29 novembre 2006

La Flandre est-elle prête à faire imploser la Belgique ?

La fin du fédéralisme de consommation, le frein autonomiste

La réforme de l'État promise en Flandre a perdu son meilleur moteur : l'argent. Mais le Nord n'en démord pas...

L 'impatience flamande de larguer les francophones ou, à défaut, d'effectuer un pas de géant vers l'autonomie est palpable. Les signes de fébrilité se bousculent ces derniers mois.
En décembre dernier, le plaidoyer du Manifeste des économistes regroupés dans le think tank « In de Warande » pour l'indépendance de la Flandre rappelle aux francophones qui en doutaient encore que le Vlaams Belang n'est pas seul à revendiquer la partition de l'Etat.

En février, Yves Leterme, ministre-président flamand, verse une louche d'huile sur le feu en remettant en cause le statut de Bruxelles : la vice-Première PS Laurette Onkelinx le qualifie d'homme dangereux.
Le 1 er juin, en séance plénière de la Chambre, deux membres du Vlaams Belang déposent une proposition de résolution relative « au démembrement de l'Etat belge en vue d'accorder l'indépendance au peuple flamand et au peuple wallon souverains ». Par 77 voix (flamandes) contre 51 voix (francophones) et une abstention (celle du président De Croo), la Chambre prend cette proposition en considération.
Le 11 juillet, jour de la fête « nationale » flamande, le discours de Norbert De Batselier, le réputé très modéré président du Parlement flamand, fait bondir les francophones : « Les besoins de la Wallonie et de la Flandre diffèrent sur le marché de l'emploi. Il faut donc régionaliser la politique de l'emploi. Il est tout aussi anachronique que l'impôt des sociétés soit fédéral alors qu'il s'agit d'une matière de soutien aux entreprises, ce qui relève de nos compétences. »
A la mi-août, Yves Leterme - encore lui, l'homme qui ne nie plus qu'il pourrait bien devenir le futur Premier ministre - se fend d'une interview gratinée à Libération : il y donne la priorité à la Flandre sur l'Etat fédéral (« La nécessité d'avoir un gouvernement fédéral passe au second plan par rapport aux intérêts de la Flandre »), tire à vue sur la Belgique (« Les différences s'amoncellent, le fossé se creuse. Que reste-t-il en commun ? Le roi, l'équipe de foot, la bière ») et injurie les francophones (« Ils ne sont pas en état intellectuel d'apprendre le néerlandais »). Voici une semaine, lors d'un colloque (sur le thème « La régionalisation dans la mondialisation ») organisé par le Marnixring, les trois organisations d'employeurs flamands (Voka, Unizo et VKV) ont plaidé à l'unisson pour une régionalisation des compétences socioéconomiques en 2007, couplée à une responsabilisation financière de chaque Région. Entre le Nord et le Sud, les ponts paraissent irrémédiablement coupés. Et, pourtant, en dépit de cette houle de fond autonomiste venue de Flandre, des brise-lames pourraient bien l'arrêter ou, à défaut, l'amortir très sensiblement.
Il n'y a pas qu'une seule Flandre. Il existe bien d'autres voix que celles des indépendantistes. En février, le groupe de réflexion « Pavia », regroupant des politologues réputés du Nord et du Sud du pays, planche sur une proposition aussi originale qu'utopique : la création d'une circonscription nationale. Objectif : inviter les politiques, dans le bras de fer qu'ils se livrent pour récolter des voix dans leur propre région, à se mettre aussi à l'écoute des soucis des électeurs de l'autre Communauté. Histoire, à défaut de partis nationaux, de forcer une partie des députés élus dans cette virtuelle circonscription à s'intéresser un peu à ce qui se passe de l'autre côté de la frontière. Les excités nationalistes de tout poil s'y reprendraient à deux fois avant de répandre leur fiel sur l'autre entité, sachant que leurs propos incendiaires leur enlèveraient tout espoir de séduire un seul de ses électeurs. Les politiques seraient priés de connaître de l'autre Communauté autre chose que le bulletin météo. Pour les politologues du groupe Pavia, le ver centrifuge est entré si profondément dans la pomme de l'Etat fédéral que même l'idée de créer des ponts n'intéresse plus les élites politiques de ce pays.
La question est de savoir s'il est encore possible, sans se faire traiter de vieux Belgicain, de s'opposer à ces forces centrifuges. Il n'y a pas qu'une brochette de politologues qui s'attellent à inverser le sens de la marche confédérale.
Le récent ouvrage « Wallonie-Flandre : je t'aime moi non plus » rédigé par Rudy Aernoudt, top manager du département Economie, Sciences et Innovation de la Région flamande, caracole dans le top cinq des meilleures ventes en Flandre. Cet Antimanifeste sur les relations entre Flamands et Wallons coupe l'herbe sous le pied au groupe de réflexion « In De Warande », chantre de l'indépendance. A contre-courant de cette thèse, Rudy Aernoudt, successivement chef de cabinet de l'économie wallonne, flamande et fédérale, pourfend les clichés Nord-Sud et exhorte les décideurs à la collaboration interrégionale et à l'application rigoureuse de la subsidiarité. « Trois euros, c'est trop ? », s'interroge l'auteur de l'ouvrage, répliquant à ceux qui s'offusquent des efforts titanesques consentis au Nord en faveur du Sud : « Trois euros par jour, c'est la somme payée par chaque Flamand pour réduire l'écart de revenus avec le Wallon qui gagne en moyenne 22 % de moins que lui. A titre de comparaison, chaque Belge paie un euro par jour pour financer les Chemins de fer, même s'il n'y a que 6 % des Belges qui l'empruntent. » A quelques mois d'un scrutin qu'on dit crucial pour l'avenir institutionnel du pays, ce discours tranche avec les visées séparatistes et les exigences de nouvelles
compétences mises sur la table au Nord. Plus de deux cents personnalités, issues des milieux culturels, sportifs et économiques ont déjà signé l' Antimanifeste. Au-delà des discours, il y a un argument objectif et imparable susceptible de faire hésiter tous ceux qui songent à effectuer le grand saut séparatiste : c'est l'argent. Les caisses fédérales en manquent cruellement.
Le temps béni de 2001 et des accords de la Saint-Polycarpe, celui où l'Etat fédéral accordait de l'argent aux entités fédérées pour leur permettre de financer leurs nouvelles compétences, est révolu. D'ici à 2012, année du choc démographique où les enfants du baby-boom atteindront l'âge de la retraite, le fédéral est prié de continuer à alimenter le fonds de vieillissement et à rembourser la charge de la dette publique.
A moins que la Flandre, plus confrontée à la facture du vieillissement de sa population que le Sud du pays, aille jusqu'au bout de son raisonnement confédéral et que, forte de son insolente prospérité budgétaire, elle prenne en charge le paiement de ses pensions et accepte de prendre à son compte la plus grosse partie de la dette de l'Etat.
Osera-t-elle prendre ce risque ? La peur de franchir ce dernier obstacle, celui qui ferait définitivement voler le pays en éclats, pourrait bien, in fine, faire reculer ces Flamands qui rêvent à tout prix d'autonomie...

Aucun commentaire: