14 novembre 2006

Immo-Congo: Van Cau a bloqué le dossier

Centre Wallonie-Bruxelles à Kinshasa:

le ministre-président a bel et bien favorisé son ami Lebrun. Le CGRI confirme avoir agi sur injonction.
J usqu'ici, Jean-Claude Van Cauwenberghe s'est toujours défendu d'avoir imposé, en avril 2004, la présence de son ami Daniel Lebrun et de sa société Capamar à Robert Marlier, administrateur délégué d'Intelligence et Communication (IC), société ayant emporté le marché de la location-achat du bâtiment devant servir de lieu d'accueil à la délégation Wallonie-Bruxelles à Kinshasa.

« Personne ne lui a tordu le bras pour qu'il s'associe »
Or, il apparaît clairement que c'est bien l'ancien ministre-président wallon qui a bloqué le dossier pour faire en sorte que CongoWallonInvest, candidat évincé, se retrouve finalement partenaire à 50 % d'Immo-Congo.

« Dès la décision de la Communauté française le 21 avril, il y a eu
injonction du cabinet Van Cauwenberghe d'intégrer la société CongoWallonInvest
dans le marché
», confirme-t-on au CGRI (Commissariat général aux relations internationales).

Voilà sans doute ce qui explique pourquoi, malgré l'urgence invoquée par Van Cau, le point n'avait pas été inscrit à l'ordre du jour du gouvernement wallon du 22 avril (il ne le sera que le 29).
Que s'est-il passé dans ce laps de temps ? Une série de réunions ont eu lieu pour faire aboutir le partenariat entre IC et Capamar et mettre sur pied Immo-Congo. Les agendas des acteurs du dossier sont formels.

En voici qqesdétails.

22 avril. Contacté par Van Cau la veille, Hervé Hasquin, ministre-président de la Communauté française, réunit à 17 h à son cabinet Jacques Dewit, directeur du service « délégations à l'étranger » du CGRI, et Valéry Zuinen, représentant le cabinet Van Cau. Le message provenant de Namur est clair : il faut remettre Robert Marlier et Daniel Lebrun autour de la table, Van Cau l'exige.

26 et 28 avril. Deux réunions en intercabinets ont lieu au CGRI, qui gère les aspects techniques du dossier. Il faut aller vite pour sceller le partenariat entre Marlier et Lebrun. La raison ? Le gouvernement wallon se réunit le 29. Si le point n'est pas inscrit à l'ordre du jour, il peut encore passer de manière moins officielle, « en communication ». Robert Marlier donne son accord et perd du même coup 50 % d'un juteux dossier (270.000 euros de loyers annuels pendant 20 ans et une dernière tranche de maximum 200.000 euros à la fin du bail).

29 avril. Van Cau, prévenu de l'accord et du fait que Lebrun, candidat évincé revient dans le circuit à des conditions idéales (la moitié des parts d'Immo-Congo), fait passer le dossier d'attribution du marché à IC (en communication au point 113 !). « Il a donc fait passer une décision en sachant qu'il allait devoir la changer », note cet ancien chef de cabinet du gouvernement arc-en-ciel (PS-MR-Ecolo). Ce qu'il fera le 10 mai en attribuant le marché à Immo-Congo.

Plus de détails:


Immo Congo est une longue histoire MAJ 14/11/2006

Immo Congo, médiatiquement connu depuis peu, est un dossier ancien. Rétroactes des éléments connus à ce jour.
1985. Région wallonne et Communauté française louent un premier bâtiment à Kinshasa abritant la Délégation du Centre Wallonie-Bruxelles, sorte d'ambassade commune à leurs deux entités.
Mai 2003. Le bâtiment est racheté par un diamantaire libanais pour 1 million d'euros. Le CGRI avait fait une offre, mais pas assez élevée.
Juin 2003. Le diamantaire libanais fait savoir au CGRI que si Région et Communauté veulent continuer à louer, le loyer sera triplé. Le bail actuel prend fin le 31 décembre 2003. Des experts partent chercher un nouveau bâtiment. En vain.
Septembre 2003. Deuxième mission d'experts, dont deux architectes, pour chercher un nouveau local. Huit sont visités. Un se dégage : le bâtiment Gennaro, que les experts préconisent.
Novembre 2003. Le bâtiment actuel est limite insalubre : un membre du personnel est victime d'une importante électrocution.
Décembre 2003. Toujours pas d'autre local. Le Libanais accorde un rabiot de 4 mois, moyennant déjà une hausse du loyer. Au 1er mai, il faut être parti. L'affaire est urgente.
Le 17 décembre, premier examen du dossier Gennaro au gouvernement de la Communauté française. Point reporté : le dossier est incomplet.
Janvier 2004. La même décision de report est prise les 14, 21 et 28 janvier.
Février 2004.
Le 4 février, décision de report sine die, pour cause de risque financier trop élevé pour la Communauté.
8 mars 2004. L'Inspection des finances remet un avis défavorable sur le financement proposé pour l'acquisition du bâtiment Gennaro.
9 avril 2004. Deuxième avis de l'Inspection des Finances. Trois entreprises ont remis des offres pour acquérir le bâtiment Gennaro puis le relouer aux gouvernements. L'une d'elles, filiale de la SRIW qui aurait permis de financer l'opération avec des deniers publics, n'a finalement pas rentré d'offre chiffrée. L'offre d'Intelligence et Communication (IC) paraît la plus intéressante, mais elle reste "fort chère".
6 avril 2004. Nouvelle offre d'IC, qui revoit sa demande à la baisse.
21 avril 2004. Le dossier revient au gouvernement de la Communauté. Hasquin, avant d'entrer en séance, reçoit un coup de fil de Van Cau. En vain : son équipe attribue le marché à IC, l'offre la plus intéressante au mètre carré.
22 avril 2004. Le gouvernement wallon n'avalise pas le même choix.
29 avril 2004. Le gouvernement wallon attribue à son tour le marché à IC. Robert Marlier, son administrateur-délégué, affirme aujourd'hui avoir reçu des pressions dans l'intervalle : s'il n'acceptait pas de partager le gâteau avec la société perdante, celle du réviseur Lebrun proche de Van Cau, les Wallons n'auraient jamais validé son offre, dit-il.
10 mai 2004. Marlier écrit au patron du CGRI, Philippe Suinen, faisant référence à une réunion tenue le jour même. Il "confirme " sa volonté de confier le marché à une nouvelle société à créer, Immo Congo. Il s'agit d'une association entre IC et une boîte familiale de M. Lebrun.
12 mai 2004. Saisie du problème, la Communauté française accepte de transférer le marché. Hasquin et Nollet jurent qu'ils ne savaient pas, alors, qu'Immo Congo récupérait, en fait, le perdant. Hasquin jure aussi n'avoir aucun lien avec IC.
13 mai 2004. Le gouvernement wallon de Jean-Claude Van Cauwenberghe en fait de même.
18 mai 2004. Élections régionales.
Juillet 2004. Passation des clés entre Hervé Hasquin (MR) et Marie-Dominique Simonet (CDH). Hasquin, averti par un article d'un journal satirique d'un problème possible, le signale à son successeur.
Janvier 2005. Simonet se rend à Kinshasa et analyse un projet de construction d'une salle de spectacle à côté du bâtiment existant.
Courant 2005. Réunions pour faire baisser le prix de la construction de cette salle, bien trop élevé.
Décembre 2005. Joëlle Milquet se rend à Kinshasa. En rentrant, le 20, elle interpelle sa ministre par écrit sur le coût des travaux du bâtiment lui-même. Le champ s'élargit. Simonet lance une enquête interne. Des experts relisent le contrat de base, et lui signalent de possibles anomalies.
2 juin 2006. Simonet transmet les pièces en sa possession au parquet de Charleroi. Aucune plainte n'est déposée. Une information judiciaire est ouverte. Des auditions ont lieu.
Novembre 2006. L'affaire est officiellement mise à l'instruction par le parquet de Charleroi.
Christian Carpentier
© La Dernière Heure 2006



« Van Cau incarne la vieille garde insupportable »



Marc Uyttendaele, d'où vient l'idée de ce livre sur les affaires politico-judiciaires du pays (1) ?


Depuis des années, en donnant cours à l'ULB, je pose à mes étudiants la question du jour. J'essaye de trouver quelque chose qui a, de près ou de loin, rapport avec l'actualité politique et qui soit en lien avec le cours de droit constitutionnel.

Quand a éclaté l'affaire DHL, cela a donné lieu à plein de réflexions et je me suis livré à une sorte d'analyse institutionnelle de l'actualité. J'ai fait tout un cours là-dessus. J'en ai parlé à ma complice, Anne Feyt, et on s'est dit : est-ce qu'on n'essayerait pas de faire ce qui n'existe pas actuellement. Quelque chose entre la presse quotidienne et les articles de droit. D'où le premier livre, l'année dernière, et le deuxième, qui sort ces jours-ci.

L'idée est d'arriver, à terme, à ce qu'il y ait une sorte de mémoire historique de l'actualité politique.



Le fait d'avoir un pied dans la maison Onkelinx ne vous dérange pas, vous ne vous sentez pas entravé ?
Non. De plus, cette année-ci, on a confié à quelqu'un d'autre (Sabine Malengreau) la rédaction du chapitre sur l'évasion d'Erdal (NDLR: la porte-parole du groupe terroriste DHKP-C qui avait embarrassé le gouvernement). Mais je n'imagine pas qu'on ne parle pas d'Hoxha (autre dossier chaud pour le gouvernement) l'année prochaine. Je n'ai ni la prétention de faire un travail scientifique ni l'envie de cacher qui je suis, je ne l'ai jamais fait et je ne le ferai jamais. En même temps j'ai, dans le rapport avec mon miroir, une exigence d'honnêteté intellectuelle. On est tous subjectifs, personne n'y échappe. Mais j'ai deux lignes de conduite radicales. Un : si je ne me sens pas libre je n'écris pas, éventuellement je ne parlerai pas d'un truc si j'ai le sentiment que je ne le ferais pas de manière honnête. Deux : je ne commente que ce qui a été précédemment rapporté par la presse écrite. L'année dernière j'ai retranché une anecdote que je croyais avoir lue dans un article de Francis Van de Woestyne et en fait c'est Laurette qui me l'avait dit. C'était que, dans l'affaire BHV, lors des heures d'attente à Lembeek, chacun écoutait des CD sur son ordinateur portable. C'était gag de le mettre mais en le relisant j'ai eu un doute, j'ai vérifié, et ce n'était pas paru dans la presse. Je ne veux pas utiliser Laurette comme une source d'information. Le principe est de donner aux lecteurs des éléments de compréhension du système, de parler des coulisses du 16 rue de la Loi, de parler de l'actualité politique, mais ce n'est pas sur base de témoignages ou d'indiscrétions que l'on travaille. Parce que là ça deviendrait suspect. Si je me base sur une vision des choses, sur un partenaire, à ce moment-là il faudrait aller voir les autres Mais ça, c'est plus un boulot de journaliste. Donc je me base uniquement sur ce que je trouve dans la presse écrite.
Eventuellement vous ne traiterez pas certaines affaires. Le non dit est aussi une prise de position. Pourquoi, par exemple, n'y a-t-il pas un chapitre sur le cas Kimyongür ? Parce que c'est trop embarrassant pour le gouvernement ?
Non, pas du tout. C'est parce que je m'arrête, dans la collecte des faits, aux grandes vacances, je travaille en années politiques, j'écris les textes en juillet. Une affaire comme Kimyongür, ou comme Hoxha, je les traiterai l'année prochaine. Avec Hoxha on est vraiment dans le judiciaire, le politique et le médiatique. Il n'y a aucune raison de ne pas le traiter. Ce que je vais aussi engranger pour l'année prochaine ce sont les déclarations de Leterme à Libé, ce sont sans doute les communales, peut-être Kimyongür. Intuitivement, je n'ai pas vraiment accroché à cette dernière histoire. Peut-être qu'il y a un effet d'autocensure, je n'en sais rien, mais je ne dis pas non plus que je ne le traiterai pas. Le lien avec Laurette n'a jamais été un frein. Je n'ai pas été aimable l'année dernière avec Lizin, ni avec le PS de Charleroi cette année.
Vous n'avez pas pu introduire l'arrestation de Van Gompel ; ça aurait changé quelque chose ?
Non je n'ai pas pu l'introduire et c'est dommage, mais ça ne change rien à mon analyse. Je n'ai pas beaucoup parlé de Van Gompel parce que je ne parvenais pas à le cadrer comme l'homme par qui le miracle allait arriver. Et je n'avais pas d'éléments, à l'époque, pour dire qu'il était impliqué pénalement. Mais j'ai dit : ce sera la fin d'une génération, celle des De Clercq, des Van Cauwenberghe. J'avais mis Van Gompel aussi dans cette liste, puis je l'ai retiré. Parce que je me suis dit : c'est peut-être injuste parce que finalement Gorbatchev il a aussi existé. Et Van Gompel, c'était peut-être -mais je n'y croyais qu'à moitié- le Gorbatchev du PS de Charleroi. Aujourd'hui, on a bien compris que ce n'est pas le cas. Pour moi, De Clercq et Van Cau incarnaient totalement cette vieille garde insupportable.
Vous êtes également l'avocat de nombreux socialistes en fonction et là non plus, pas de problèmes pour parler du PS de Charleroi ou d'Anselme à Namur ?
Je ne parlerai jamais de dossiers que je traite personnellement en tant qu'avocat, ce serait moralement inadmissible et déontologiquement insupportable. Je tiens à être libre de mes thèses. Mais il est vrai que je n'ai jamais caché mes sympathies, mes appartenances, mes connivences. Mais si je n'ai pas fait de politique c'est parce que je me sens insoluble dans un groupe quel qu'il soit. C'est en même temps un défaut et une qualité, je n'en suis pas particulièrement fier. En tout cas, il y a quelque chose qui est merveilleux et extraordinaire entre Laurette et moi, c'est que elle c'est elle et moi c'est moi.
Il n'y a quand même pas un mur entre vous qui arrête vos discussions ? Par exemple, a-t-elle lu le livre avant sa sortie ?
Non, il n'y a pas de mur. Et elle n'a pas voulu lire le livre.
Et quand elle prépare un projet qui concerne la justice, vous en parlez ?
Je ne dis pas qu'elle ne m'en parle pas, ce serait faux-cul, ce serait mentir. Finalement on en parle infiniment moins que ce que d'aucuns pourraient croire compte tenu de nos profils respectifs. Il est clair que quand elle traverse des périodes dures comme ça a été le cas, là évidemment, je suis son mec et je souffre comme elle. On ne peut pas sourire quand on voit la personne que l'on aime servir de punching-ball, c'est insupportable. Là, il y a un vrai dialogue entre nous. Sur le fond, pas. Avec le regard à la fois partial et distant que je peux avoir, je crois que c'est certainement le ministre de la Justice le plus compétent que l'on ait connu depuis extrêmement longtemps. En même temps, elle n'a pas donné de grands coups de pieds dans la fourmilière, ce que moi, praticien et marginal, j'aurais souhaité qu'elle fasse. Donc, je ne m'en mêle pas. Moi je soutiens depuis toujours, et cela ne fait pas partie de ses projets, qu'il faudrait un médiateur de justice, totalement indépendant du pouvoir judiciaire et du barreau, qui réceptionne les plaintes, qui ait un pouvoir d'investigation, et qui puisse simplement publier un rapport public avec des noms. On est très loin de ça actuellement.
Le Conseil supérieur de la justice n'a pas rempli ce rôle ?
Non, le Conseil supérieur est un peu un agglomérat de lobbies. Il a ses qualités et c'est malgré tout un mieux, un petit mieux. Autre exemple, moi si j'avais été ministre de la Justice, la première chose que j'aurais fait c'est de descendre le ministère public, actuellement perché sur son estrade, sur le plancher des vaches. En définitive, il y a plein de choses qui relèvent de sa sensibilité à elle et dont je ne me mêle pas. On a une vie qui est extrêmement belle, on a une chance terrible. En tout cas, moi je me sens ravi de vivre avec elle et elle dira ce qu'elle a à en dire là-dessus, mais c'est vraiment privé. Ce que l'on partage c'est vraiment de la vie privée même s'il est vrai que l'on se raconte des trucs professionnels. Dire que l'on ne se parle pas serait mentir. Mais la paroi, elle existe réellement aussi, dans le fait que moi je n'aurais pas supporté être – il y a peut-être un orgueil démesuré là-dedans- une ombre, une sorte de père Joseph. Si je vais à son cabinet trois fois par an en rentrant à la maison c'est beaucoup. Mais je n'interviens en rien. C'est un choix effectué dès le début par hygiène mentale aussi. Ce n'est pas vis-à-vis des autres mais pour nous-mêmes. Dès les premiers jours où l'on a vécu ensemble, il est clair aussi qu'elle ne me demandait aucune sorte d'autocensure.
En tant qu'avocat, vous avez probablement été touché par la nouvelle loi sur les techniques particulières d'enquête ?
C'est clair que sur ce point je ne partage pas du tout la conception qui est la sienne. Dans une Belgique où on combat le terrorisme, où on est en guerre, autant canaliser cela de manière radicale sur le terrorisme, ce qui n'est pas le cas ici. Moi je vois les dossiers, la manière dont travaille le parquet, je vois comment on applique les méthodes particulières de recherche. Je vois comment cela peut servir à faire basculer certains sous un qualificatif de grand criminel alors qu'il ne s'agit que de petits truands qu'on finit par transformer en grands criminels alors qu'ils ne sont que des petits cons qui jouent avec des armes dangereuses. L'avocat que je suis est en rupture totale par rapport à ce système. Je peux être l'homme le plus amoureux de la terre, mais je suis fondamentalement un contre pouvoir. Je n'aime pas le pouvoir. J'ai aussi une attirance pour le pouvoir. Mais je fais le métier qui est le plus beau du monde parce qu'il aide des gens seuls contre des pouvoirs, qu'ils soient judiciaires ou politiques.
Vous intervenez souvent pour des personnes qui sont au pouvoir ou pour des institutions publiques ?
Cela fait partie de la formidable contradiction qui, je crois, n'est qu'apparente. Défendre l'Etat, dans le sens le plus noble du terme, en tant qu'avocat libre est un vrai motif de fierté. Et souvent, quand on voit comment fonctionne le monde judiciaire, je perçois de plus en plus son poujadisme et son anti-politisme. Ma démarche reste dès lors très cohérente par rapport à tout le reste. L'image du politique aux yeux du judiciaire est celui d'un marginal, d'un petit délinquant. J'ai encore eu le cas il n'y a pas longtemps. Le juge m'a dit : « un politicien qui fait un droit de réponse, mais enfin » Quel mépris !
Pour revenir au livre, dans l'analyse du cas Monin vous avez été très gentil avec le monde judiciaire ?
Je dis que Monin (NDLR : un juge en guerre contre d'autres juges) a tout faux et je crois que Francis (NDLR : son adversaire, président du tribunal de Dinant) a trois-quarts faux. Au départ je suis rentré dans cette affaire avec la conviction intime et profonde que Monin était un chevalier blanc. Puis j'ai lu, j'ai analysé et changé d'avis. Quant aux autres, je les connais pour avoir plaidé devant eux. Ce sont d'abord des paillasses d'envergure en terme de paresse. Au bout du compte, mon avis est que Monin est le mauvais cheval pour faire la révolution, révolution certainement nécessaire. Ce qui est dérangeant c'est qu'on attaque Monin sur la lenteur de ses décisions de justice alors que l'on pourrait attaquer un pourcentage non négligeable de magistrats sur ce point. Monin, on l'a sanctionné indirectement pour autre chose. Mais je peux comprendre qu'on le sanctionne. Ce qui est étrange dans le chef de Francis c'est qu'il ne réagisse pas par rapport aux accusations portées contre lui. Je n'ai pas vu un démenti. Quant à l'influence de la loge sur une décision judiciaire, je m'en fous. Je suis moi-même maçon et je n'ai aucun doute sur le fait que c'est une société humaine, comme n'importe quelle autre, avec des gens biens et pas biens, parmi lesquels il doit y avoir des dérapages, tout comme il y a des gens fabuleux là-dedans. L'accusation d'étouffer des affaires, si c'est vrai c'est extrêmement grave, mais il faut pouvoir le prouver. En tout cas, il y a quelque chose qui reste extrêmement brumeux dans cette affaire. Que Monin ait posé de bonnes questions, je suis prêt à l'admettre, mais il n'a pas apporté de bonnes réponses. C'est ça qui me laisse perplexe.
Vous expliquez aussi que ce qui se passe à Charleroi, ce n'est pas la même chose qu'à Namur ?
C'est vrai qu'il ne s'agit pas de la même configuration. A Charleroi, c'est un système qui fonctionnait comme ça depuis des décennies. Ce qui m'a frappé, c'est la difficulté pour un parti de mettre de l'ordre lui-même dans ses structures. Bien sûr qu'on dit des choses, qu'il y a quelque chose qui flotte, mais aussi longtemps qu'il n'y a pas une instruction judiciaire, on n'a pas les preuves, donc ça devient très difficile de mettre le fer dans la plaie. Surtout qu'il y a un pouvoir qui est extrêmement fort. Comme dans toute baronnie enracinée dans le temps, je me dis qu'il y a quand même quelque chose d'inquiétant pour le démocrate que je suis dans la mesure où on ne peut pas dire qu'il y a eu un désaveu maximal de l'électorat. Les rénovateurs ne font pas des cartons en voix. L'électorat ne rejette pas clairement les gens qui ont incarné cette ville et un système complètement dévoyé. Pourtant, il y a une seule chose à faire, c'est qu'ils foutent le camp. Courard est très magistral quand il dit très platement les choses que beaucoup de gens de gauche pensent. A Namur, ce sont des problèmes personnels, de manque de délicatesse, mais ça reste très circonstancié. Ce n'est pas un système qui est en cause.
C'est une analyse de juriste ou politique, voire de militant politique ?
Je ne suis pas un militant. Je suis passionné de politique, je suis avocat et c'est mon regard. Je n'ai pas la prétention de dire la vérité. J'essaye de retracer les faits de la manière la plus objective qui soit, de la manière la plus neutre en m'inspirant de ce que j'ai lu dans la presse. Puis j'en livre une analyse en donnant des éléments de droit qui sont des clés. Enfin, c'est vrai, je dis ce que j'en pense. Et ça reste à discuter. Je n'ai pas la prétention de dire ce qu'il faut en penser, c'est juste un regard. L'intérêt d'un regard c'est qu'il en provoque d'autres. Le cas Wilmots, selon moi, c'est la dualité et l'hypocrisie d'un discours. Un homme se dit je vais dans le système (NDLR : en entrant au Sénat), je dis que je vais le changer, de manière grotesque parce que je vais là où je n'ai pas les moyens de faire ce que je dis que je vais faire, je constate que je ne peux rien faire, donc je me retire. Et je ne me retire pas entièrement parce que je ne voudrais pas que mon parti perde un siège au Sénat. On pourrait aussi ne pas être d'accord avec cette vision et dire que Wilmots est un honnête homme perdu dans un panier de crabes, ce que je ne crois pas. Au moins, le débat est ouvert.
Et si Wilmots avait défendu un siège PS, vous l'auriez traité de la même manière ?
C'eut été la même chose, évidemment. Ce lien avec le PS, je le traînerai toute ma vie comme un boulet et je l'assume, mais je n'ai pas changé de conception. Je suis un compagnon de route du PS depuis longtemps. J'avais ma carte et je ne payais pas mes cotisations parce qu'on ne me les demandait pas. Ce qui est conforme finalement à ma sensibilité. Je suis proche de ce parti, je suis un compagnon de route de ce parti. Il y a aussi des côtés qui me révulsent profondément dans ce parti, il y a des gens pour qui j'ai un immense respect indépendamment de ma vie privée, et je trouve qu'il a une place importante à jouer dans le respect de certaines valeurs qui sont les miennes. Mais je ne suis marié à personne sur le plan politique. Ce que je dis là, je pouvais le dire il y a dix ans quand je ne connaissais pas Laurette. Alors, ou bien je me taisais en disant : ma vie privée est une muselière, ou bien j'acceptais de parler en acceptant aussi le soupçon. Mais en même temps, le problème se pose aussi sur le plan professionnel. Le parquet de Liège a essayé de m'empêcher d'intervenir dans un dossier au prétexte que ma femme est ministre de la Justice. Incroyable. En fait ici, elle n'a rien lu de ce livre. Cela fait partie de ma vie à moi.
Propos recueillis par

JEAN-PIERRE BORLOO


(1) « Quand politique et droit s'emmêlent », Marc Uyttendaele et Anne Feyt, Ed. Luc Pire, 2006.

Marc Uyttendaele, les affaires, ses amours

Droit et politique font-ils bon ménage ? Un livre pour en parler. Nous vous livrons ci-dessous la version longue de l'interview de Marc Uyttendaele au "Soir".
J e ne suis pas un militant. Je suis passionné de politique, je suis avocat et c'est mon regard. » Alors qu'il présente son livre Quand politique et droit s'emmêlent - dont Le Soir publie aujourd'hui quelques bonnes feuilles -, Marc Uyttendaele clame son indépendance dans l'entretien qu'il nous a accordé.
Indépendance vis-à-vis de Laurette Onkelinx, son épouse : « Elle, c'est elle, et moi, c'est moi ». Indépendance à l'égard du PS : « Je ne suis marié à personne sur le plan politique ». Indépendance d'esprit, tout simplement : « Si je n'ai pas fait de politique, c'est parce que je me sens insoluble dans un groupe, quel qu'il soit ». Uyttendaele livre donc son regard. Sur la monarchie, Charleroi et ses affaires, Marc Wilmots, la Constitution wallonne... Fort et forcément ambigu à la fois.


Après La Carolo, Immo Congo: Van Cau out?


Ambiance surréaliste à Charleroi. Van Cau reste omniprésent. Rares sont ceux qui croient que cela durera. Surtout après la nouvelle affaire Immo Congo, qui le fragilise un peu plus encore. Pourtant, tout le monde fait semblant. Refus de tirer sur une ambulance ? Peur, plutôt, de déplaire à un homme qui, même un genou à terre, continue à faire feu sur quiconque brise l’omerta. Personne ne possède de recette magique pour sortir Charleroi du marasme.

Une seule certitude est partagée par pratiquement tous les interlocuteurs, dans tous les milieux : rien de sérieux ne sera possible aussi longtemps que Jean-Claude Van Cauwenberghe restera le patron du socialisme carolo. Tant que celui-ci fera de l’ombre aux rénovateurs de son parti – et à ses partenaires du MR et du CDH – Charleroi continuera à souffrir. De son image de marque désastreuse. De réformes appliquées à contrecoeur. D’un climat malsain, dominé par la peur. Une peur qui explique l’étrange mutisme actuel.

Depuis les élections du 8 octobre, plus personne dans le monde politique carolo – hormis l’opposition Ecolo – ne formule la moindre critique à l’égard de Jean-Claude Van Cauwenberghe. Publiquement s’entend. Car, en off, rares sont ceux qui le jugent encore apte politiquement à diriger le premier parti de la ville. Mais tout le monde se tait. Au PS, les rénovateurs disent vouloir serrer les rangs. Ils font même semblant de récuser le clivage rénovateurs-conservateurs.
« Aujourd’hui, cette différenciation n’a plus lieu d’être. Nous faisons
partie d’une même équipe socialiste, déterminée et motivée »,
explique Eric Massin, futur échevin, catalogué « rénovateur ». Diplomatiquement, et quel que soit son véritable sentiment personnel, on voit mal celui qui est aussi l’actuel président de la fédération socialiste de Charleroi, tirer à boulets rouges sur Van Cau.
« Je comprends Eric, commente un élu hennuyer non carolo, mais là, il fait de l’excès de zèle. Rien ne l’obligeait à nier ce clivage anciens-modernes, qui existe plus que jamais ». Et d’ajouter : « Au moment où le ministre Courard, et aussi, dans une certaine mesure, le Boulevard de l’Empereur, pressent Van Cau à faire un pas de côté, ce n’est pas le moment de dire ‘Van Cau-rénovateurs, même
combat’… Surtout quand on n’en pense pas un mot ! ».
Intimidation permanenteComment expliquer cette attitude prudentissime des socialistes carolos les plus critiques par rapport à un Van Cau qui a tout de même perdu de sa superbe ?
« La raison, c’est que son pouvoir de nuisance demeure important, analyse un membre du PS local. Son système, c’est l’intimidation permanente. Il possède un réseau de fidèles qui fonctionne efficacement. Ils exercent les pressions qu’il
faut, là où il faut. Si un élu s’écarte si peu que ce soit de la ligne Van Cau, il est directement rappelé à l’ordre, notamment par de nombreux coups de fil ».
Un élu socialiste confirme, toujours en prenant garde de ne pas être cité nommément :
« Je n’ai jamais été un rebelle. Mais il m’est arrivé de poser des questions sur certains dossiers. J’ai vite compris que c’était déplacé. On m’a demandé quelle mouche m’avait piqué. A quel parti j’appartenais pour me comporter ainsi.
Après deux engueulades de ce type, vous n’osez plus rien dire. Et vous la fermez, quoi qu’il arrive ».
Une seule élue est passée outre aux intimidations, la députée wallonne Ingrid Colicis.
« Elle en paie aujourd’hui le prix, souligne notre interlocuteur. Elle est la bête noire de Jean-Pierre De Clercq, qui l’injurie chaque fois qu’il en a l’occasion, et de Jean-Claude Van Cauwenberghe, qui a mis son veto absolu à sa nomination à un poste d’échevine. Ils vont continuer à tout faire pour la casser. Et, croyez-moi, personne ne volera à son secours. De peur de prendre des coups !».
Un audit ravageur ?Au MR et au CDH, la prudence est également de mise. Pas question de prendre de haut le nouveau partenaire. D’autant que Charleroi vit une sorte d’entracte. Chacun attend la mise en place du nouveau collège. Comme dans toutes les autres villes ? Pas vraiment, car à Charleroi ce nouveau collège, qui ne sera plus monocolore, sera l’équivalent d’un passage de l’ancien au nouveau régime. Chacun attend aussi les résultats de l’audit des services de la ville. « Certaines découvertes assez effarantes ne sont pas à exclure », glisse un proche du pouvoir. Le passif de Van Gompel & Co à la tête de la Ville pourrait donc être encore plus lourd que prévu. Van Cau, leur mentor, ne modifiera sans doute pas sa ligne de défense : n’exerçant plus de responsabilité à la Charleroi depuis onze ans et demi, il n’était au courant de rien. Quoi qu’il en soit, un audit ravageur confirmerait le naufrage de ses hommes de confiance. Et le fragiliserait encore davantage. A ce moment, socialistes rénovateurs et partenaires de la majorité accentueront-ils la pression sur Van Cau pour qu’il se mette sur la touche à Charleroi ? D’aucuns le pensent. Sans nouveau météorite politique, ce n’est pas certain, tant reste omniprésente la peur de déplaire à un homme qui, même un genou à terre, continue à faire feu sur quiconque brise l’omerta. Outre le cas d’Ingrid Colicis, celui de Marielle Floriduz est tout aussi éloquent. La conseillère communale et ex-leader (écartée par la famille De Clercq) de la section de Goutroux, est désormais interdite de présence aux réunions socialistes par Van Cau en personne. Une version déroutante de la rénovation made in Charleroi…Les « hasards » d’Immo Congo

Quelle météorite politique pourrait faire tomber Van Cau ? La chute de Van Cau ! Tout Charleroi ne pense qu’à ça depuis belle lurette. « Politiquement, en toute logique, il devrait déjà être au tapis depuis un certain temps, sourit un camarade. Mais il est sans doute trop malin pour avoir commis des actes pénalement condamnables. Ceux qui tablent là-dessus vont un peu vite en besogne. Il est douteux qu’il n’ait pas profité du système qu’il a lui-même inspiré. Mais il a agi moins bêtement que ses sous-fifres qui n’ont pas pris de précaution pour installer une chaudière dans la maison de campagne de Despiegeleer, aux frais de la Ville ».
La météorite politique qui pourrait changer la donne sera-t-elle l’affaire dite Immo Congo, récemment mise à l’instruction ? A ce stade, rien n’est moins sûr. Même si une accumulation de « hasards » braquent une fois de plus les projecteurs sur Van Cau et son entourage.

L’affaire – en fait, une opération immobilière douteuse qui semble avoir coûté cher à la Région wallonne et à la Communauté française - remonte à début 2004. La délégation Wallonie-Bruxelles à Kinshasa doit trouver d’urgence une nouvelle implantation. Un appel d’offres est lancé auprès de sociétés immobilières belges, remporté par Intelligence et Communication (IC), une société bruxelloise. D’après Hervé Hasquin, président du Gouvernement de la Communauté française à l’époque, Jean-Claude Van Cauwenberghe, à l’époque ministre-président wallon, aurait tenté in extremis, cinq minutes avant la réunion du Gouvernement, de faire reporter la décision. En pure perte, le marché est attribué à IC.
Par la suite, le Gouvernement de la Région wallonne avalise également. Mais quelque temps plus tard, la société évincée, Congo Walloninvest, réussira à rentrer dans le jeu par la bande. Les deux gouvernements acceptent en effet qu’une nouvelle société, Immo Congo, créée…deux jours auparavant, se sibstitue à IC. La moitié des actions de cette nouvelle société sont détenues par IC et l’autre moitié par la société Caparmar, elle-même actionnaire pour moitié de Congo Walloninvest, la société initialement évincée. Les trois sociétés, Immo Congo, Caparmar et Congo Walloninvest sont gérées par Sabine Gaucquier, épouse de Daniel Lebrun, un réviseur d’entreprises très proche de Van Cau (en fait, « son » financier, qui a révisé les comptes de Charleroi pendant plusieurs années, sans jamais rien remarquer d’anormal)! Simples coïncidences ? Ce sera à la justice de trancher.
Mais politiquement, une fois de plus, le dossier est gênant pour Van Cau. Pas seulement parce qu’il est suspecté – et rien d’autre à ce stade – d’avoir manœuvré dans les coulisses pour avantager des membres de son entourage. Mais aussi parce qu’une fois de plus, il ne s’est pas comporté en homme de gauche soucieux de rigueur dans sa gestion de l’argent public. « L’argent des travailleurs, Van Cau s’en soucie peu, grince un socialiste critique. Sa culture de la majorité absolue à Charleroi lui fait penser que ce qui est bon pour le chef du parti majoritaire est bon pour le peuple. Et il a tout naturellement importé ses méthodes à la Région wallonne ».
Peu rigoureux, Van Cau ? La question est posée (elle s’adresse aussi au libéral Hervé Hasquin, à l’époque patron de la Communauté française) puisqu’au bout du compte, Région wallonne et Communauté française paient mensuellement près d’un million d’anciens francs belges (270.000 euros par an) la location du bâtiment occupé dans la capitale kinoise par la délégation Wallonie-Bruxelles. Le dossier avait pourtant reçu un avis défavorable de l’Inspection des Finances. Un conseiller financier indépendant, sollicité de la Région wallonne, avait fixé à 180.000 euros maximum le montant acceptable du loyer annuel, étant donné les prix du marché. Van Cau est passé outre, de même qu’Hasquin. Autre constat qui pose question : le bail, d’une durée de 20 ans, impose à la Région wallonne et à la Communauté française de payer la location pendant ces 20 années, quoi qu’il arrive au bâtiment : un incendie, une mise à sac, voire une expulsion, pas à exclure dans cette contrée pour le moins instable politiquement. Est-ce vraiment cela, gérer l’argent public en bon père de famille ? Mais aussi, cela pose la question de la validité du marché attribué initialement à IC par le Gouvernement d’Hervé Hasquin, puisque le contrat devait déjà être déséquilibré dès ce moment-là... Van Cau n’est donc sans doute pas le seul à pouvoir être blâmé dans cette affaire.

Van Cau out : fantasmes et réalitéAprès cette nouvelle affaire, l’ex-ministre président wallon va-t-il trébucher pour de bon ? Van Cau out ? Plus que jamais, tout Charleroi ne pense qu’à ça. Sauf coup de théâtre judiciaire – en clair une inculpation, nécessitant une levée d’immunité parlementaire – la mise à l’écart politique de Van Cau n’est sans doute pas pour demain. « Aussi longtemps que les camarades de Charleroi se laisseront intimider par Jean-Claude Van Cauwenberghe, je crains fort qu’il s’accroche dans les allées du pouvoir et que rien ne change en profondeur, analyse un élu socialiste. Je n’ai pas de conseil à leur donner, si n’est : ‘Montrez lui que vous n’avez pas peur !’. C’est la seule façon de changer la vie, à Charleroi ».

Aucun commentaire: