L'islam, première religionà Bruxelles dans vingt ans
Jeune musulmane arborant un drapeau belge lors d'une manifestation à Bruxelles en 2004. Aujourd'hui, un tiers de la population est musulmane et les jeunes générations sont plus pratiquantes.
La capitale européenne sera musulmane dans vingt ans. C'est du moins ce qu'affirme une étude publiée la semaine dernière dans le quotidien La Libre Belgique. Près d'un tiers de la population de Bruxelles étant déjà musulmane, indique Olivier Servais, sociologue à l'Université catholique de Louvain, les pratiquants de l'islam devraient, en raison de leur forte natalité, être majoritaires «dans quinze ou vingt ans». Depuis 2001, Mohamed est, chaque année, et de loin, le premier prénom donné aux garçons nés à Bruxelles.
«Il faut relativiser ces chiffres, insiste Mahfoud Romdhani, député socialiste et vice-président du Parlement francophone bruxellois. Les immigrés de pays musulmans ne sont pas tous musulmans ! Moi-même, je suis de culture musulmane, mais agnostique.» Olivier Servais se veut d'ailleurs prudent sur les projections à long terme, Bruxelles subissant des flux de population importants en tant que capitale de l'Union européenne.
Reste, constate La Libre Belgique, que «si leurs parents n'étaient guère pratiquants», pour faciliter l'intégration dans leur pays d'accueil, «les jeunes marquent un retour important vers le fait religieux». Quelque 75 % des musulmans s'estiment aujourd'hui pratiquants. Auteur d'Infiltrée parmi les islamistes radicaux*, la journaliste flamande Hind Fraihi va plus loin : «Les jeunes sont de plus en plus radicalisés, affirme-t-elle. Ils rejettent les valeurs occidentales, même leurs parents s'en inquiètent. À Bruxelles, il existe des îlots, comme Molenbeek, où l'on a parfois du mal à se croire en Belgique…»
Du bazar Tafoukte à la bijouterie Mohammed, les musiques du Maghreb envoûtent le passant. Encombrée de seaux en plastique multicolores, de chaussures de sport et de caftans chatoyants, la ruelle piétonnière du Prado conduit à la mairie de Molenbeek, le quartier marocain de Bruxelles. Presque toutes les femmes sont voilées et les commerçants parlent arabe. «On se sent mieux, ici, qu'en France ou en Espagne, assure Akim, gérant d'un magasin de vêtements. Peut-être parce qu'on est une grande communauté. C'est comme au pays !»
«Gestes de respect»
Il y a quelques années, raconte Philippe Moureaux, le bourgmestre PS de Molenbeek, «des musulmans sont venus me trouver : ils voulaient que je sois le “président” de leur nouvelle mosquée…». C'est dire si cet ancien ministre, pourtant agnostique, est bien vu par le «gros tiers» de musulmans parmi ses 83 000 administrés. Création d'un Conseil consultatif des mosquées doté d'allocations de la mairie, ouverture d'un abattoir municipal pendant la fête du sacrifice, présentation d'une liste électorale comprenant une majorité de musulmans… «Ce sont des gestes de respect qui m'ont valu la confiance de cette communauté, explique le bourgmestre. On a été très loin, certains disent trop loin. Mais pour moi, la seule solution, c'est l'ouverture.»
Selon Alain Escada, président de l'association Belgique et chrétienté, «on va d'abandon en abandon». «De plus en plus de cantines introduisent des menus halal aux dépens des chrétiens, déplore-t-il. Les autorités ne font plus leur travail : les politiques, qui, avec une vision à court terme, sont prêts à tout pour séduire un nouvel électorat, mais aussi le clergé, qui met les musulmans et les chrétiens sur un pied d'égalité, alors que c'est loin d'être réciproque : voyez cet archevêque assassiné récemment en Irak !»
Pour l'instant, «l'essentiel de l'islam belge est paisible et familial, souligne Olivier Servais, mais un jour il y aura peut-être une revendication claire d'islam. Je n'exclus pas des explosions sociales.» Des partis communautaristes, redoute-t-il, pourraient capitaliser sur le taux de chômage très élevé à Bruxelles (plus de 20 % de la population), qui frappe notamment la population musulmane.
Jean-François Bastin, un Belge de 65 ans coiffé d'un turban à carreaux et la barbe teinte au henné, s'appelle aujourd'hui Abdullah Abu Abdulaziz Bastin. Converti à l'islam, il a fondé en 2004 le Parti des jeunes musulmans. Abdullah ne serre pas la main des femmes. «C'est tromper Allah, lâche-t-il. C'est aussi tromper celle à qui l'on donne la main, en lui faisant croire que vous êtes égaux. Mais je vous fais un grand sourire !» s'empresse-t-il d'ajouter.
«Instrumentalisation»
Lui-même clame que les sourires, que certains politiques font aux musulmans ne sont qu'une «instrumentalisation grossière : Il y en a assez de cette sorte de néocolonialisme, s'emporte-t-il. Ils prétendent qu'ils vont nous défendre, et ensuite ils interdisent le foulard à l'école !». Aux dernières élections municipales, le PJM, qui ne se présentait que dans deux quartiers de Bruxelles, a rassemblé moins de 5 000 voix. «Nous pourrions prendre appui sur cette étude pour exiger plus de mosquées visibles, des appels à la prière, des cimetières, des écoles, des maisons de retraite…, s'emballe le converti. Moi je dis aux musulmans : “Perdez cet esprit de colonisé ! Les colons se sont fait bouter hors d'Algérie, c'est peut-être ce qui se passera ici.”» Les immigrés, conclut-il, en ont assez fait, et «même trop» pour s'intégrer : «c'est désormais à la Belgique de s'adapter».
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