croisées", rachats d'infrastructures, fusion des relations internationales, intégration des trésoreries, etc.). Participent, cycliquement : on les a créés en 1995-99, avant de les juger impraticables; on les a supprimés courant 1999-2004, avant de les estimer indispensables; on en a recréé depuis 2004, hors Bruxellois, et les avis sont mitigés.
Mais jamais une double casquette n'avait coiffé un ministre-Président. Pourtant, il en a déjà été question. Le CDH en fit même un point de programme électoral, en 2004. Pas le PS. Car ce cumul est d'une autre nature que celui de compétences où les synergies paraissent aller de soi (comme aujourd'hui, les Relations internationales, Recherche, Finances ou Sports). Au poste à la fois le plus élevé et le plus politique des exécutifs, ce ne sont plus des matières mais des institutions que l'on intègre. Voire que l'on paraîtrait tendre à fusionner.
Pourquoi alors le PS s'y ouvre-t-il aujourd'hui ? Parce que les futurs enjeux Nord-Sud rendent souhaitable, à l'égard de la Flandre, une simplification des interlocuteurs. Et parce que, bon gré mal gré, la réflexion entre seuls francophones a dû reprendre, notamment en groupe "Wallonie-Bruxelles" par lui initié.
De cette réflexion, le cumul de Rudy Demotte, doublé de contacts fréquents avec les ministres francophones du gouvernement bruxellois, apparaît comme une balise. Celle d'une intégration plus prononcée entre institutions, ou de la limite au-delà de laquelle les socialistes n'iront pas ? On penche pour la seconde hypothèse : "On ne bouge pas aux institutions", insiste M. Di Rupo; "Nous démontrons qu'il ne faut pas attendre que le groupe Wallonie-Bruxelles accouche d'une résolution pour prendre l'initiative", prolonge M. Demotte. Comme pour déjà éconduire, le cas échéant, des demandes d'aller institutionnellement au-delà. Aller, par exemple, vers quelque "Autorité Wallonie-Bruxelles" : un ministre-Président identique revient à confirmer que deux exécutifs restent distincts. Quitte à "pouvoir aller plus loin" dans les solidarités, ajoute M. Di Rupo.
Quant à prolonger ce cumul au-delà de la mi-2009, la désignation d'hier fera figure de test. Pas seulement pour le PS : un MR à la barre pourrait-il faire moins que reconduire la modalité, sous peine de paraître reculer sur la cohérence d'un espace francophone dont il se fait le héraut ?
En attendant, même si l'on n'y voit pas un scénario d'anticipation d'une fusion (d'ailleurs irréaliste au sens flamand du terme), la ministre-présidence commune ne manquera pas de hérisser les sensibilités plus régionalistes. Alors même qu'elles reprenaient quelque vigueur. Piquant : pas plus tard que mercredi au Parlement wallon, l'appelé Rudy Demotte y était allé d'accents régionaux que l'on ne lui connaissait pas encore. "Vous devenez plus régionaliste que moi. C'est un bonheur", lui avait servi Van Cau...

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