14 mai 2008

Des députés wallons pas très éthiques

Ils consultent… pour échapper aux déclarations de mandats

LE DÉCRET COURARD doit être voté d’ici au 20 juin. Pour l’éviter, les députés wallons font lanterner le ministre.
Retournons, une fois de plus, le couteau dans la plaie. Septembre 2005. Le scandale de la Carolo éclate, qui met en lumière les comportements inacceptables d’une série de mandataires socialistes. Au PS, Elio Di Rupo parle de « parvenus ». Au CDH, Joëlle Milquet annonce une « tornade éthique. » Sur les bancs du parlement wallon, majorité et opposition se drapent dans la même indignation. Les députés accordent à Philippe Courard (PS), ministre en charge des Pouvoirs locaux, des « pouvoirs spéciaux » pour rédiger sa proposition de décret. Objet ? Le contrôle des mandats locaux, des mandats dérivés (administrateur d’intercommunales, de sociétés de logement, d’ASBL…) et des avantages en nature (voiture de fonction, GSM). C’est l’euphorie.
Trois ans plus tard, on déchante. Au sein du bureau du parlement (où siègent PS, CDH et MR), soit dans la discrétion la plus absolue (Ecolo n’y est pas représenté), ces mêmes députés remuent désormais ciel et terre… pour éviter que les arrêtés d’application du décret Courard soient votés avant le 20 juin, date à laquelle prennent fin ces « pouvoirs spéciaux » qui ont été conférés au ministre. Le Soir a en effet pris connaissance d’une très éclairante lettre envoyée par Jean Bourtembourg, éminent juriste, à José Happart (PS), président du parlement wallon. Dans cette lettre, datée du 28 avril, que tous les chefs de groupe (y compris Ecolo, donc) ont reçue, on découvre que le bureau du parlement souhaite « pouvoir disposer d’une étude juridique relative aux éventuelles implications des dispositions de ces deux arrêtés sur le statut des députés wallons. » La réponse du juriste est limpide : « Le mandat de député wallon correspond. » Puis plus loin encore, on lit ceci : « Vous m’indiquez que les membres du bureau souhaiteraient plus particulièrement savoir si l’habilitation donnée au gouvernement (…) l’autorise à prendre des dispositions qui pourraient avoir des conséquences sur le statut des parlementaires déjà réglé par la loi spéciale du 8 août 1980.
»
On peut difficilement être plus clair sur les intentions juridiques et politiques des députés wallons. D’autant qu’ils ont demandé à Bourtembourg de poursuivre son analyse. Etonnant, voire schizophrénique, car après avoir véritablement bousculé Courard en lui réclamant son texte, voici que les cols blancs du parlement souhaitent éviter qu’il leur soit applicable. Et ce, sous prétexte que « cette question est déjà réglée par la loi spéciale du 8 août 1980. » On croit rêver !
Comment expliquer ce grand écart politique ?
D’une part, parce que pour les parlementaires régionaux, comme fédéraux (ils sont, eux aussi, souvent député ou bourgmestre et donc concernés), ce texte débouchera sur l’impossibilité de cumuler les mandats, et donc sur une diminution nette de leur influence politique. D’autre part, parce qu’ils risquent d’importantes pertes financières. Rappelons que le montant total des revenus d’un mandataire local ne peut dépasser une fois et demie l’indemnité d’un parlementaire (soit 6.400 euros brut par mois).
Plus fondamentalement encore, cette fronde parlementaire s’explique par le fait, on l’a dit, que les mandataires devront désormais déclarer non seulement leurs mandats publics et privés mais aussi, et c’est là un élément neuf par rapport à la loi fédérale, le montant de leur rémunération. Ils devront aussi, autre élément neuf, déclarer leurs avantages en nature. Enfin, et c’est peut-être là, la raison principale de leur courroux, ils seront contrôlés par la future Cour des comptes wallonne. Et plus par le bureau du parlement où l’on réglait, finalement, les choses entre soi.
Sans oublier qu’en cas de dépassement ou de fausse déclaration, des sanctions sont prévues, qui vont du remboursement des montants indûment perçus à l’inéligibilité pour une période de six ans, en passant par la déchéance de tous les mandats,
Qu’en disent les principaux intéressés ? Guère plus qu’un voleur qui se fait piquer la main dans le sac : « Il n’est pas logique que les députés wallons soient doublement contrôlés », nous dit cet élu de la majorité. « Le décret wallon de Courard impose des définitions (mandats privés, mandats dérivés…) qui élargissent le champ d’application de la loi fédérale », nous dit cet autre, qui s’enfermera ensuite dans le mutisme le plus complet.
Philippe Courard, lui, reste très prudent. Au cabinet du ministre, on se contente de dire que « le gouvernement a entendu la demande pressante des citoyens wallons d’organiser un système fiable et totalement transparent du contrôle des mandats politiques. Un texte a été remis qui va dans ce sens. Il se trouve sur la table du parlement wallon, qui est appelé à se prononcer. »
Vous avez dit « grand malaise éthique » ?

Les députés wallons, des parvenus qui s’ignorent
S’ils avaient décidé de tendre le bâton pour se faire battre, ils ne s’y seraient pas pris pas autrement : comme des manches. Ou comme ces « parvenus » de sinistre mémoire, dont s’était gaussé Elio Di Rupo, le chasseur de têtes de 2005, transformé, depuis, en chasseur déprimé.
Les embûches rencontrées par le décret Courard sur les mandats sont l’épicentre du fonctionnement de la mécanique parlementaire wallonne, bien sûr, mais aussi de la Communauté française et plus largement de la Chambre et du Sénat. Car les petits et grands privilèges accordés aux députés wallons se retrouvent à Bruxelles. Pas réservés aux mêmes têtes, évidemment, mais pour d’autres bons petits soldats. Trop heureux d’être aux ordres pour tenter le moindre geste de rébellion. Trop heureux d’avoir été « élus » pour risquer de tout perdre.
La manœuvre est limpide. Au bout, tous ces parlementaires forment une longue chaîne d’obligés contrôlant socialement l’ensemble du modèle.
Redoutable, diabolique, presque, parce dans cette armée des ombres, tout le monde tient tout le monde.
C’est cette incroyable force centripète qui transforme le plus grand défenseur de l’éthique politique en outre-mangeur, de pouvoir et de fric. Avec son lot d’avantages, en nature ou non. Et d’influence, réelle ou feinte.
Depuis les voyages du Bureau en Inde, au Vietnam ou au Brésil, jusqu’aux missions parlementaires au Congo ou en Suède. Justifiés ou non. Depuis les présidences de commission, jusqu’à la conférence des présidents. Depuis le titre envié d’administrateur chez Dexia ou chez Voo, jusqu’à celui d’Ethias ou de Tecteo.
C’est tout ce système que le décret Courard tente de mettre sur écoute, souhaite contrôler pour éviter qu’il ne continue de se nourrir (pourrir ?) de l’intérieur.
Les déclarations d’intention parlementaires ? Oubliées. Jetées aux lions. Transformées en « acte de résistance » contre un texte dont ils ont prononcé l’arrêt de mort. Ce qui prouve ceci : entre l’intérêt général et l’intérêt particulier, les députés wallons ont choisi. Ne cherchant même plus à masquer leur incohérence et leur schizophrénie. Ce qui, finalement, est peut-être le plus inquiétant. Freud aurait adoré.

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