20 mai 2008

T'as pas ta carte ?

Des candidats a des hautes fonctions publiques dénoncent les "méthodes agressives" du Selor lors des épreuves orales. Et la coloration politique des jurys de sélection. Voyage au pays du recrutement public.
Denis (prénom d'emprunt) sait de quoi il parle quand on l'interroge sur le Cwatup - le Code wallon de l'aménagement du territoire. Il en connaît les lignes, les grandes lignes, les interlignes et les virgules : normal, Denis est l'un des auteurs du Cwatup. Candidat à un poste de directeur dans la Fonction publique wallonne, Denis s'est pourtant récemment vu signifier par le Selor qu'il avait de "grosses lacunes" en matière de Cwatup.
"C'est tellement ridicule que cela m'a fait sourire", dit-il, dépité. Nicole Roland a, elle, réussi la sélection pour le poste d'administrateur général de l'ONE. Avant d'être écartée par le gouvernement de la Communauté française. Elle dit : "C'est vraiment très curieux, lors de l'entretien de sélection du Selor, on ne m'a pas posé la moindre question sur le budget ou la gestion de l'ONE."
Alors que le Bureau de sélection de l'administration fédérale, le Selor, est pointé du doigt - au Fédéral, à la Région, à la Communauté française - pour ses méthodes de recrutement et pourrait devoir en compter à des commissions d'enquête parlementaire, voyage au pays du recrutement public. Dans la forme que prennent ces épreuves orales de sélection des hauts cadres de l'administration publique, l'"agressivité" du jury est (très) souvent relevée par les candidats.
Raphaël (prénom d'emprunt) vient du secteur privé. Candidat à un poste de directeur général de la Culture à la Communauté française, Raphaël est passé entre les mains d'un jury Selor dont il dit : "L'objectif devait probablement être de me dégoûter à tout jamais de la Fonction publique".

"Le ton des questions, détaille Raphäel, était franchement désagréable et agressif. On m'a demandé comment je comptais motiver des fonctionnaires qui avaient l'habitude de ne pas beaucoup travailler. Ou comment je réagirais si le Botanique brûlait un samedi soir". Denis va plus loin : "Le jury interrompt sans cesse les réponses, on doit faire face à une agressivité incroyable. Je dirais qu'on frôle le registre de l'injure". Nicole Roland, psychopédagogue et membre du CSJ, poursuit : "Je peux comprendre qu'un jury tente de déstabiliser quelqu'un pour tester sa résistance au stress. Cela dit, pour les hautes fonctions dans la Justice, jamais on ne se permettrait un tel comportement."
La composition des jurys, mélange de cadres du Selor, d'experts universitaires et de hauts fonctionnaires, suscite également des réserves. La "couleur politique" des hauts fonctionnaires est dénoncée par les candidats interviewés. Et à ce petit jeu-là, le PS, présent à tous les niveaux de pouvoir, rentre gagnant : "Le Parti socialiste est une machine de guerre à ce niveau, observe un CDH. Il place des hauts fonctionnaires dans tous les jurys même si ces hauts fonctionnaires n'ont absolument aucun rapport avec l'épreuve en cours." Rompu à la mécanique du recrutement public, le PS laisse encore (souvent) le CDH - pourtant également présent à tous les niveaux de pouvoir - sur le carreau...
Parfois, un délégué syndical peut assister aux épreuves orales du Selor, mais en tant que simple observateur.
L'un d'entre eux témoigne : "Les questions qui sont posées sont sensiblement les mêmes d'un candidat à l'autre, dit-il. Mais c'est lors de la proclamation des résultats qu'on est souvent le plus étonné : des candidats qui ont répondu parfaitement à l'interview se retrouvent derniers sur la liste du classement. Et d'autres, qu'on trouvait très moyens, se retrouvent en tête. S'il y a une logique, je ne la comprends pas". La retranscription des épreuves orales par le Selor est également dans le collimateur des candidats : "C'est de la malhonnêteté intellectuelle, on ne retrouve absolument pas ce qui a été raconté durant l'entretien. Les éléments sont sortis du contexte, c'est complètement partial".
La question qui se pose pour la haute fonction publique est de savoir si les candidats qui ne viennent pas d'un cabinet ministériel mais du secteur privé ont voix au chapitre. "Qu'on cesse de lancer des appels d'offres publics alors que les gagnants sont finalement connus d'avance", dit Raphaël. "N'y aurait-il pas moyen de passer au-dessus des clivages politiques et de réellement ne retenir que le meilleur candidat ?", demande Nicole Roland. Au-delà de la sélection de responsables pour le secteur public, se joue un véritable exercice démocratique. "Les directeurs de l'administration ont la capacité de paralyser ou de booster l'action de leur ministre, analyse Denis. Si après le scrutin de 2009, le PS quitte les majorités à la Région et à la Communauté, l'armada de directeurs socialistes constituera un gouvernement bis".

Concrètement, le poste convoité par Denis ira à un haut fonctionnaire socialiste. Celui d'administrateur général de l'ONE (Nicole Roland) a été attribué à un CDH. Et, aux dernières nouvelles, un CDH s'oppose à un PS dans la dernière ligne droite pour la fonction que visait Raphaël.

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