13 mai 2008

L’Europe dans les communes à facilités

Un Français et un Serbe mènent l’enquête
Deux Européens dans le chaudron belge
LES ÉMISSAIRES européens rencontrent les bourgmestres francophones « rebelles » et le Flamand Marino Keulen.

Ils ne pèsent pas bien lourd, mais leur irruption dans un paysage politique hérissé de polémiques Nord-Sud ajoute à la dramaturgie politico-médiatique ; et ça compte. Sans préjuger de leurs conclusions (un « avis ») relatives au refus flamand de nommer trois bourgmestres de la périphérie bruxelloise, les émissaires du Congrès des pouvoirs locaux du Conseil de l’Europe irritent au Nord (genre : « Mais de quoi se mêlent-ils ? ») et ravissent au Sud (en substance : « L’Europe vient enquêter pour la cinquième fois, c’est qu’on a raison de se plaindre. »). Pour se forger une opinion, le Français Michel Guégan et le Serbe Dobrica Milovanovic (le Suédois Anders Knape, troisième homme, était absent hier), en mission chez nous pour 48 heures, récoltent les arguments de tous les camps.
1Que font-ils ici ? Rendez-vous le plus attendu mardi : le face-à-face avec les trois bourgmestres « rebelles » de la périphérie bruxelloise : François Van Hoobrouck (Wezembeek), Damien Thiéry (Linkebeek), Arnold d’Oreye de Lantremange (Craainhem), auxquels la tutelle flamande reproche d’avoir adressé aux habitants francophones des convocations électorales en français aux communales d’octobre 2006, ce qui justifie, aux yeux du ministre flamand de l’Intérieur, Marino Keulen, l’interdiction de ceindre l’écharpe mayorale.
Un casse-tête juridique et politique. « Ils connaissent très bien le dossier, mieux que la plupart des politiques chez nous », assure Damien Thiéry à l’issue de l’entrevue avec les émissaires européens, à 19 heures, à Bruxelles. François Van Hoobrouck acquiesce : « Nous avons été entendus, nous sommes confiants. » Les trois francophones rivalisent de bonne foi : « Nous ne sommes guidés par aucune animosité, aucune volonté de provoquer, seulement par le respect de la loi et de la démocratie »… Les délégués français et serbe s’éclipsent sans rien dévoiler de leurs entretiens. Michel Guégan lance juste « Un ministre m’a dit que j’étais comme un journaliste, que je posais toujours les mêmes questions ! ».
Qui ? « Devinez »… Dans la journée, les deux avaient été reçus par Charles Picqué, entouré des chefs de file des commissions communautaires française et flamande de Bruxelles, Benoît Cerexhe et Guy Vanhengel, par Patrick Dewael, ministre fédéral de l’Intérieur, et par l’inflexible Marino Keulen.
Avec lui, ils ont eu « une longue discussion, de près de deux heures », nous précise-t-on. « M. Keulen était agacé, par moments, de devoir “se justifier tout le temps”. » Lui qui ne varie pas : les bourgmestres ont enfreint la loi flamande, ils refusent de l’admettre, ils doivent payer.
2Que représentent-ils exactement ? La mission d’enquête du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a un poids symbolique. Très relatif… Le Conseil de l’Europe, qui regroupe 47 pays et n’a aucun lien avec l’Union européenne, pèse déjà lui-même très peu dans les affaires du monde. Créé en 1949, il a pour objectif de « favoriser en Europe un espace démocratique et juridique commun ». Son « fond de commerce » est principalement organisé autour de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais le Congrès est surtout le lieu de belles paroles, qui doivent faire consensus… En son sein, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux est une instance mineure. « Avec la mission en Belgique, c’est la première fois qu’elle a une telle visibilité. Mais, politiquement, ce n’est rien », note un observateur. Le Congrès rassemble en deux chambres 636 membres et suppléants, qui disposent d’un mandat électif dans une collectivité locale ou régionale de l’un des 47 pays du Conseil de l’Europe.
Organe purement consultatif, le Congrès se réunit trois fois par an. Ses retrouvailles permettent pour l’essentiel de créer des réseaux de cordialités aux niveaux local et régional. C’est un agréable petit « à-côté »…
L’année dernière, dans son souci de veiller à la bonne application de la Charte européenne de l’autonomie locale – son œuvre de référence –, il avait pris l’initiative d’une autre mission, en Turquie. Il s’agissait de maires kurdes qui avaient été destitués. Cette affaire avait fait l’objet, de la part du fameux Congrès, d’une « recommandation » au Comité des ministres, la plus haute instance du Conseil de l’Europe. On peut raisonnablement penser que ce document n’a pas durablement infléchi la politique européenne à l’égard de la Turquie… Outre la Belgique, la Lettonie fait en ce moment l’objet d’un intérêt particulier du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Dans ce pays balte, c’est le sort de la minorité russophone qui fait problème.
Chez nous, après leurs derniers contacts aujourd’hui, les émissaires européens se consacreront à la rédaction de leurs conclusions.


Trois représentants du Conseil de l’Europe ont entamé ce mardi matin une série de consultations pour s’informer de la situation à la suite de la non-nomination des trois bourgmestres des communes à facilités de Linkebeek, Crainhem et Wezembeek-Oppem par le ministre flamand des Affaires intérieures.

Leur premier rendez-vous était fixé au cabinet du ministre-président de la Région bruxelloise Charles Picqué qu’ils ont rencontré durant près de deux heures, aux côtés des ministres bruxellois flamand Guy Vanhengel (Open Vld) et francophone Benoît Cerexhe (CDH). Ceux-ci président les commissions communautaires flamande et française de Bruxelles.
À sa sortie du cabinet de Charles Picqué, la délégation du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, composée de Michel Guégan (chef de délégation – France), Dobrica Milovanovic (Serbie) et Anders Knape (Suède), vice-président du Congrès, s’est refusée à tout commentaire.
Les ministres bruxellois francophones et flamands ont quant à eux souligné qu’ils étaient les seuls représentants des deux principales communautés du pays à rencontrer la délégation du Conseil de l’Europe ensemble.
Selon eux, cela s’est fait dans un « face à face amical » au cours duquel chacun a pu exprimer son point de vue.
Le ministre-président Charles Picqué a affirmé qu’il serait « illusoire de croire que le problème de la nomination des bourgmestres de la périphérie peut-être désaccouplé des autres problèmes institutionnels ».
Guy Vanhengel a estimé qu’un bourgmestre ne pouvait être nommé lorsque son acte de candidature faisait l’objet d’un rapport négatif de la part du gouverneur de la province.
« À Bruxelles, nous avons toujours surmonté les moments de petite tension entre nous. Si nous étions responsables en périphérie, je suis presque sûr que nous aurions trouvé une solution », a-t-il ajouté.
Benoît Cerexhe a souligné quant à lui que des bourgmestres élus démocratiquement devaient être élus.
La délégation du Conseil de l’Europe s’est ensuite rendue chez le ministre fédéral de l’Intérieur, Patrick Dewael.
En fin d’après-midi, elle écoutera les trois bourgmestres privés de nomination.
Auparavant, elle aura rencontré le ministre des Affaires intérieures flamandes Marino Keulen qui a refusé de nommer les trois bourgmestres parce qu’ils n’ont, selon lui, pas respecté la législation linguistique en envoyant des convocations électorales spontanément en français.
Le ministre a souligné mardi qu’il n’avait pas de préjugé à l’égard des francophones.
« Les trois bourgmestres concernés n’ont pas été nommés car ils ont pris l’option du conflit permanent. Ils disent qu’ils ne reconnaîtront jamais l’autorité flamande et l’un d’entre eux, M. Van Hoobrouck, évoque même ’un état de guerre’. J’ai toujours été fort patient, il a fallu longtemps avant que je dise que j’en avais ras-le-bol ».
Marino Keulen a par ailleurs jugé que le dossier de la nomination des bourgmestres n’était pas politique mais juridique.
« Un bourgmestre peut être à 1000 % en désaccord avec moi, mais il doit appliquer les lois et les décrets sur son territoire. En outre, il exerce une partie des compétences de l’état telles que la sécurité et la police.
C’est pour cela que l’autorité supérieure se prononce sur sa nomination », a-t-il encore dit.
Le ministre flamand s’est enfin interrogé sur l’opportunité du passage des délégués européens chez le ministre-président bruxellois Charles Picqué. « Nous avons pu obtenir que le ministre Guy Vanhengel puisse prendre part à l’entretien, a-t-il précisé.

Les bourgmestres se disent confiants

Après avoir été entendus pendant plus d’une heure trente, les trois bourgmestres de communes à facilités de la périphérie bruxelloise ont dit faire confiance à la démarche des représentants du Conseil de l’Europe venus consulter tous azimuts sur les raisons de leur non-nomination par le ministre flamand des Affaires intérieures.

A l’issue de cet entretien, ils ont dit faire confiance dans la démarche de ces représentants du « Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe ».
Le ministre des Affaires intérieures flamandes entendu auparavant, s’est quant à lui demandé s’il avait pu convaincre cette même délégation.
« Nous sommes confiants. Nous avons été écoutés dans un climat serein et très constructif par des membres du Conseil qui connaissent leur dossier impeccablement », a affirmé le bourgmestre de la commune de Wezembeek-Oppem, entouré de ses collègues de Crainhem, Arnold d’Oreye et de Linkebeek, Damien Thiéry.
Les nombreuses questions qui leur ont été posées ont notamment porté sur les raisons de l’envoi de convocations électorales en français et en néerlandais, ainsi que sur la légalité ou nom de l’usage du français par les conseillers communaux des communes à facilités, a-t-il dit.
François Van Hoobrouck a rappelé que les bourgmestres des communes à facilités n’avaient pas eux-mêmes attiré l’attention du Conseil de l’Europe sur leur situation. Le bourgmestre de Linkebeek, Damien Thiéry a déclaré quant à lui que « certains politiciens belges ne connaissent pas le dossier aussi bien que les deux délégués du Conseil de l’Europe ». Il a souligné que lui et ses collègues demandaient « le respect de la démocratie et de la loi en toute civilité ».
Comme à l’issue de leurs autres entretiens du jour, les délégués du Conseil, le Français Michel Guégan, chef de délégation, et le Serbe Dobrica Milovanovic se sont refusés à tout commentaire, au terme de leur première journée d’information.
Contrairement à ce que donnait à penser la présentation de leur programme de travail, le vice-président du Congrès, Anders Knape (Suède), n’a pu faire le déplacement en Belgique pour des raisons d’agenda.
Keulen : « un échange intensif »
De son côté, le ministre des Affaires Intérieures flamandes Marino Keulen qui les avait reçus plus tôt dans l’après-midi, a parlé d’un « échange intensif ». Il s’est demandé s’il avait pu convaincre la délégation. D’après lui, une série d’images concernant les autorités flamandes sont bien ancrées dans les esprits et « révoltantes ».
Il a par ailleurs dit percevoir dans la démarche des bourgmestres un agenda électoral caché. « Ils ont voulu faire un pied de nez à la Flandre et ont parié sur le fait que leur affaire serait réglée durant la formation du gouvernement », a-t-il commenté.
Marino Keulen s’est par ailleurs interrogé sur l’opportunité pour la délégation du Conseil de l’Europe de s’être rendue chez le ministre-président bruxellois Charles Picqué.
Avant le ministre fédéral de l’Intérieur Patrick Dewael, celui-ci a en effet reçu la délégation, entouré des ministres bruxellois francophone, Benoît Cerexhe, et flamand, Guy Vanhengel.
« C’est sans doute la reconnaissance de la Région bruxelloise par l’instance européenne qui lui est insupportable », a répliqué Charles Picqué à l’adresse de Marino Keulen. Le ministre-président bruxellois a souligné que lors de leur passage par la Région bruxelloise, les délégués du Conseil de l’Europe avaient été « confrontés à un point de vue équilibré et sans guérilla de mandataires francophones et flamands ».
Mercredi, la délégation du Conseil de l’Europe rencontrera le ministre-président de la Communauté germanophone Karl-Heinz Lambertz ; des représentants de l’Union des Villes et communes de Flandre ; Marleen Vanderpoorten, présidente du parlement flamand, ainsi que des représentants de l’Union des Francophones de la périphérie. Elle fera le point sur leur mission, devant la presse, à 16h30.

Vaudeville belge pour public serbo-breton

Mardi, les inspecteurs du Conseil de l'Europe ont assisté à une 1re passe d'armes communautaire au cabinet Picqué. Les bourgmestres de la périphérie bruxelloise sont au coeur de leur "tournée". Qui s'achève aujourd'hui.
La journée du mardi, pour les deux Sherlock Holmes délégués par le Conseil de l'Europe, a commencé sur le ton de l'humour (belge). "J'ai dit au Serbe quand il est parti : "Ne vous en faites pas, hein ! En Belgique, on crie beaucoup, on s'excite, mais on est toujours pas prêts de voir une guerre civile"... Dobrica Milovanovic, le "Serbe", n'a, paraît-il, que modérément apprécié le trait d'humour du ministre bruxellois Vanhengel (VLD). Cela se passait au sortir d'une réunion de deux heures, mardi matin, au cabinet du ministre-Président Charles Picqué (PS).
Pour leur entrée en matière, les inspecteurs - un Français, un Serbe - du Conseil de l'Europe chargés d'enquêter sur la non-nomination de trois bourgmestres en périphérie bruxelloise ont été plongés jusqu'au cou dans le belgo-belge. Benoît Cerexhe (CDH) faisait face à Guy Vanhegel (VLD) pour le seul duel direct auquel les inspecteurs auront droit durant leur courte mission (deux journées) en Belgique.
- "J'ai exposé l'argumentaire francophone", raconte Benoît Cerexhe. D'abord, sur l'envoi des convocations électorales en français dans les communes de Linkebeek, Wezembeek-Oppem et Crainhem. Et, ensuite, sur l'utilisation du français dans les Conseils communaux de ces trois communes à facilités de la périphérie bruxelloise. "J'ai fait remarquer que Keulen n'avait même pas pris la peine d'auditionner les trois bourgmestres !"
- "Mais il y avait un rapport très clair du gouverneur du Brabant flamand !, enrage Vanhengel (en français dans le texte, le Serbe a un traducteur). Keulen n'avait pas besoin de les entendre !"
- Cerexhe intervient : "C'est du deux poids deux mesures, ça ! Quand les maïeurs flamands n'organisent pas les élections parce que BHV n'est pas scindé, on ne leur tape pas sur les doigts mais quand ce sont des francophones..."
- Là, "Guégan (le Breton, NdlR), a eu la question qui tue, rapporte Vanhengel. "Est-ce que, oui ou non, les francophones ont demandé à recevoir des convocations électorales en français ?" Non, évidemment", siffle le Flamand.
- "On n'est pas d'accord de toute façon", termine Cerexhe. Vanhengel : "On a une profonde divergence sur le fond".
Puis, les inspecteurs Guégan et Milovanovic s'en sont allés trouver Marino Keulen, le libéral en charge des Affaires intérieures à la Région flamande. Lui a enfoncé le clou juridique devant ses deux interlocuteurs européens. Il a relaté le fonctionnement législatif belgo-flamand. Et en quoi la tutelle régionale sur les communes était incontournable. Tout y est passé. Histoire de prouver que la Région flamande est droite dans ses bottes à l'heure de ne pas nommer les trois maïeurs.
Last but not least, la première journée de la tournée belge des inspecteurs s'est achevée par une entrevue avec les trois bourgmestres Damien Thiéry, François Van Hoobrouck et Arnold d'Oreye. "La discussion a été amicale, souligne Damien Thiéry. Ils ont surtout voulu s'informer par rapport à ce que Keulen avait mis en avant plus tôt dans la journée. Ils ont bien compris certains "deux poids deux mesures", et ont de toute façon une excellente connaissance technique du dossier", conclut le bourgmestre de Linkebeek.
Allez, du calme. "De quoi parle-t-on finalement ?, temporise Guy Vanhengel . D'un Breton et d'un Serbe qui viennent s'informer sur la situation politique belge. Et avec aucune sanction de quelque nature que ce soit à la clé. Du calme." Le rapport du "Français" et du "Serbe" est attendu à la fin du mois de mai. Du calme.

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