Double casquette pour Demotte
Région wallonne et Communauté française auront un ministre-président commun.
« Cette nomination, c’est la reconnaissance du fait régional. »
Grande première dans l'histoire institutionnelle de la Belgique fédérale : Communauté française et Région wallonne ont un même patron : Rudy Demotte. C'est la vraie surprise de la journée, signée Elio Di Rupo. Un geste majeur sur l'échiquier politique. Pour plusieurs raisons.
1 Un signal clair dans le jeu francophone. Symboliquement, le président du PS tranche, d'une réponse concrète, un débat stérile qui agite l'espace francophone depuis plusieurs années. À l'origine, un constat : deux Régions et une Communauté, c'est beaucoup face à une Flandre homogène. Mais, par-delà les slogans – les uns prônant la fusion de la Région wallonne et de la Communauté française, les autres évoquant la mort de la Communauté, pour ne garder qu'une coupole entre Régions – personne n'a jamais produit le moindre scénario crédible. Et pour cause : fondre dans une communauté francophone une région unilingue et une bilingue ne va pas de soi. À moins d'oublier les Flamands de la capitale et leurs droits. En attendant que des constitutionnalistes, par exemple à la commission Wallonie-Bruxelles, produisent des scénarios praticables, la solution Demotte, fût-elle partielle, a le mérite d'être applicable immédiatement.
Concrètement, dès ce matin, Rudy Demotte préside donc les deux gouvernements. « Et j'organiserai, toutes les deux semaines, une rencontre avec les ministres bruxellois francophones », précise-t-il. Et c'est lui qui répondra aux deux parlements. « Un espace francophone est en train de se forger », note ce ministre wallon.
2 Un renforcement du fait régional. Les régionalistes apprécieront, pour le coup, que ce soit un ministre-président régional qui hérite, en prime, d'une casquette communautaire, et non l'inverse. Ils se réjouiront aussi des déclarations de l'intéressé, qui fait peu mystère de son credo régional. Et, surtout, les Bruxellois, qui ont toujours craint d'être embarqués dans un espace exclusivement francophone peu adapté à leur réalité bilingue, savoureront le discours de Di Rupo. Qui, pour la première fois, affirme haut et fort qu'il faut renoncer à la fusion. « Il y a une donnée nouvelle, c'est l'émergence, de plus en plus marquée, d'une identité régionale bruxelloise ». Une remarque appuyée par Rudy Demotte qui précise : la philosophie, aujourd'hui, est bien de créer un lien organique entre les Régions wallonne et bruxelloise pour les renforcer.
3 Objectif : renforcer la cohérence. Si le débat peut sembler institutionnel, il est aussi et surtout fonctionnel. Car, pour l'heure, les deux Régions travaillent chacune de leur côté. Les contacts sont rares, les coopérations presque aussi difficiles qu'avec un pays étranger. Faut-il rappeler que le plan Marshall a été élaboré sans consulter Bruxelles, qui a défini les priorités de son contrat pour l'économie et l'emploi dans sa tour d'ivoire ? Faut-il aussi préciser que l'un des défis des deux Régions, la réduction du chômage, passe par des actions en matière d'enseignement et de formation, qui sont pour l'heure gérées par la seule Communauté ? Voilà pourquoi des liens renforcés entre ministres semblent plus que nécessaires, et que la présence de Rudy Demotte dans les deux exécutifs est un bon début, qui en fait le garant de la cohérence.
4 Un bon point devant les Flamands. Kris Peeters n'aura désormais plus qu'un seul interlocuteur. Parfait bilingue, très bien perçu en Flandre, Demotte véhiculera un seul et même discours politique, sans discordance. En ce sens, politiquement, la double casquette de Demotte pèse lourd.
5 Des relents électoralistes. Reste que ce remaniement est aussi un coup de maître du stratège Di Rupo. L'arrivée de Demotte redonne des couleurs à un gouvernement « cliniquement mort depuis la douche de Marie, nous dit ce cacique socialiste. C'est une garantie de sérieux et de crédit. Avec lui, pas d'esbroufe mais du travail. » Demotte devient l'homme politique francophone le plus puissant. Excellent pour le PS dans la perspective des régionales de 2009 dans le Hainaut. C'est en effet là qu'au fédéral, le PS a perdu le plus de plumes, au profit du MR. « Demotte est manifestement chargé de jouer le M. Bons Offices pour redorer l'image du PS qui n'est pas au mieux dans les sondages », souligne l'un de ses ministres.
Rudy, héraut régionaliste
ANALYSE
Huit mois. C'est le temps qu'il aura fallu à Rudy Demotte pour être intronisé premier ministre-président à double casquette (Région wallonne – Communauté française) de l'histoire de la Belgique fédérale.
C'est aussi le temps qu'il aura mis, en bon ch'ti multilingue, pour maîtriser parfaitement l'accent régionaliste, en version contemporaine, s'entend. Fort différent dans l'expression de ceux de ses « ancêtres » mais néanmoins centré sur le développement des Régions bruxelloise et wallonne. Plus qu'un symbole, un signe bien tangible d'une nouvelle posture politique.
Faut-il voir dans votre double casquette un signe de ce que pourrait être l'évolution future des institutions francophones ?
Oui, je pense que c'est évident. Cette nomination, c'est la reconnaissance du fait régional. Une manière de dire aux Bruxellois francophones et aux Wallons qu'il faut qu'ils articulent mieux leurs programmes pour réussir. Pour moi, il s'agit bien d'une ministre-présidence unique. C'est le même chef d'orchestre qui va devoir apprendre à des musiciens à jouer une partition cohérente sur des thèmes majeurs comme le développement économique des bassins bruxellois et wallon mais aussi l'enseignement et la formation.
C'est un discours très régionaliste ça…
Le phénomène régional est un phénomène évident. Il reconnaît tant la Région bruxelloise que la Région wallonne.
On est très loin de l'idée de fusion et/ou de l'absorption entre Région et Communauté…
Comme Richard Miller l'a dit mercredi au parlement wallon, la fusion Communauté/Région n'est pas la voie la plus intelligente à suivre. Elle nie le fait régional. Ce qui est important, c'est que les francophones bruxellois et les Wallons aient un lieu de dialogue commun. Avec une ministre-présidence commune, on montre que l'on va dans cette direction. Pour l'avenir, il me paraît difficile pour les francophones de faire un autre choix que celui-là. Maintenant il faut voir les propositions qui vont sortir du groupe Wallonie-Bruxelles de Philippe Busquin et Antoinette Spaak.
Un seul ministre-président, n'est-ce pas aussi un message adressé à la Flandre ?
Il est évident que cette double casquette crée du sens par rapport aux contacts que la Wallonie et Bruxelles peuvent avoir avec la Flandre. Il y aura désormais un seul interlocuteur qui représentera tous les francophones. C'est dire aussi qu'on veut qu'il y ait une voix claire qui s'exprime, qu'il y ait plus d'unité. La simplification du message politique est un signal qui va dans le bon sens.
Vous êtes multilingue, arriverez-vous à parler d'une seule et même voix ?
Le multilinguisme permet souvent de structurer ses idées de manière plus claire. Je ne parlerai ni en bulgare, ni en anglais, ni en néerlandais. J'essayerai de parler la langue commune des francophones bruxellois et des Wallons.
Il vous reste très peu de temps pour travailler, quel va être
votre agenda ?
Je vais commencer par organiser de manière régulière des réunions communes des ministres francophones bruxellois et de la Communauté française. De la même manière je vais travailler sur des gouvernements thématiques Wallonie-Bruxelles pour permettre le développement des Régions.
Allez-vous enfin, comme le recommandent la plupart des économistes, étendre le très wallon plan Marshall à Bruxelles et à la Communauté française ?
C'est la priorité : voir comment le plan de développement économique de Bruxelles peut bénéficier de l'aide de la Communauté au maximum ; voir aussi comment le plan Marshall peut trouver les meilleurs appuis. La Communauté française se met à la disposition des Régions, c'est ça le message.
Ce nouveau jeu de chaises musicales n'est-il pas la preuve ultime que Communauté et Région jouent bien en seconde division ?
Je crois qu'on vient au contraire d'inviter les instances régionale et communautaire en division 1. Un seul ministre-président, c'est montrer que c'est un enjeu important en termes d'expression de la voix francophone.
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