Selon des témoins sur place, la police anti-émeute s'est déployée dans les rue de la capitale zimbabwéenne lundi matin peu avant l'annonce prévue des premiers résultats des élections. Des policiers armés de matraques patrouillaient lundi matin dans les rues du centre de Harare, alors que les habitants se rendaient au travail.
Zimbabwe : l’inévitable réélection du dictateur Robert Mugabe
Il est des pays où la démocratie est avérée et vérifiée, comme en Europe ou en Amérique du Nord. D’autres où elle est hésitante, discutable, du moins maladroite comme en Russie. Et puis d’autres qui sont clairement en dehors de tout processus électoral sincère. Comme le Zimbabwe. Samedi 29 mars 2008, le Zimbabwe organise une élection présidentielle et des élections législatives, sénatoriales et municipales. Une première issue d’un amendement constitutionnel de 2007 visant à rassembler toutes les élections le même jour et pour un mandat de cinq ans.
Dans la course
Qui sont les candidats pour cette élection présidentielle ?
Le président sortant Robert Mugabe (ZANU-PF), le leader de l’opposition (dirigeant le MDC), Morgan Tsvangirai, l’ancien ministre des Finances Simba Makoni devenu dissident, et Langton Toungana, inconnu dans la classe politique.
Quatre candidats, et 5,9 millions d’électeurs.
Soit deux de moins que le 11 mars 2002. Et aucune candidate contrairement à 2002 avec la candidature d’Elizabeth Madrangure.
Pour les autres élections, la parité politique au Zimbabwe a encore beaucoup de chemin à faire. Pour les élections législatives, seulement 99 femmes se présentent sur 730 candidats (le 31 mars 2005, 57 sur 273) et pour les élections sénatoriales, 63 candidates sur un total de 195 (le 26 novembre 2005, 45 sur 132).
Le Parlement sortant est le suivant :
1. Députés élus : 78 sièges pour la ZANU-PF et 41 pour le MDC (39,5%).2. Sénateurs élus : 43 sièges pour la ZANU-PF et 7 pour le MDC (20,3%).
D’autres parlementaires sont nommés par le gouvernement (vieille pratique à l’époque de la surreprésentation des Blancs et du passage progressif du pouvoir aux Noirs). Cette ‘tradition’ a permis de renforcer la majorité de Mugabe, notamment pour d’éventuelles réformes constitutionnelles.
Sincérité du processus mise en doute
La loi électorale s’est améliorée pour rendre plus rigoureuses les opérations électorales et Robert Mugabe a même mis en place une procédure internationale pour se dédouaner d’éventuelles fraudes, où l’Angola joue un rôle prédominant.
130 techniciens étrangers africains seront présents pour valider l’organisation des élections et seront dirigés par le ministre angolais de la Jeunesse et des Sports (José Marcos Barrica).
Mais les observateurs occidentaux ont été interdits de se rendre au Zimbabwe pour témoigner de la bonne tenue de ces élections sous prétexte que les Occidentaux ne seraient pas objectifs ni neutres car ils ont diabolisé Mugabe parce qu’il s’en est pris aux intérêts des fermiers blancs.
Les États-Unis ont par exemple estimé le 25 mars 2008 que le processus électoral n’était ni libre ni équitable.
L’organisation Human Right Watch a protesté le 26 mars 2008 contre de « sérieux vices de forme électoraux et violations des droits de l’Homme par le gouvernement [zimbabwéen] qui sabotent tout espoir sérieux d’élections libres et justes » affirmant que « la police n’est toujours pas neutre et toujours partisane, ce qui est très préoccupant ».
Des représentants de la société civile zimbabwéenne ont été victimes de pression.
A priori, on peut donc légitiment croire qu’aucun enjeu politique ne sera de mise pour cette élection, tant la réélection de Robert Mugabe paraît aujourd’hui acquise.
Lors de son meeting le 24 mars 2008 à Bulawayo, Mugabe a clairement évoqué sa prochaine victoire électorale et le 23 mars 2008, à Harare (la capitale), il a même déclaré que l’opposition n’exercerait jamais le pouvoir de son vivant : « Cela n’arrivera pas tant que nous serons vivants, nous tous qui avons organisé le combat pour la libération. ».
Cependant, Tsvangirai a demandé le 24 mars à Harare de résister aux pressions : « On ne va rien céder lors du scrutin. Quand vous aurez voté, il faudra rester dans les bureaux de vote, il faudra défendre votre choix, ainsi nous célébrerons notre victoire. »
Cette semaine à Nyanga, Mugabe a pourtant traité ses rivaux de menteurs : « Vous n’arrêtez pas de mentir sur le fait que les élections sont truquées. (...) Ce sont des mensonges empruntés à leurs maîtres, parce que ces derniers disent que les élections ne seront ni libres ni équitables. Ce ne sont que de satanés menteurs, des menteurs démoniaques » et a mis en garde le MDC contre des manifestions en cas d’échec électoral en évoquant le précédent du Kenya qui a fait 1 500 morts : « Ne vous risquez même pas à essayer ! Essayez et vous allez voir ce que vous allez voir ».
Mais qui est donc Mugabe ?
Il a 84 ans. Au pouvoir depuis plus de vingt-sept ans : il a été Premier ministre du Zimbabwe du 18 avril 1980 (lors de l’indépendance reconnue de la communauté internationale) à 1987 puis président du Zimbabwe depuis 1987. Il sollicite ce samedi son sixième mandat.
Il a été, avec Joshua Nkomo, l’un des pères de l’indépendance du Zimbabwe, ancienne colonie britannique sous le nom de Rhodésie principalement.
Converti au maoïsme, chef de guérilla, en prison pendant dix ans de 1964 à 1974, Mugabe était un partisan de la méthode violente contre le régime de l’époque où les Blancs avaient pris un pouvoir disproportionné.
Il ne faisait pas partie de ces dirigeants politiques noirs qui, à l’instar d’Abel Muzorewa et de Canaan Banana, ont négocié pendant les années 1970 la fin de la domination blanche avec Ian Smith, l’homme fort de la Rhodésie (Premier ministre pendant quinze ans).
Il devint Premier ministre du nouvel État après la victoire de son parti aux élections du 4 mars 1980 en obtenant 57 sièges sur 100.
Il commença à gouverner avec beaucoup d’espoirs, notamment en fondant sa politique sur une union entre les deux ethnies Shonas et Ndébélés. Une union qui se cassa vite sous la pression des Shonas (dont il fait partie), ce qui entraîna le pays dans une guerre civile contre Nkomo (issu des Ndébélés). Mugabe eut des accords de coopération avec la Corée du Nord pour l’instruction de son armée à cette époque.
Cette guerre civile se termina en 1987 en même temps que la fin de la surreprésentation des parlementaires blancs (20 sur 100 sièges).
Mugabe supprima alors le poste de Premier ministre et se fit président avec de grands pouvoirs.
Après sa réélection de 1990, Mugabe voulu imposer le système communiste de parti unique, mais la chute du Mur de Berlin fit constitutionnellement échouer cette tentative.
Cependant, le régime n’eut plus d’opposant de facto.
En mars 1996, Mugabe fut réélu sans difficulté avec 92,7 % contre 4,8 % à l’ancien Premier ministre (son prédécesseur en 1979) Abel Muzorewa qui se retira sous la pression juste avant l’élection (mais son nom était déjà indiqué sur les bulletins de vote).
Alors qu’en 1980, il avait rassuré les fermiers blancs (qui produisaient 80 % du PIB du pays) en excluant toute expropriation forcée des terres, il décida de mettre en œuvre une réforme agraire très brutale dans un pays agricole initialement plein de ressources.
Hélas pour lui, le référendum du 13 février 2000 rejeta son projet constitutionnel (54,7 % de non), mais cela ne l’empêcha de mettre en pratique sa réforme agraire. Son parti ZANU-PF a failli perdre d’ailleurs les élections législatives du 25 juin 2000 avec seulement 62 sièges contre 57 pour le MDC de Tsvangirai, principal parti d’opposition (avec 47,0 %).
En mars 2002, malgré de nombreuses fraudes constatées par des observateurs, Mugabe parvint laborieusement à être réélu avec seulement 56 % contre 42 % à Tsvangirai qui représentait alors une figure alternative crédible.
En mars 2005, Mugabe renforça la fraude pour largement battre aux élections législatives le MDC dont le dirigeant fut par la suite incarcéré à l’occasion de manifestations interdites par le pouvoir (avant, Tsvangirai avait même failli être condamné à mort pour haute trahison, mais il fut finalement relaxé en 2004).
Pour compléter le portrait et se donner une idée du personnage (finalement assez banal parmi les dictateurs de ce monde), quelques faits supplémentaires :
1. Robert Mugabe reconnut lui-même l’emploi de la torture (Le Monde du 9 mars 2002).2. Il a rencontré plusieurs fois le président iranien Ahmadinejad, à Téhéran le 20 novembre 2006, où il fut accueilli en héros pour mettre fin au système hégémonique du monde, et à New York le 25 septembre 2007 pour créer une « coalition pour la paix » contre George W. Bush.3. Il entretient de très bonnes relations avec la Corée du Nord et Cuba.4. Il a refusé l’extradition de Mengistu Haïlé Mariam, le sanguinaire Negus rouge qui dirigea l’Éthiopie de 1977 à 1991, condamné à la réclusion à perpétuité par contumace le 28 décembre 2006, jugé coupable de génocide et réfugié au Zimbabwe.
Situation catastrophique du pays
Rappelons aussi que le Zimbabwe (ex-Rhodésie) a connu les mêmes turpitudes qu’en Afrique du Sud, un régime ségrégationniste avec une minorité blanche qui avait le double pouvoir, politique et économique, puis économique après l’indépendance.
À partir de 2000, la « réforme agraire accélérée » pour exproprier les quatre mille fermiers blancs propriétaires de la plupart des terres fertiles a été brutale et menée par des milices présidentielles, cassant la prospérité pourtant établie du pays considéré comme le grenier à grains de l’Afrique.
Pénuries et répression semblent être les nouvelles devises du Zimbabwe.
La situation du pays aujourd’hui est en effet catastrophique :
1. On n’y trouve plus ni essence ni savon ni dentifrice ni huile ni farine ni ligne téléphonique... Les hôpitaux, les écoles et les autres services publics sont en état d’abandon.2. 67 % des morts sont dues au sida (250 morts par jour).3. L’espérance de vie est de 34 ans pour les femmes et de 37 ans pour les hommes.4. En 2007, l’inflation aurait été à 66 000 voire de 150 000 % selon le FMI.5. Le chômage touche 80 % de la population.6. 4 des 12 millions de Zimbabwéens dépendent de l’aide alimentaire distribuée par le parti de Mugabe qui réduit ainsi les oppositions dans les campagnes.7. Les bidonvilles d’Harare ont été détruits en 2005 pour éviter toute révolte des ‘petites gens’.8. En huit ans, le nombre d’enseignants a chuté de 150 000 à 70 000 (dont 25 000 en moins uniquement pour 2007) en raison de la répression et de la torture....
Un avenir peu radieux
Les élections du 29 mars 2008 ne changeront sans doute pas cet état calamiteux.
Les dirigeants autour de Mugabe continuent en effet de s’enrichir pendant que le pays se délite.
La vice-présidente Joyce Mujuru, qui devrait à terme lui succéder, a considéré que le Zimbabwe ne devait pas « se permettre de changer de leader comme de chemise ».
En face, l’opposant Tsvangirai du MDC est contesté pour son manque de pugnacité (il veut agir seulement dans un cadre légal) et est affaibli par des querelles internes.
En effet, le candidat indépendant Simba Makoni a réussi à obtenir l’appui tant d’une partie de la ZANU-PF (parti de Mugabe) que du MDC (parti de Tsvangirai).
Cette division favorisera évidemment Mugabe qui, de toutes façons, contrôle toutes les opérations électorales.
Faudra-t-il donc attendre la mort de ce leader pourtant historique du Zimbabwe pour permettre la renaissance de ce pays avec un potentiel autant gâché ?
L’exemple du Turkménistan a montré qu’il faudra peut-être attendre encore plus longtemps...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 mars 2008)