20 mars 2008

L’accord décrypté point par point

Chômage : les allocations vont décroître plus vite
Yves Leterme partage avec son prédécesseur, Guy Verhofstadt, un chiffre fétiche : 200.000. C’est le nombre de créations d’emplois qu’ambitionne le futur premier ministre, comme le fit son prédécesseur, sur la durée de la législature.
Les moyens pour atteindre cet objectif sont légion. D’abord, Leterme premier entend baisser les charges patronales, mais se tait, à ce stade, sur l’ampleur de cette baisse. Il entend aussi rehausser le salaire minimum, pour doper le pouvoir d’achat et inciter les chômeurs peu qualifiés à reprendre le chemin du travail.
La politique d’activation des chômeurs sera aussi renforcée. L’activation consiste à assurer un suivi des demandeurs d’emploi pour les inciter à rechercher activement un nouvel emploi. Le lien entre cette politique, en vigueur depuis 2004, et la baisse du chômage étant établi, le gouvernement entend tirer tout le bénéfice de l’activation, en renforçant les mesures. Ainsi, Leterme Ier veut réduire les temps de chômage au-delà desquels la procédure est enclenchée. Le futur gouvernement souhaite aussi étendre la procédure d’activation aux chômeurs de plus de 50 ans.
Les syndicats
critiquent la réforme
Pour stimuler l’emploi, le gouvernement va également réformer le système des allocations de chômage. Le programme du gouvernement constate qu’actuellement, les allocations « sont trop basses au début de la période de chômage », mais qu’ensuite, le système actuel « n’incite pas à rechercher un emploi. » L’accord de majorité prévoit donc une augmentation des allocations de chômage juste après la perte d’emploi. Ensuite, la dégressivité des allocations sera renforcée, afin d’accélérer la remise au travail.
Le volet de l’accord consacré à l’emploi introduit aussi dans le paysage belge le « compte carrière ». Il s’agit d’une technique permettant aux salariés d’obtenir des jours de congé ou un montant de pension supplémentaire en échange d’heures supplémentaires durant leur carrière, ou d’un renoncement à leurs indemnités de préavis. L’accord gouvernemental prévoit que ce système ne remplacera pas le système de crédit-temps.
Enfin, le futur gouvernement entend encourager le travail d’équipe et de nuit, et faciliter le recours aux heures supplémentaires.
Ces mesures touchant directement l’emploi et le monde du travail ne réjouissent pas les syndicats. « En renforçant la dégressivité des allocations de chômage, on s’en prend au chômeur et pas au chômage », dit Anne Demelenne, secrétaire générale de la FGTB. Sur le compte carrière, le syndicat socialiste est également insatisfait. « Ce système permettra aux travailleurs d’obtenir des compléments de pension. Mais, par définition, ces avantages ne seront accessibles qu’à ceux qui travaillent. Et les autres ? »
De son côté, la CSC critique aussi la réforme des allocations de chômage. « La diminution des allocations après un certain temps me fait craindre que des chefs de ménage et des isolés tombent en dessous du seuil de pauvreté », dit Claude Rolin, secrétaire général du syndicat chrétien.
Politique de migration : L’intégration, porte de la régularisation
Cela aura chauffé jusqu’au bout. La politique de migration et plus particulièrement la régularisation des sans-papiers a fait l’objet de sérieuses empoignades entre négociateurs pendant une bonne partie de la nuit.
À gauche sur le ring, le PS et le CDH qui, comme les toutes les associations d’aide aux sans-papiers, veulent des critères clairs en matière de régularisation, inscrits dans la loi et qui tiennent compte des « attaches durables » du sans-papiers avec son pays d’accueil. Ainsi qu’une commission indépendante pour statuer sur les dossiers en lieu et place de l’Office des étrangers. À droite, le VLD qui veut le statu quo et sera rejoint en cours de négociations par le MR. Dans le rôle d’arbitre, le CD&V (Jo Vandeurzen) qui devra rabibocher les deux parties lorsque l’accord obtenu en milieu de soirée, sera dénoncé après la pause, par les libéraux. Autopsie d’un compromis.
Régularisations. La grande nouveauté, c’est l’entrée parmi les critères de « l’ancrage local », une traduction letermienne des « attaches durables ». Pour l’apprécier, on tiendra compte notamment de l’avis du bourgmestre pour apprécier l’intégration du sans-papiers. C’est une avancée fondamentale, estime le Ciré (Coordination et Initiatives pour réfugiés), car c’est le seul critère pouvant s’appliquer aux très nombreux sans-papiers qui n’ont jamais eu de séjour légal dans notre pays. Deuxième critère : la longue procédure, soit quatre ou cinq ans en ce compris la procédure auprès du Conseil d’État. Le troisième, c’est la régularisation économique. Ici, on est davantage dans une perspective de régularisation « one shot » pour ceux qui sont déjà sur le territoire.
Seront régularisées toutes les personnes qui étaient dans notre pays avant le 31 mars 2007 et qui ont une offre de travail ferme ou qui peuvent le prouver dans un délai de six mois. Avancées par rapport à l’orange bleue : la date initiale était le 1er janvier 2006. Tous ces critères seront définis dans une circulaire, pas par une loi.
Commission. L’accord reste flou. Le gouvernement « étudiera et décidera à court terme de l’opportunité de charger une commission indépendante » de la compétence de décision sur les demandes de régularisation. Pour le CDH cependant, c’est un engagement solide.
Centres fermés. On va verrouiller la durée maximale légale d’enfermement et on ne pourra plus détenir les personnes que l’Office des étrangers n’est pas certain de pouvoir éloigner. « On a un accord qui précise qu’on va appliquer la loi », ironise Frédérique Mawet pour le Ciré. Pour les familles avec enfants, le gouvernement va prioritairement élaborer des alternatives à leur détention. On créera des centres spécifiques pour les familles. Leur détention en centre fermé ne se fera plus « qu’à titre exceptionnel, pour une courte période et uniquement peu de temps avant leur rapatriement ».
Regroupement familial. L’accord ne précise plus la hauteur des revenus jugés suffisants pour qu’un étranger puisse faire venir un membre de sa famille.
Nationalité. Le CD&V voulait faire dépendre l’acquisition de la nationalité de la « preuve » d’une connaissance suffisante de la langue. L’accord parle désormais seulement de « volonté d’intégration ».
Ce mercredi, les sans-papiers et les citoyens des 17 villes qui depuis deux mois participent aux « cercles du silence » feront leur dernier tour à Bruxelles. Après, ils iront chez Yves Leterme « pour saluer les avancées » obtenues dans l’accord et demander des garanties sur « l’ancrage local » et la future (?) commission.
Services publics : Mieux évaluer le fonctionnaire, mieux entendre le citoyen
Un peu fourre-tout, le chapitre « autorité publique » s’ouvre par un engagement à une « application uniforme » des législations fiscale et sociale et à une lutte plus active contre la fraude fiscale (sans pour autant « alourdir les charges administratives. »). On n’évoque qu’une idée concrète : créer un collège réunissant les directeurs des services sociaux, fiscaux, policiers et judiciaires concernés par la lutte contre la fraude fiscale.
S’agissant de la Fonction publique et ses agents : l’accord affirme que « l’emploi statutaire reste la règle » – le recours aux intérimaires sera toutefois ouvert pour les besoins exceptionnels… pour autant que les syndicats soient d’accord avec ceci (CGSP et CSC ont déjà fait savoir que non…).
Un projet de loi ouvrira le deuxième pilier de pension pour les contractuels du secteur public. Toujours pour les fonctionnaires : le gouvernement tentera d’élaborer « un système d’évaluation à part entière » pouvant mener à des « résultats positifs » (exemple : promotion ou augmentation salariale) comme « négatifs » (… non précisés).
Brûlant : le gouvernement poursuivra le débat avec les syndicats sur la continuité du service public (en cas de grève) en souhaitant qu’il aboutisse d’ici l’été.
Pour le citoyen : retenons que le gouvernement compte s’essayer à de « nouvelles méthodes participatives, spécialement les panels de citoyens et les consultations publiques en ligne ».
Enseignement : la scolarisation sera obligatoire dès l’âge de 5 ans
C’est une petite phrase qui clôt le 3e chapitre de l’accord et devrait mettre un terme à plusieurs années de débats entre communautés : « L’âge de la scolarité obligatoire sera abaissé à 5 ans (…) ». Concrètement, elle signifie que la 3e maternelle sera bientôt soumise aux mêmes règles administratives que les primaires. Inscription et fréquentation obligatoires, respect des horaires, absences motivées, etc. Plus question pour les parents d’enfants de 5 ans de partir en vacances hors congés scolaires…
Il s’agit là de la seule compétence restée fédérale en matière d’enseignement. Si cela ne dépendait que d’elle, la Communauté française aurait déjà adopté ce principe : tous les partis francophones s’accordent à penser que la 3e maternelle favorise la socialisation de l’enfant et lui permet d’acquérir les apprentissages de base qui faciliteront son adaptation en primaire. Des études montrent que les élèves qui ne fréquentent pas régulièrement la maternelle (2 à 5 % des enfants, mais issus des milieux les plus défavorisés) accumulent du retard et ont plus de chance de décrocher ensuite.
Côté flamand, le ministre de l’Enseignement, Frank Vandenbroucke, préfère inciter qu’imposer. Mais son parti, le SP.A, étant absent de Leterme Ier, plus rien ne devrait s’opposer à l’adoption rapide de la proposition de loi actuellement examinée à la Chambre sur la question. Entrée en vigueur, sans doute, dès la rentrée 2009.
Justice : Une peine minimale à exécuter
Après des heures de discussions sur une éventuelle peine incompressible, le gouvernement Leterme est revenu quasiment mot pour mot au texte de l’Orange bleue. La loi sur le statut juridique externe des condamnés sera modifiée pour permettre au juge du fond, qui sanctionne les faits, d’imposer qu’une partie de la peine soit obligatoirement exécutée. Actuellement, à partir du tiers, pour une première condamnation, ou des deux-tiers en cas de récidive, le détenu peut demander une libération anticipée. C’est le tribunal de l’application des peines qui statue. L’accord de gouvernement prévoit que le juge du fond puisse imposer, pour des infractions très graves, une partie minimale de la peine à exécuter, un tiers et deux-tiers de la peine. Par définition, cette mesure ne s’adressera qu’aux condamnés primaires, les récidivistes purgeant déjà au minimum les deux tiers.
Pensions : Une revalorisation promise, mais pas financée
S’il est fidèle à sa déclaration, le prochain gouvernement multipliera les gestes en faveur des pensionnés. Des gestes qui, à ce stade, ne sont pas encore chiffrés.
L’accord de majorité prévoit que la hausse des pensions les plus basses va se poursuivre, et qu’elle sera étendue afin d’élargir le nombre de bénéficiaires. De combien ? En faveur de qui ? Avec quels moyens ? Mystère.
Le prochain gouvernement va également réformer le mode de calcul des pensions. L’objectif est de porter à la hausse le taux de remplacement. « Le gouvernement souhaite, à long terme, que le pensionné dispose de 75 % de son dernier salaire », dit un négociateur. L’accord ne souffle mot sur le coût de cette réforme.
Leterme Ier va aussi améliorer la liaison des pensions au bien-être. Une enveloppe, d’un montant que l’accord ne se risque pas à dévoiler, sera dévolue à cette revalorisation. Le programme du gouvernement reprend aussi la décision, prise en conclave budgétaire, d’augmenter de 2 % les pensions ayant pris cours entre le premier janvier 1988 et le 31 décembre 2002.
Une conférence nationale pour les pensions
Le gouvernement va aussi poursuivre la suppression progressive de la cotisation de solidarité. Le budget 2008 avait initié ce mouvement, en réduisant le montant de cette cotisation pour les pensions les plus basses.
Des mesures concerneront également les personnes bénéficiant d’une pension de retraite et qui ont atteint l’âge légal de la pension. Pour ces personnes, le prochain gouvernement décidera de l’extension des activités autorisées tout en conservant le bénéfice de la pension.
Pour remédier au vieillissement de la population, le gouvernement Leterme premier « mettra tout en œuvre pour que les gens puissent rester au travail plus longtemps », dit aussi l’accord. Le gouvernement se refuse toutefois à relever l’âge légal de la pension, préférant porter à la hausse l’âge de départ effectif à la retraite.
Enfin, le prochain gouvernement entend s’attaquer au dossier très délicat de la réforme du système des pensions. Pour déblayer le terrain, il instituera une Conférence nationale pour les pensions. Elle aura pour objectif de « réformer et renforcer le système de pensions et d’initier une réflexion sur les méthodes de calcul des pensions ».
Fiscalité : Quelques intentions, pas de chiffres : tout reste à faire
Comme pressenti, le chapitre pouvoir d’achat est évasif. Pas de chiffres, pas d’agenda : le débat sur la réduction de l’IPP aura lieu en octobre, lors de la confection du budget 2009. L’accord parle de « continuer à relever la quotité exonérée d’impôt » – part du revenu sur laquelle on ne doit pas d’impôt. En négociation, on a parlé de porter la barre à 8.400 euros. Pour MR et VLD, ça reste l’objectif. Il ne figure pas dans le texte. Celui-ci parle ensuite d’augmenter la déduction des frais forfaitaires et, d’autre part, de « faire un pas complémentaire en vue de limiter le nombre de barèmes intermédiaires de calcul de l’impôt ». Côté libéral, l’objectif était (est) de faire passer le nombre de tranches de 5 à 3. Le détail : plus tard… L’accord dit : ces « diminutions d’impôt devraient augmenter le pouvoir d’achat et réduire les pièges à l’emploi, en particulier pour les bas et moyens revenus ». Le CDH, hier, offrait un ordre de grandeur en indiquant que la réforme fiscale devra cibler les revenus situés entre 17 et 32.000 euros brut/an.
Allocations familiales : Un « treizième mois » en vue
L’accord parle d’abord de « consacrer des moyens supplémentaires correspondant à la liaison des allocations familiales au bien-être ». On parle ensuite d’effacer l’écart entre le régime des salariés et celui des indépendants, au nom du principe « un enfant égale un enfant. » L’allocation de rentrée scolaire sera à terme remplacée par le versement d’une treizième allocation familiale, versée en août. À noter encore que le gouvernement activera le Service des créances alimentaires, soutenant les familles monoparentales confrontées à la défaillance du débiteur : montants et conditions d’accès seront renforcés.

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