30 mai 2008

Le privé investira un milliard pour l'école

Ecoles à rénover : 1 milliard de plus
C'est le privé qui investira le milliard d'euros, dans un horizon de dix ans. La Communauté française rétribuera le privé, sur 27 ans, à hauteur de 1,7 milliard. Un partenariat fort attendu, qui suscite pourtant des réactions mitigées.
C'était un peu l'Arlésienne de la législature communautaire. Or voici que son cadre juridique est sur les rails : le gouvernement de la Communauté française, jeudi, a adopté en première lecture l'avant-projet de décret visant à booster les rénovations et (re)constructions scolaires par des partenariats publics-privés (ou PPP). La première pierre rénovée à cette enseigne devrait être inaugurée vers la mi-2009 (pile pour les élections régionales, que l'on y voit ou non malice...).
1 Le problème. D'une part, un parc immobilier scolaire que l'on sait largement vétuste. D'autre part, des capacités d'endettement réduites à la Communauté française, puisque les critères de Maastricht l'empêchent d'emprunter les sommes nécessaires aux besoins. Mais, dira-t-on, "le refinancement" de 2001 ? Il a permis de parer au plus pressé, mais n'a guère pu enclencher des rénovations lourdes ou constructions neuves. D'où l'idée d'une structure alternative de financement de travaux, accessible aux trois réseaux (ci-dessous), et qui s'ajoutera aux systèmes existants (les fonds classiques, qui dégagent aujourd'hui quelque 100 millions par an).
2 Le système. La Communauté s'engage contractuellement à payer, pendant 27 ans, un montant récurrent à des consortiums de partenaires privés, où se retrouvent obligatoirement et à la fois des opérateurs financiers, de la construction et de la maintenance. En contrepartie, le privé finance les travaux, les exécute, assure l'entretien du bâti pendant les 27 ans en question. Avantages pour la Communauté : elle a l'argent rapidement sans pour autant s'endetter. Avantages pour le privé, outre le rendement de la rétribution : il traite non pas avec une myriade de pouvoirs organisateurs mais avec un interlocuteur qui apporte sa garantie, unique et stable (on veut dire : la stabilité d'un pouvoir public en charge de l'école, quel qu'il soit d'ici à 27 ans ! ). Le partenaire privé n'aura aucun droit réel sur le bâtiment; le pouvoir organisateur n'aura pas la maîtrise de l'ouvrage.
3 Les montants. Pour investir 1 milliard, le privé recevra une rétribution communautaire de 65 millions par an pendant 27 ans, soit quelque 1,75 milliard.
Et d'où viennent ces 65 millions annuels ? En fait, l'apport véritablement neuf du projet porte sur 25 millions/l'an, tirés sur le budget ordinaire de la Communauté (davantage, ce n'était pas possible, sous peine d'excéder les marges). Deuxième source : pour 15 millions, une augmentation du budget des bâtiments scolaires dans le cadre de la St-Boniface. La troisième, à 25 millions, constitue la part des pouvoirs organisateurs sélectionnés, puisque prélevée sur leurs subventions de fonctionnement.
4 Concrètement. Le système est accessible à tous les bâtiments scolaires (primaire, secondaire, supérieur non universitaire, centres PMS, promotion sociale, internats, artistique). Il porte sur des chantiers d'une certaine envergure (750 000 euros au minimum), qu'il s'agisse de rénover, étendre, reconstruire voir construire. L'opération devrait bénéficier à un total d'environ 300 établissements (sur 3 600).
Elle se déroulera en trois phases successives, chacune d'elles reposant sur un consortium choisi après un appel d'offres européen. Le gouvernement Demotte paraît ne pas douter de l'intérêt que manifesteront des partenaires privés.
Après adoption du décret, la première phase doit commencer dans le courant du second semestre. Elle pèsera dans les 300 millions, pour une cinquantaine d'écoles. Cette première sélection (malheur aux recalés...) sera opérée à partir des demandes antérieures pas encore rencontrées; des audits sont actuellement menés au sein des écoles concernées.

INCAPABLE DE FAIRE face au délabrement des bâtiments scolaires, la Communauté française va faire appel au secteur privé. En partenariat.

Un athénée brabançon qui a manqué de chauffage une partie de l'hiver parce que sa chaudière a rendu l'âme. Des classes provisoires en préfabriqué devenues définitives dans une école communale du sud de Bruxelles. Une école incendiée, en Luxembourg, dont les élèves ont été dispersés dans d'autres établissements en attendant un nouveau bâtiment. Ailleurs, des murs en lambeaux, des fenêtres brisées, des charpentes pourries, des plafonds éventrés, des escaliers branlants… Nos écoles attendent parfois jusqu'à 10 ans pour obtenir les crédits (publics) nécessaires à leur rénovation. Cela va bientôt changer.
Incapable de faire face aux demandes, la Communauté française annonce en effet depuis trois ans son intention d'appeler le secteur privé à la rescousse. Bingo ! Le décret est (enfin) prêt. Si le gouvernement l'approuve, comme prévu, ce jeudi matin, il devrait lui permettre de lever jusqu'à 1 milliard d'euros d'argent frais au cours des trois prochaines années pour faire face aux demandes les plus urgentes. Une manne. Grâce à la technique du partenariat public-privé (PPP), qui consiste ici à demander à des partenaires privés de financer et d'assumer la rénovation ou la (re)construction de bâtiments scolaires en échange d'une redevance annuelle. Gonflée d'intérêts substantiels. Les candidats, dit-on, « se bousculent » : banques, entrepreneurs, promoteurs immobiliers…
L'idée avait été lancée par Joëlle Milquet, la présidente du CDH, à la rentrée 2005. Elle s'inspire de ce qui se fait dans d'autres pays et dans d'autres secteurs, déjà, en Belgique. En Wallonie, l'autoroute A8 Tournai-Halle, l'ascenseur de Strépy ou le tunnel sous Cointe ont bénéficié d'un système similaire. En Flandre, ce fut la fermeture du ring d'Anvers, un projet de 3 milliards d'euros, et désormais aussi les écoles. Outre-Manche, où la technique est née, elle a notamment servi au métro de Londres.
Le PPP se justifie pour une raison purement comptable : la capacité d'emprunt des entités fédérées (Communautés et Régions) est limitée par les fameux critères de Maastricht, qui imposent un taux maximum d'endettement aux Etats ayant adopté l'euro. En somme, il s'agit d'une sorte d'emprunt indirect, débudgétisé, censé permettre d'apporter de l'argent frais pour faire face aux demandes les plus urgentes. On estime les besoins en attente à plus de 650 millions d'euros, dont 450 pour le seul réseau de la Communauté, alors que les trois fonds (un par réseau, en gros) qui financent actuellement les bâtiments ou les emprunts liés à l'investissement immobilier scolaire peinent à sortir 100 millions par an. Et de nouveaux besoins émergent à chaque instant.
Le nouveau système ne se substituera pas aux fonds existants, qui continueront à fonctionner en parallèle. En fait, le PPP ne concernera que 10 à 15 % du patrimoine immobilier scolaire et se concentrera sur les plus gros chantiers : constructions nouvelles, démolitions/reconstructions et rénovations lourdes. Tous les réseaux et tous les degrés, y compris le supérieur, pourront en bénéficier. Sauf les universités… et les bâtiments classés.
Pour beaucoup d'écoles, l'urgence s'impose. Et la plupart des intervenants s'accordent au moins sur un point : si le PPP n'est pas la panacée et comporte certains risques qu'il convient de bien identifier (lire par ailleurs), il peut apporter une solution rapide aux cas les plus désespérés. Qui s'en plaindra ?

Pas de transfert de propriété

Après une phase expérimentale théorique pilotée par un consortium de consultants (payés 1,5 million d’euros, dit-on), voici ce que prévoit concrètement, selon nos informations, le décret instituant un financement alternatif des bâtiments scolaires. Dit « Décret PPP ».
1Des lots de 20 écoles. Après avoir dressé la liste de ses besoins urgents et enregistré les demandes des autres réseaux s’ils souhaitent bénéficier du système (ils ne sont pas obligés), la Communauté française les groupera en lots d’une vingtaine d’établissements pour lesquels l’investissement nécessaire atteint au moins 750.000 euros par école et 25 millions au total. Pour chaque lot, elle lancera un appel d’offres auquel pourront répondre des « sociétés de projets » constituées pour l’occasion.
2La rénovation et l’entretien. Ces consortiums, formés par des banques, des promoteurs immobiliers, des entreprises de construction et des investisseurs privés (+ des partenaires publics s’ils restent minoritaires), signeront pour chaque lot un contrat prévoyant la prise en charge et le financement des travaux de rénovation ou de construction ainsi que l’entretien des bâtiments pendant toute la durée du contrat. Ils n’auront aucun droit de propriété et assumeront les risques liés à la construction et à la mise à disposition des bâtiments (retards, etc.). Les pouvoirs organisateurs définiront le cahier des charges (nombre de classes, etc.) et veilleront, le cas échéant, au respect architectural des bâtiments.
3Une redevance annuelle. Les contrats, signés entre 2009 et 2012, auront une durée de vie de 27 ans. Les sociétés de projets percevront chaque année une redevance couvrant le capital investi, les frais d’entretien et un intérêt légèrement supérieur (de 1 % ?) au taux des emprunts d’Etat. La Communauté française pense pouvoir assumer des redevances annuelles de quelque 65 millions d’euros. Cela équivaut, selon ses calculs, à un montant d’investissements total d’environ 1 milliard. Et pourrait concerner entre 10 et 15 % des bâtiments scolaires. Dans le cadre de la phase expérimentale, des projets ont déjà été identifiés comme éligibles pour un budget compris entre 316 et 408 millions d’euros.
4Une clé de répartition. Les trois réseaux d’enseignement seront concernés, mais pas de la même manière. En gros, les fonds existants interviennent actuellement à 100 % pour les bâtiments de la Communauté française et à 60 % pour ceux du réseau officiel subventionné (communes et provinces). Pour le libre, dont les pouvoirs organisateurs sont propriétaires des écoles, ils n’interviennent pas en capital mais garantissent les emprunts et prennent en charge une partie des intérêts. Le PPP prendra en charge 100 % de la redevance pour les bâtiments appartenant à la Communauté, 78,5 % pour ceux du réseau officiel subventionné et 53,5 % pour le libre. Sur les 65 millions de redevance annuelle déjà évoqués, le coût à charge de la Communauté pourrait atteindre jusqu’à 45 millions, selon certains.
5Et les autres bâtiments ? Le PPP sera financé par les fonds des bâtiments existants, dotés par la Communauté. Ceux-ci dépensent actuellement environ 100 millions par an. Un budget supplémentaire de 25 millions d’euros leur sera alloué. Il leur restera donc environ 80 millions pour faire face à toutes les autres demandes qui continueront d’affluer. Le PPP concernant 10 à 15 % des bâtiments, faites le compte : il y aura moins de sous, proportionnellement, pour ceux qui en sont exclus. Ils risquent donc de ne pas voir leurs demandes aboutir plus rapidement. Que du contraire.

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