Le feuilleton (chaud) de l'hiver: Immo-Congo (Xième partie)
Le parlement wallon devrait à son tour approuver le texte la semaine prochaine. Toutefois, son président, José Happart, a déclaré qu'il ne voyait pas la nécessité de créer une telle commission.
On cède à l'« émotionnel », « laissons d'abord faire la Justice ».
Avant le vote en séance plénière, Marcel Cheron, soutenu par Anne-Marie Corbisier (CDH), a salué le caractère conjoint d'une commission dont il espère qu'elle augure d'autres coopérations entre les parlements de la Communauté et wallon.
La commission devra procéder à l'examen complet de la gestion du dossier par les acteurs concernés, ainsi que du rôle et de l'action des dispositifs d'avis et de contrôle existants. Elle devra aussi établir la liste de tous les mécanismes et niveaux de pouvoir et autres lieux publics d'avis, de contrôle et de prise de décision concernés, intervenant ou étant intervenus (in)directement dans les faits.
La commission spéciale conjointe devra identifier et entendre tous les acteurs, intervenants et témoins susceptibles de l'éclairer. Elle est chargée de faire toutes les propositions « utiles », de constater les éventuels dysfonctionnements et/ou interférences entre les différents acteurs publics et d'établir les éventuelles responsabilités politiques et/ou administratives.
Pour ce faire, la commission auditionnera les personnes qu'elle jugera nécessaire d'entendre et se fera communiquer toutes les pièces dont elle jugera utile d'avoir connaissance. On ne connaît pas encore la date à laquelle la commission entamera ses travaux.
Comment adoucir la note pour les finances publiques ? La ministre Marie-Dominique Simonet et Philippe Suinen, le patron du CGRI, veulent renégocier le contrat. Dans ce journal, les pistes qu'ils comptent suivre.
Comment adoucir la note pour les finances publiques ? La ministre Marie-Dominique Simonet et Philippe Suinen, le patron du CGRI, veulent renégocier le contrat.
O n l'a assez dit et répété. Le montage financier du dossier de location-achat du bâtiment devant servir à la délégation Wallonie-Bruxelles à Kinshasa est juteux pour la société Immo Congo et ses actionnaires.
Autrement dit pour Daniel Lebrun, ami proche de Van Cau et pour Robert Marlier. D'autant plus juteux que les risques pris par les deux investisseurs sont relativement limités.
Bien sûr, Immo Congo achète le bâtiment pour un montant global (rénovation et frais divers compris) de trois millions d'euros dans un pays où la situation politique n'est guère stable.
Mais dans le même temps, les gouvernements de la Communauté française et de la Région wallonne ont signé un acte de cautionnement solidaire et indivisible en faveur de la société
« pour le paiement et le remboursement de toutes les sommes en principal,
intérêts, commissions et accessoires dont le débiteur principal est ou serait
redevable à ING Belgique. »
L'accord est donc béton. Avec un loyer
énorme : 270.000 euros sur 20 ans (soit 5,4 millions d'euros au total). Indexé,
qui plus est, ce qui alourdira la facture finale des pouvoirs publics. Sans
compter, enfin, que ce loyer doit être réglé, précise le contrat de bail, de
manière « irrévocable, inconditionnelle et abstraite (...) nonobstant tout
événement quelconque en ce compris la force majeure. »
On peut même dire que le béton est armé : Région et Communauté doivent supporter les frais d'entretien et de réparation des lieux « y compris les grosses réparations résultant de la vétusté et des cas de force majeure ». Bref, en 2024, la facture finale pourrait s'élever, si l'option d'achat est levée, à près de sept millions d'euros. Une somme à laquelle il faudra ajouter la facture de la construction de la salle de spectacle dont on ne connaît toujours pas, à ce jour, le coût exact. Dans le même temps, Immo Congo n'aura remboursé qu'un peu moins de 5 millions à ING pour un emprunt de 3 millions, soit plus de 2 millions d'euros de bénéfices escomptés. De l'or massif.
Le 30 juillet 2003, soit un mois à peine après cette mission, l'acte de constitution de la société CongoWallonInvest est passé devant le notaire Hubert Michel à Charleroi. On retrouve dans la liste des administrateurs, Sabine Gauquier, femme de Daniel Lebrun, ami personnel de Van Cau et Luc Vuylsteke, ancien chef de cabinet de Kubla devenu patron de la Société wallonne des aéroports. En févier 2004, rapide sur la balle, elle remet offre pour l'achat-location du nouveau bâtiment à Kinshasa. Recalée, elle reviendra dans le circuit via Capamar, holding de Lebrun.
Des architectes dépêchés à Kinshasa jettent leur dévolu sur un immeuble situé dans le quartier des ambassades, sécurisé, en bon état. Il est la propriété de Mme Gennaro, une Italienne résidant à Monaco, qui appartient à la belle famille de l'avocate attitrée de l'ambassade de Belgique... La Communauté a des provisions pour acheter l'immeuble. Pas la Région wallonne. Or, pour Van Cau, à l'Elysette, il est impensable que le coq wallon ne figure pas sur les murs de la représentation Wallonie-Bruxelles. On opte pour une location.
Les représentants du CGRI négocient avec Mme Gennaro le rachat du bâtiment, pour 3 millions d'euros, tous frais compris. Une société immobilière se portera acquéreuse, et c'est elle qui relouera le bien aux pouvoirs publics. Il y a 3 candidates : Immocita, filiale de la SRIW ; Intelligence et Communication, sise à Bruxelles, dont l'administrateur est Robert Marlier ; enfin CWI, Congo Wallon Investment, de Daniel Lebrun, homme d'affaires carolo. Intelligence et communication emporte le marché, achète le bâtiment, propose au CGRI une location de 270.000 euros par an, avec option d'achat au bout de 20 ans, de 200.000 euros.
L'offre est avalisée le 21 avril 2004 au gouvernement de la Communauté française, le 29 au gouvernement wallon. Mais des négociations ont lieu en coulisse à l'instigation de Van Cau, qui veut ramener dans le projet un investisseur wallon. Les gouvernements communautaire et wallon des 12 et 13 mai approuvent l'octroi du marché à une société recomposée, Immo Congo, regroupant Intelligence et Communication et Capamar, détenant chacune 50 % des actions. Capamar comprend la société CWI de Daniel Lebrun, recalée quelques mois plus tôt.
Cela n'apparaît pas dans la notification aux gouvernements, les derniers avant les élections régionales. Il est précisé qu'Immo Congo bénéficiera d'une garantie supplémentaire de la Communauté française et de la Région wallonne, couvrant tous les risques afférents au bâtiment. On en est là.
Il ne le restera pas longtemps. Le conseil d'administration du 6 mars 2006 actera en effet « à l'unanimité », précise le procès-verbal, sa démission. La raison ? Inconnue, jusqu'ici.
Autrement dit, le prix exorbitant payé pour la location du Centre Wallonie-Bruxelles n'étonne guère le vétéran :
« Avant, le bâtiment que l'on appelait la maison Gennaro du nom du dernier
propriétaire italien, et qui était connu des vieux Belges comme le cercle Rubens
où les expatriés allaient jouer au billard et boire une bière, est resté
longtemps en vente. Personne ne voulait payer les 50 millions de FB demandés
pour cet immeuble en mauvais état. Finalement, la parcelle a été achetée,
rénovée par Safricas, qui a mis des châssis en aluminium et refait les toits.
Par la suite, les prix ont grimpé dans cette rue située à côté de la Monuc, de
l'ambassade des Etats-Unis et de la Chine, où la sécurité est garantie à toute
heure... »
Dans tout le quartier de la Gombe, ce centre-ville traversé par le Boulevard du 30 Juin, où les expatriés sont aisément joignables en cas d'évacuation forcée, les prix des maisons dépassent l'entendement : les sociétés immobilières qui louent à 4.000 ou 5.000 euros par mois des maisons unifamiliales récupèrent leur mise en un an ou deux !
C'est pour cela que Freddy Jacquet, directeur du Centre Wallonie-Bruxelles à Kinshasa, ne s'étonne pas du prix élevé payé pour ses locaux inaugurés voici un an :
« Hervé Hasquin et Jean-Claude Van Cauwenberghe (les deux
ministres-présidents dont les noms sont associés sur la plaque apposée sur la
façade du Centre) ont dû décider dans l'urgence, car le loyer des locaux que
nous occupions jusqu'alors avait été triplé, et le propriétaire refusait de
vendre à moins d'un million d'euros, auxquels se seraient ajoutés deux ou trois
millions pour les travaux de rénovation... » Et de soupirer : « Voici
cinq-six ans, nous avions eu l'occasion d'acheter, à raison de 500.000 euros,
des bâtiments qui nous auraient parfaitement convenu, mais personne n'a voulu se
décider. »
Installée depuis un an, la délégation Wallonie-Bruxelles à Kinshasa vit-elle dans l'opulence, dans des locaux surdimensionnés ? Au vu des trois bâtiments qui entourent une cour couverte de cailloux et fermée par une lourde grille, non : murs blancs et lampes accrochées à de simples soquets, dalles au rez-de-chaussée, parquet à l'étage, toits couverts de tôle ondulée, quelques meubles en bois, fabriqués sur place. Seul luxe : les toiles de peintres locaux, achetées à titre personnel, illuminant les murs.
Au rez-de-chaussée, la bibliothèque de 15.000 livres, qui accueille une centaine de visiteurs par jour, est l'un des lieux les plus prisés de Kinshasa. Les assoiffés de lecture y trouvent un havre de paix en semaine, des séances littéraires le samedi et des connexions Internet. C'est d'ici aussi que partent les « malles de lecture » envoyées dans les quartiers populaires.
Dans un autre bâtiment, de petits bureaux accueillent les activités de l'Apefe, la coopération dans le domaine de la santé, de la formation de la jeunesse, de l'appui à la presse. Cet été, après la mise à sac des locaux de la Haute Autorité des médias, le Centre avait même accueilli les Congolais menacés ! D'un accès facile au centre de la ville, il est cher au coeur des Congolais : tous les intellectuels, les artistes, les journalistes de Kin en connaissent le chemin. Et à beaucoup, dans les temps difficiles, il a offert un moment de respiration.
Simonet et Suinen lancent l'offensive. Dans la ligne de mire : le bail, bien sûr, mais aussi Daniel Lebrun, l'ami de Van Cau.
Depuis mai dernier, elle a demandé, via une note envoyée au Commissariat général aux relations internationales (CGRI),
« d'examiner toutes possibilités de renégocier le contrat ».Une négociation difficile, dans la mesure où Immo Congo, société privée, peut s'appuyer sur deux décisions très officielles prises les 12 et 13 mai 2004 par les gouvernements de la Communauté française et de la Région wallonne.
Il n'empêche, dans une lettre adressée le 10 juillet dernier à Sabine Gauquier, administratrice déléguée d'Immo Congo, Philippe Suinen, patron du CGRI, sort la grosse artillerie.
Il lance ensuite une première flèche, sous forme d'avertissement juridique :
« Après analyse par nos conseils, les conditions financières nous
semblent tomber sous le coup des articles 1907 ter du Code civil (le prêteur
s'est fait promettre, pour lui-même ou pour autrui, un intérêt ou d'autres
avantages excédant manifestement l'intérêt normal et la couverture des risques
du prêt) et 494 du Code pénal (il y est aussi question d'intérêt ou d'autres
avantages excédant l'intérêt légal) et sont donc sujettes à réduction. La
théorie de la lésion qualifiée trouverait sans doute application. »
La suite est moins offensive. Suinen prend en effet une plume plus légère pour en relancer la négociation. Afin de permettre la diminution du loyer, il propose d'agir « sur trois leviers ».
1. La suppression de l'indexation, le bien se situant au Congo et l'opération étant davantage une opération financière qu'un bail.
2. La diminution du taux d'intérêt pratiqué par ING : Suinen propose de passer de 4,63 % à 4,30 % « plus conforme aux cours actuels. »
3. La réduction de la marge pratiquée par Immo Congo qui serait, d'après les calculs de l'administration, de 36.766 euros par an sur la base du loyer actuellement payé (270.000 euros hors indexation) et du taux appliqué par ING.
« Une combinaison de ces trois éléments permettra d'arriver, j'en suis
sûr, poursuit le patron du CGRI, à un accord. »
Avant de conclure, Suinen saisit une nouvelle flèche dans son carquois et l'adresse, cette fois, à Daniel Lebrun, mari de Sabine Gauquier et parton du holding Capamar, à l'origine de l'association avec Intelligence et Communication, la société de Robert Marlier qui a débouché sur la création d'Immo Congo.
« Je souhaiterais, écrit-il, également obtenir quelques informations sur
une éventuelle incompatibilité - au moment de la signature du contrat - dans le
chef de M. Lebrun, qui était un des intervenants clés dans la négociation, entre
son mandat d'administrateur dans une société commerciale et sa profession de
réviseur. » Avant de conclure, par cette petite phrase lourde de sens :
« Pareil cumul me semble en effet contraire aux règles déontologiques des
réviseurs d'entreprises. »
Quatre mois après cette reprise de contact, où en est-on ? Du côté du cabinet de Marie-Dominique Simonet on indique de manière sibylline que les négociations sont toujours en cours. À l'évidence, elles promettent d'être longues.
C 'est la question à mille francs : « Alors, il va tomber, Van Cau ? » Un an que ça dure, que la rumeur enfle. Mais au fait, tomber d'où ? Qu'est-il encore, en politique, l'ancien ministre-président wallon ?
À Namur : parlementaire régional.
Alors, en fait de « chute », il y a deux possibilités.
La « hard » : Van Cau est inculpé par le juge dans l'« affaire » Immo Congo (par exemple). On lui reproche des faits pénaux. Dans ces conditions, il pourrait être la cible d'une demande de levée de son immunité à Namur, et entrevoir la fin de sa carrière parlementaire. Une inculpation entraînerait aussi une réaction du Boulevard de l'Empereur : le PS exigerait de Van Cau qu'il se retire des instances politiques carolorégiennes. L'homme est rattrapé par la Justice, sanctionné, il part défait.
La « soft » : Van Cau fait le fameux « pas de côté » réclamé par de nombreux socialistes et attendu par Elio Di Rupo. Autrement dit : il met un terme à toutes ses activités politiques à Charleroi. Car c'est le coeur du problème : Van Cau ne détient plus de mandats forts dans la métropole hennuyère (la présidence de l'USC carolo lui permet quand même de contrôler 50 % de la fédération du grand Charleroi), mais son pouvoir reste intact ; et ses réseaux d'influence, fournis. C'est lui qui a mené les négociations postélectorales, à l'issue du scrutin communal : il a été l'artisan de la nouvelle coalition PS-MR-CDH qui dirigera la ville pour six ans !
Annoncer son retrait de Charleroi serait donc interprété comme le « pas de côté » attendu.
Un élu socialiste carolo nous confie cette analyse, dominante au PS : « Qu'il le veuille ou non, et que cela soit juste ou pas, Van Cau a cristallisé sur sa personne tout ce qui ne va pas au sein du parti, et, au fond, c'est son pouvoir à Charleroi qui est désigné comme la source du mal, du problème. Ainsi, en renonçant à toute activité politique à Charleroi, il poserait un geste symbolique aux effets plus larges. Disons-le : il aiderait le parti, mal en point, tout le monde le voit. Mais le veut-il ? » Une invite, presque.
Dans ce scénario - « soft », excluant l'hypothèse d'une intervention judiciaire -, Van Cau se replierait sur son mandat de parlementaire wallon, cultiverait son engagement régionaliste, voire se mêlerait aux négociations institutionnelles nord-sud de 2007. C'est la sortie « honorable ». Oserait-on dire : « par le haut ». Parti comme c'est parti, une telle sortie tiendrait, il faut le dire, d'une issue presque miraculeuse pour lui.
Mais Van Cau, dur comme fer, croit-il aux miracles ?
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