La Belgian connection
LES FILMS DE NOS CINÉASTES qui s'en vont au Festival de Cannes tissent des liens entre eux. En voici la toile.
Le Festival de Cannes ouvre sa 61e édition avec une présence exceptionnelle d'une dizaine de films belges. A la veille de cette déferlante, une question s'impose : y aurait-il un cinéma belge ? Une identité culturelle ?
A la première question, la réponse est sans appel. Non, il n'y a pas de cinéma belge. Les créations du nord et du sud du pays sont profondément différentes. La Flandre livre globalement un cinéma populaire (comédies, films d'action, thrillers…), qui séduit ses habitants mais a bien du mal à intéresser les étrangers.
Tandis que les francophones font généralement un cinéma d'auteur, qui ravit autant les cinéphiles et festivaliers du monde entier qu'il laisse de marbre les habitants de Bruxelles et de Wallonie.
Cette distinction étant faite, on peut par contre affirmer qu'il y a, des deux côtés de la frontière linguistique, des identités culturelles fortes. La Flandre collectionne actuellement les succès « locaux » en consacrant des BV (Bekende Vlamingen, soit des vedettes made in Vlaanderen). Et si le sud du pays ne fait pas encore dans le WC (lisez : Wallon Connu), son cinéma n'est pas, comme d'aucuns l'affirment, l'œuvre de seuls électrons libres.
Sur les cinq longs-métrages qu'elle envoie à Cannes, la Communauté française de Belgique propose quatre films (Le silence de Lorna, Elève libre, Home, Eldorado) qui, l'air de rien, tissent entre eux les liens d'une véritable toile. Seul véritable électron libre : le « tatiesque » Rumba, d'Abel, Gordon et Romy.
Le silence de Lorna, des Dardenne, est en soi une petite entreprise familiale. Réalisé par des frères, il réunit au haut du casting quatre anciens « bébés » des cinéastes serésiens. Olivier Gourmet (La promesse, Le fils), Jérémie Rénier (La promesse, L'enfant), Fabrizio Rongione (Rosetta) et Morgan Marinne (Le fils) sont tous des « créations «, aujourd'hui sacrément émancipées, des frères Dardenne.
Fabrizio Rongione et Jérémie Rénier ont, depuis leurs éclatants débuts, fait leur chemin devant la caméra de Joachim Lafosse (Ça rend heureux, pour le premier, Nue propriété pour le second). On retrouve Olivier Gourmet en haut de l'affiche de Home, le film d'Ursula Meier, présenté dans la section Un certain regard. Gourmet y tient tête à Isabelle Huppert, qui était elle aussi il y a peu dans Nue propriété.
A noter, encore, que ce sont les frères Dardenne qui ont attribué en 2001 à un précédent court-métrage d'Ursula Meier (Tous à table) le prix du festival de Bruxelles. Joachim Lafosse et Ursula Meier sont en outre issus de la même école de cinéma (IAD). Leur cinéma, à l'instar de celui des Dardenne, est un cinéma du réel, préoccupé de vérités, d'éducation et de transmission. Entre Nue propriété (Lafosse), L'enfant (Dardenne) et Des épaules solides (Meier), il y a plus que des coïncidences.
Ces portraits d'enfants sauvages pointent à leur façon du doigt les cicatrices liées aux blessures familiales.
Nostalgie de Belgique ?
Et Bouli Lanners ? Son cinéma est différent. A digéré le cinéma américain (buddy movie, road-movie). Mais s'accroche radicalement au paysage wallon. Et dresse lui aussi, dans Eldorado, le portrait de tendres paumés en mal de frères, pas toujours assez conscients d'être nés quelque part.
Bouli appartient qui plus est à l'écurie liégeoise de Versus Production, comme Lafosse.
Il y a encore ceci. Dans Elève libre, il y a un long plan où apparaît un drapeau belge. Dans Eldorado, une scène où le personnage principal chante « La Brabançonne ». Deux images pour laisser couler, l'air de rien, un parfum de nostalgie. Et pour rappeler que les familles belges sont aujourd'hui décidément bien déchirées.
Un Pavillon Belgique, enfin
Pour la première fois, les acteurs belges du cinéma seront regroupés sous un seul pavillon, battant les couleurs belges. une initiative fédérale qui a conquis tout le monde. Et l'on retrouvera donc, dans ce Pavillon Belgique, le Centre du cinéma et de l'audiovisuel, le Vlaams audiovisueel fonds, Wallimage, Flanders Image, Wallonie-Bruxelles Images, les bureaux de tournage des trois Régions et Belgian tax-shelter.
Le ministre des Finances Didier Reynders est très fier de cette réalisation. D'autant plus que tous les participants au marché du film arboreront i un pass dont la lanière portera les mots « www.invest.belgium.be » en noir jaune rouge.
De quoi, en tout cas, intéresser les visiteurs et attirer les producteurs prêts à tourner chez nous et à produire avec nous. Reynders brandit d'ailleurs les chiffres de cet incitant fiscal qu'est le tax-shelter. Les sommes investies dans la production audioviosuelle étaient de 15 millions d'euros en 2004. Jusqu'ici, elles atteignent 91 millions pour 137 œuvres ; on devrait donc dépasser les cent millions à la fin de l'année. « Sept des dix films belges en compétition à Cannes sont soutenus par le tax-shelter, précise Didier Reynders, dont un en néerlandais. »
Des chiffres en croissance
Le silence de Lorna, des frères Dardenne, est dédié à Henry Ingberg. « Ces films belges à Cannes forment ensemble un hommage à Henry Ingberg, dit Fadila Laanan, la ministre de la Culture et de l'Audiovisuel. C'estlui a qui défendu ce cinéma belge. Et cette carte de visite qu'est Cannes montre que nous avons des talents chez nous. Malheureusement, le public belge n'est pas enclin à être aussi enthousiaste que les jurys internationaux. »
Il faut donc non seulement aider à la production mais aussi à la distribution et à la promotion des films.
Fadila Laanan égrène les chiffres. Les budgets du Centre du cinéma se sont accrus de 26,61 % depuis 2004, pour atteindre 13.751.000 d'euros en 2008. Les budgets d'aide aux salles d'art et d'essai ont augmenté de 492.5900 euros en 2004 à 751.600 cette année. La ministre précise quelques données. Pour Le silence de Lorna, des Dardenne, la Communauté française apporte 719.000 euros, soit 35 % de la part belge. Pour Eldorado, de Bouli Lanners, 572.000 euros soit 39 % de la part belge, Pour Elève libre, de Joachim Lafosse, 520.000 euros, soit 35 % de la part belge. Pour Rumba, de Romy, Gordon et Abel, 538.000 euros soit 61 % de la part belge. Le cinéma, ça coûte…
De son côté, Wallimage Productions, qui dépend de la Région wallonne, augmente son enveloppe, de 2,5 à 3,5 millions d'euros par an, dont un au moins doit être affecté au cinéma d'animation. Wallimage a financé 15 films qui sortiront sur les écrans en 2008. Quatre d'entre eux seront à Cannes : ceux de Dardenne, Lanners, Lafosse et Meyer.
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