12 septembre 2007

Schmidt de nouveau ambassadeur

Premier set à l'ambassadeur

Pierre-Dominique Schmidt avait été relevé en août de son prestigieux poste d'ambassadeur belge à Paris.Karel De Gucht l'accusait d'avoir produit un faux.Le Conseil d'Etat a suspendu mardi son rappel disciplinaire, trop expéditif.
BELGA
Pierre-Dominique Schmidt, l'ambassadeur belge déchu à Paris, a gagné une première manche mardi, devant le Conseil d'Etat, dans le litige qui l'oppose au ministère belge des Affaires étrangères.
La plus haute juridiction administrative du pays a en effet ordonné la suspension de deux arrêtés royaux - l'un, le 24 août, déchargeant Schmidt de son poste à Paris, l'autre, le 31 août, lui nommant un remplaçant en la personne de Baudouin de la Kethulle de Ryhove.
"Dans un pays civilisé, on respecte le droit. Le Conseil d'Etat l'a fait", s'est félicité hier l'un de ses avocats, Jean Bertembourg.
La décision porte plus sur la façon dont Schmidt a été relevé de ses fonctions que sur le fond de l'affaire, qui est dans les mains de deux parquets, à Nanterre et à Bruxelles.
Sans défense valable
Dans l'arrêt qu'il a livré mardi, le conseiller Vanhaeverbeek considère notamment que l'ambassadeur a subi une "mesure grave" en étant rappelé à Bruxelles et qu'il n'a pas pu assurer convenablement sa défense.
"Il devait notamment pouvoir disposer d'un délai raisonnable lui permettant d 'examiner, sur la base d'un dossier complet et avec l'aide éventuelle d'un avocat, les griefs" qui lui étaient reprochés, écrit le Conseil d'Etat.
Pierre-Dominique Schmidt a en effet été entendu à deux reprises au mois d'août par Jan Grauls, le patron des Affaires étrangères, et Karel De Gucht, le ministre, sans avoir réellement eu le temps de se préparer.
Le 14 août, il était une première fois convoqué par email à Bruxelles pour justifier "ses frais de représentation" et le 22 août, il recevait un deuxième courrier électronique, l'invitant à revenir à Bruxelles. Mais la décision, dans cet email, était prise. "Votre fonctionnement comme Ambassadeur à Paris est en cause et il vous est difficile de continuer à défendre, d'une manière sereine et crédible, les intérêts de la Belgique dans votre juridiction", tranchait Karel De Gucht.
Par l'extrême médiatisation de cette affaire mais aussi par la gravité de la mesure de suspension, le Conseil d'Etat estime aussi que cette décision est "de nature à porter gravement atteinte à sa réputation, non seulement auprès de ses collègues, des autorités françaises, du monde diplomatique en général et du personnel de l'ambassade d e Pa ris, mais aussi, plus généralement, auprès du public, tant belge que français".
Le Conseil d'Etat ne se prononce pas sur le fond de l'affaire, qui met aux prises les meilleurs juristes. Schmidt est défendu par quatre avocats, deux en France et deux en Belgique. L'Etat belge était représenté mardi par trois avocats.
La pièce centrale de cette saga est un faux qui a abouti dans le dossier de l'agence parisienne de Fortis où l'ambassadeur a obtenu une ligne de crédit de 75 000 euros pour apurer ses comptes personnels. La lettre se présentait comme une garantie des Affaires étrangères. La signature de Jan Grauls y est grossièrement imitée. Ce dernier dément avoir signé quoi que ce soit, et Pierre-Dominique Schmidt jure ses grands dieux qu'il n'a pas, comme on l'accuse, imité la signature de son supérieur.
Jan Grauls a été alerté de ce faux par un diplomate à la retraite engagé par Fortis, Lode Willems, ancien chef de cabinet de Willy Claes. Fortis France a depuis obtenu le remboursement par Schmidt de ce prêt.
Des anomalies
La lettre, datée du 4 juillet, présente plusieurs anomalies, à commencer par le fait qu'elle n'utilise pas le papier à en tête habituel de Jan Grauls et qu'elle a été faxée à partir d'un numéro apparemment inconnu. Un post-scriptum de la lettre plaint l'ambassadeur belge, "cher Pierre-Dominique", de devoir avancer 75 000 euros de provisions, "un montant très élevé qui doit te poser des difficultés", selon une personne qui a eu accès au dossier. Qui a rédigé cette lettre? Qui l'a envoyée? C'est la clé du mystère.

Le Conseil d’Etat annule l’arrêté royal qui suspendait Pierre-Dominique Schmidt à Paris Il n’a pas eu suffisamment l’occasion de se défendre, dit l’arrêt. Karel De Gucht annonce une nouvelle action.
La guerre des nerfs entre le ministre des Affaires étrangères, Karel De Gucht, et l’ambassadeur de Belgique à Paris, Pierre-Dominique Schmidt, peut se poursuivre. Ainsi en a décidé indirectement ce mardi le Conseil d’Etat en jugeant que la suspension de l’ambassadeur et la nomination de son successeur n’étaient pas valides. Dès lors, depuis hier, Pierre-Dominique Schmidt est à nouveau l’ambassadeur de Belgique à Paris. Mais le ministre a déjà fait savoir qu’il n’avait pas dit son dernier mot.
Pierre-Dominique Schmidt l’avait annoncé dès la révélation médiatique de sa suspension ordonnée par le ministère des Affaires étrangères, qui le soupçonne d’avoir commis un faux en écriture en vue d’obtenir un prêt auprès de Fortis : il ne laisserait pas tomber. Son poste d’ambassadeur belge à Paris, il allait s’y accrocher. Dès lors, après avoir déposé plainte contre X à Paris et à Bruxelles, pour faux en écriture, il avait introduit un recours au conseil d’Etat en vue de faire annuler sa suspension. Il vient donc d’obtenir gain de cause ce mardi.


« L’arrêt est exécutoire depuis ce mardi après-midi, commente Jean Bourtembourg, avocat de l’ambassadeur. Il suspend l’arrêté royal de suspension de M. Schmidt et il suspend l’arrêté royal qui désignait son successeur, Baudouin de la Kethulle de Ryhove. Donc mon client est depuis ce mardi à nouveau ambassadeur. »
Pour en arriver à une telle décision, trois points devaient être réunis. « Il fallait une extrême urgence, commente l’avocat. Elle a été avérée. Il fallait que mon client encoure un risque de préjudice difficilement réparable. Or, sa suspension portait gravement atteinte à sa réputation tant en France qu’en Belgique. »
Enfin, Me Bourtembourg ajoute que son client n’a, aux yeux du conseil d’Etat, pas eu le temps de se défendre. « Il n’a pas eu accès à toutes les pièces du dossier qui lui est reproché, il n’a pas pu prendre un avocat et il n’a pas eu le temps suffisant pour présenter ses observations aux Affaires étrangères. »
Aux Affaires étrangères, on prend bonne note de la décision mais le ministre De Gucht annonce déjà qu’il « relance la procédure pour relever M. Schmidt de ses fonctions en tenant compte des remarques du conseil d’Etat, qui s’est exprimé sur la forme mais pas sur le fond ». L’ambassadeur devrait donc prochainement être convoqué et se voir présenter, en présence de son avocat, l’intégralité du dossier le concernant.
Pour ensuite être nommé directeur adjoint du service de politique européenne ? « C’est un poste du même niveau que celui d’ambassadeur, dit-on au SPF. Il ne pourrait donc légalement pas le refuser car une telle nomination ne lui porterait aucun préjudice et ne pourrait être considérée comme une rétrogradation. »
Un poste qui amènerait Pierre-Dominique Schmidt à faire la coordination entre les différents services publics fédéraux afin de dégager un point de vue belge au niveau européen, commente Marc Michielsen, porte-parole des Affaires étrangères. Ce qui fait dire à Me Bourtembourg que « M. Schmidt n’est pas jugé digne de représenter son pays en France mais digne quand même de s’occuper des Affaires européennes à un poste éminent. C’est pour le moins paradoxal. »
Faut-il dès lors considérer que le retour de Pierre-Dominique Schmidt, qui est en congé de maladie, ne sera que de courte durée ? « Ce serait assez subjectif de la part de Karel De Gucht : comment peut-il déjà prévoir d’introduire une nouvelle demande de suspension sans encore avoir entendu M. Schmidt ? », interroge l’avocat.

Schmidt, un diplomate qui sort de l'ordinaire

Nommé à Paris par Louis Michel, ami d'Elio Di Rupo, le diplomate a fait carrière dans plusieurs cabinets socialistes.
Intelligent, festif, socialiste, homosexuel, et surtout non conventionnel : tel est Pierre-Dominique Schmidt, 46 ans, qui se défend comme un beau diable pour défendre sa réputation et pour être rétabli dans sa fonction d'ambassadeur belge à Paris.
L'homme avait été nommé il y a trois ans par Louis Michel, qui lui avait dit : "Je veux rajeunir Paris". Le ministre libéral voyait dans ce socialiste un antidote aux diplomates qui finissaient leur carrière à Paris. Pierre-Dominique Schmidt s'est, de cette façon, fait quelques ennemis. Mais sa carrière est assez longue pour qu'il en fît à d'autres occasions. On le vit ainsi chef de cabinet adjoint de Philippe Moureaux dans un gouvernement Martens, chef de cabinet de Laurette Onkelinx, candidat malheureux à la direction générale de la RTBF en 2002 et ami d'Elio di Rupo. Il joua aussi un rôle dans l'écriture de l'article 146 du Traité de Maastricht, qui, à l'initiative de l'Allemagne et de la Belgique, autorise la présence de ministres régionaux dans les Conseils de ministres européens.

A Paris, le "style Schmidt" a défrayé la chronique : fêtes, discos, clubbing, dîners gays, bref une ambiance très people. "Toutes ces fêtes ont été financées à 100 pc par des entreprises belges, comme Quick", nous a-t-il dit. "Il n'y a pas eu un franc de l'Etat. Un diplomate doit travailler en amont. Il faut parfois faire du people".
P.-D. Schmidt est accusé par les Affaires étrangères d'avoir manqué d'"intégrité absolue" et est soupçonné d'avoir produit un faux pour obtenir un crédit. Tout cela survient à un moment difficile de sa vie puisqu'il est en instance de divorce de sa femme. "A-t-on voulu me frapper parce qu'on savait que j'étais faible ?", s'interroge-t-il.


La procédure relancée prochainement


Le ministère des Affaires étrangères l'annonce, car l'arrêt du Conseil d'Etat ne porte que sur la forme.Sur le fond, les soupçons demeurent.
Le ministère belge des Affaires étrangères n'a pas paru ébranlé, mardi soir, par la décision du Conseil d'Etat concernant Pierre-Dominique Schmidt, malgré le camouflet qu'elle peut représenter pour l'administration. Le porte-parole, Marc Michielsen, a décliné la réaction du ministère en quatre points : 1. Nous avons pris note du jugement; 2. Il touche à des éléments de procédure; 3. Le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé sur la substance du dossier; 4. Nous allons relancer la procédure qui permettra de relever M. Pierre-Dominique Schmidt de ses fonctions.
Pour éviter un nouveau recours devant le Conseil d'Etat et prévenir un arrêt similaire à celui rendu mardi, le ministère des Affaires étrangères, et singulièrement ses services juridiques, vont donc étudier la décision dans les détails et réenclencher une procédure qui sera exempte de manquements sur la forme et permettra de rendre applicable la décision prise par Karel De Gucht au mois d'août.
Dossier bloqué
Etant donné que l'arrêt du Conseil d'Etat suspend le rappel de Pierre-Dominique Schmidt mais aussi la nomination de Baudouin de la Kethulle de Ryhove, son successeur désigné, le dossier est virtuellement bloqué. Et l'ambassade belge à Paris se trouve sans véritable locataire, si ce n'est un Pierre-Dominique Schmidt, en sursis dans l'attente d'une nouvelle procédure du ministère.
Les Affaires étrangères se sont refusées, mardi, à donner une indication précise sur le délai pour enclencher celle-ci. Mais cela pourrait être une affaire de jours, les Petits Carmes n'ayant aucun intérêt à laisser perdurer cet imbroglio.
A la question de savoir si étaient bien opportunes les déclarations du ministre Karel De Gucht fin août, indiquant notamment que tous les soupçons allaient dans la direction de Pierre-Dominique Schmidt pour expliquer le faux en écriture, le porte-parole s'est bien évidemment retranché derrière un "no comment" diplomatique.

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