16 mars 2008

Bart De Wever : "Ce pays n'existe plus"

Le président de la N-VA (Nieuw Vlaamse Alliantie), Bart De Wever, tient-il le CD & V, voire l'avenir du pays dans sa main ? Quel est son projet politique ultime ? Qu'est-ce qui le distingue du Belang ? Une rencontre en toute franchise avec un homme qui ne manie pas la langue de bois.
La NV-A pourrait-elle finalement soutenir le gouvernement Leterme, lors du vote de la déclaration gouvernementale ?
On est en train d'en parler avec le CD & V. Clairement, nous n'entrerons pas dans le gouvernement. Il n'y aura pas de ministre NV-A. Mais on est prêt à discuter de notre position lors du vote de confiance. Nous voyons bien que le CD & V est embêté, parce que les autres partis, et singulièrement les partis francophones, arguent de notre abstention pour réclamer plus de compétences ministérielles, voire retirer un ministre au CD & V. Nous n'allons quand même pas faire le jeu de nos adversaires.
Yves Leterme vous a demandé publiquement de soutenir le gouvernement...On ne négocie pas en public.
Le cartel est indispensable pour vous ?
Ah, oui ! Nous avons obtenu 30 pc des voix. C'est un outil important pour obtenir des choses, notamment sur le plan communautaire. On ne va pas abandonner cela. Mais ce n'est pas tout d'avoir un bel outil. Il faut aussi qu'il serve à quelque chose. Et on ne va pas me faire croire que le premier paquet, jugé anecdotique par Didier Reynders, cela suffit. Tout comme on ne me fera pas croire que le texte de l'Octopus contient des gages suffisants pour une deuxième phase importante. À quel président de parti peut-on demander d'entrer dans un gouvernement alors qu'il est presque sûr qu'il ne réalisera rien de son programme ?
Pour Karel De Gucht, la NV-A est congénitalement incapable de boucler un accord ?
Pour les francophones, c'est très facile de dire "non". Nous, pourquoi devrions-nous accepter le statu quo alors que nous voulons progresser ? Mais si on considère que ceux qui ont de l'ambition sont des caractériels... alors bon, nous sommes des caractériels.
Dans le texte de l'Octopus, il y a des engagements pour une large réforme de l'Etat...
Je ne suis pas d'accord. Il n'y a rien dans ce texte. C'est juste un texte rédigé par des gens qui n'étaient d'accord sur rien et qui ont convenu qu'on pouvait parler de tout. Cela me fait penser à ce que Napoléon a dit de la Bible : "Il y a beaucoup de promesses, beaucoup de bonnes intentions, mais rien de concret". Nous avons promis à nos électeurs que nous n'entrerons pas dans un gouvernement sans avoir la certitude qu'il y aurait une importante réforme de l'Etat. On sait bien qu'on ne réalisera pas tout notre programme. Mais il faut des avancées sur la régionalisation des leviers socio-économiques : le marché du travail, fiscalité, etc. Ce sera aussi bénéfique pour la Wallonie.
Êtes-vous pour le maintien de la solidarité au sein de l'Etat belge ?
On ne l'a jamais remise en question. Ce que nous voulons en revanche, c'est transformer la solidarité interpersonnelle actuelle en une solidarité de région à région.
Vous avez pourtant organisé un convoi de 12 camions à travers la Wallonie en disant que c'est ce qu'il faudrait pour transporter le montant, en coupures de 50 euros, des flux financiers du Nord vers le Sud du pays.
Ce n'était ni une action gentille ni une action subtile, je l'avoue. Il faut la comprendre : j'étais à un débat télévisé avec Rudy Demotte (PS). Quand j'ai essayé d'ouvrir, gentiment, le débat sur les transferts Nord-Sud, il m'a traité de raciste. C'est ce jour-là que j'ai décidé de faire une action dure. Quand on ne veut pas parler, on doit parfois forcer le débat. Avec le recul, je ne le referais pas.
N'est-il pas normal qu'il y ait des transferts à l'intérieur d'un Etat fédéral ?
Vous avez raison. Dans chaque Etat fédéral, il y a des transferts. Dans l'Europe aussi, il y a des transferts. La NV-A ne remet pas cela en cause. Mais en Belgique, on a des démocraties tout à fait autonomes. Et les transferts se font d'une région à l'autre. Cela pose des problèmes sur le plan de la transparence, de l'efficacité et de la responsabilité. Nous, nous ne sommes pas prêts à financer l'Etat PS. En Wallonie, il n'y a que 54 pc de la population active au travail, et parmi ceux-là, 40 pc travaillent pour l'Etat.
Niez-vous le redressement économique en Wallonie ?
Pour moi, la situation de la Wallonie, c'est une suite de l'unitarisme belge. On a maintenu les secteurs économiques traditionnels en vie trop longtemps. À cause du manque de responsabilité. L'histoire du redressement de la Wallonie, on l'entend depuis déjà 25 ans. Quand j'étais à l'école secondaire, dans les années 80, on me parlait déjà de la "Wallifornie". On allait voir ce qu'on allait voir. On entend cela à nouveau. Mais le Bureau du plan estime que la croissance économique restera plus faible en Wallonie qu'en Flandre jusqu'en 2012 au moins.
Est-ce que vous ne véhiculez pas des clichés ? Il y a une Wallonie qui marche bien, des secteurs de pointe dans le Brabant wallon, le Namurois, le Luxembourg...
Je sais bien qu'il n'y a pas une Wallonie homogène. La Wallonie n'a pas développé son identité comme la Flandre où l'idée de devenir un pays a gagné les esprits. Maintenant, je peux comprendre qu'il est plus difficile de s'identifier avec la Wallonie comme un pays de destin. Le gouvernement flamand est très bien identifié. Du côté francophone, c'est plus compliqué. Et puis, il y a beaucoup de nationalités différentes, des Italiens...
... en Flandre aussi, il y a des Italiens, des Turcs, non ?
Sans doute. Mais en Flandre, la confiance dans la Communauté est plus forte. Le gouvernement fonctionne, il n'y a pas de dettes ni de grandes discussions. Quand on voit le niveau fédéral, c'est tout autre chose. La Belgique, c'est une dette énorme, des luttes communautaires incessantes, des grandes difficultés de faire des compromis. Pour la Flandre, la Belgique, c'est le niveau où il n'y a que des problèmes. Mais en Wallonie, on ne voit pas les choses comme cela. De plus, en Wallonie, le contrôle démocratique ne fonctionne pas bien. Les aides européennes dans le Hainaut ont été mal utilisées. Mais il n'y a pas eu de sanctions. Les Flamands ne peuvent pas sanctionner un élu wallon.
Il faudrait une circonscription fédérale unique...
Une très mauvaise idée, cette circonscription unique. Elio Di Rupo aussi est radicalement contre. Cela n'a pas de sens, une circonscription unique en Belgique, parce que cela ne correspond pas à la société. Les médias sont divisés, la culture est divisée, l'opinion publique. On ne va pas construire une circonscription pour deux communautés distinctes. Le pays n'existe plus.
Dans votre tête, le pays n'existe plus ?
Pas seulement dans ma tête. La Belgique a existé mais elle n'existe plus. Le mouvement nationaliste flamand dit que c'est un Etat artificiellement créé...
Moi, je ne dis pas cela. A sa naissance, la Belgique correspondait à 100 pc aux voeux de l'élite, uniquement francophone. Au début, le mouvement flamand ne demandait pas la fin de la Belgique. Il voulait juste redéfinir le projet initial, davantage mieux tenir compte de sa composante germanique. C'est au début du vingtième siècle, que le mouvement flamand, lassé de ne pas être entendu, a commencé à vouloir abandonner le projet belge. Maintenant, on ne peut que constater le dédoublement de la nation belge. Les partis politiques sont scindés, le réseau belge s'évapore.
Les syndicats sont restés unitaires...
Ce n'est pas un hasard. La gauche flamande a peur d'être minorisée dans une Flandre autonome. Elle a toujours eu besoin de la gauche wallonne, plus forte.
Combien d'années donnez-vous encore à la Belgique ?
Impossible à dire. C'est une évolution à long terme. Et je ne vois pas pourquoi cela s'arrêterait. Ce n'est pas une circonscription fédérale qui pourrait changer le cours de l'histoire. Mais il y a beaucoup de problèmes comme le statut de Bruxelles. Je suis un conservateur. Pas un révolutionnaire. Et cela dépend aussi beaucoup de l'évolution de l'Europe. Pour moi d'ailleurs, la Belgique est déjà un niveau supranational. Un niveau national demande une démocratie avec une certaine homogénéité. La Belgique n'est qu'une conférence diplomatique permanente entre deux pays.
Quel est votre projet ultime ? Une séparation ? Deux petits Etats indépendants ?
Je pense que l'évolution va provoquer une évaporation de la Belgique. On n'est pas au Kosovo ni au XIXe siècle. On est membre de l'Union européenne qui, aujourd'hui, décide de 60 pc de nos lois. On ne sera jamais complètement indépendant.
Que faites-vous de Bruxelles ?
C'est une question difficile. Bruxelles est géographiquement en Flandre, mais elle a été francisée en profondeur. A Bruxelles, ce sont des vrais Belges. La Flandre ne peut pas dire : "Bruxelles est à nous". Bruxelles, qui est un enfant de la Belgique, appartient aux Bruxellois, mais aussi aux autres Régions. Bruxelles n'est rien sans la Flandre. La Flandre est amputée sans Bruxelles. Il faut travailler ensemble. Les Wallons y seront aussi toujours les bienvenus. On ne va pas construire les murs.
On peut donc bouger les frontières ?
Ça, c'est un jeu dangereux. Il faut comprendre la Flandre. On a toujours changé les frontières au détriment de la Flandre. Les Flamands sont comme des Québéquois. Ils doivent se protéger d'une culture beaucoup plus puissante. Je ne comprends pas pourquoi les francophones n'arrivent pas à accepter qu'on a fixé des frontières linguistiques et adopter l'unilinguisme...
...en échange, notamment, du droit, accordé aux habitants de la périphérie, de voter pour des candidats francophones de Bruxelles...
En 1963, on a laissé des anomalies... C'est la Cour constitutionnelle qui l'a dit.
Elle n'a pas dit qu'il fallait scinder l'arrondissement BHV...
Ce n'est pas la seule solution. Mais c'est la solution la plus logique. Cela constituerait la fin d'une discussion du siècle passé sur le développement culturel de la Flandre. Pendant 150 ans, nous avons été des citoyens de deuxième classe sur le plan culturel. C'est fini.
Les Bruxellois néerlandophones risquent d'être marginalisés par une scission...
Il faut accepter les conséquences de la scission.
Qu'est-ce qui distingue la N-VA du Vlaams Belang ?
Il y a deux choix quand on est nationaliste flamand : on peut vouloir, comme nous, changer les choses en participant au changement ou se dire hostile à la Belgique comme le Vlaams Belang en rejetant toute participation au système. Le Vlaams Belang attend. Il ne changera jamais rien. Et il complique la tâche des autres. Car il a placé la demande pour l'autonomie de la Flandre dans un contexte de racisme et de l'extrême-droite. Il est devenu très facile pour les francophones de dire : "Vous avez vu qui sont les autonomistes flamands, leur projet a l'air vraiment intéressant". Si le Vlaams Belang n'existait pas, les francophones devraient l'inventer.
Ils nuisent à la cause flamande ?
Oui. Tout à fait.
Qui est responsable de l'échec de l'orange bleue ? La N-VA ?
Le seul parti francophone qui a eu une écoute pour les thèses flamandes, c'est le MR.
Le MR, c'est aussi le FDF...
Oh, le FDF mène le combat du siècle passé, qui n'a plus lieu qu'à Bruxelles et en périphérie. C'est un micro-ennemi. Les vrais problèmes, ce sont les problèmes socio-économiques. Et là, j'ai bien vu que, parmi les francophones, seul le MR était prêt à abandonner le discours de la crainte, de la misère, de la dépendance. Ce qu'on peut reprocher à Didier Reynders, c'est de n'avoir rien fait pour essayer de sortir Joëlle Milquet de sa logique, hostile à l'orange bleue. Reynders a toujours été très cynique, avec des phrases qui tuent et un certain machisme. Ce n'était pas la meilleure façon de convaincre Joëlle Milquet.

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