30 juillet 2007

Patrons anoblis : comment les choix se font

Ils sont nombreux les acteurs du monde économique à avoir été anoblis cette année. Certains choix posent question et alimentent les rumeurs d'intense lobbying.

La fête nationale sera, cette année, un peu différente des autres. Ce ne sont ni le défilé militaire ni le feu d'artifice qui manqueront mais bien la liste des personnes anoblies, qui a été publiée plus tôt que d'habitude. Pour une raison évidente : les élections législatives du 10 juin.
Cette liste était frappante à plus d'un titre : les représentants du monde économique étaient nombreux. Sur les 17 personnes anoblies, 7 viennent du monde économique: le gouverneur de la Banque nationale, Guy Quaden, le patron du Boerenbond, Noël Devisch, le CEO de Bekaert et ex-patron de la VRT, Bert De Graeve, le patron de la chocolaterie Callebaut, Patrick De Maeseneire, Eric De Keuleneer, professeur la Solvay Business School, Rik Jaeken, ancien président de l'Unizo et Ajit Shetty, Janssen Pharmaceutica. Tous ont été "baronnifiés". Pourquoi le monde des affaires a-t-il été tellement choyé ? Un choix délibéré, un concours de circonstances ou le fruit d'un lobbying intense ?
Il n'y aura pas de réponse officielle. Juste des confidences sous le couvert de l'anonymat. La Commission d'avis chargée de soumettre des noms au Roi par l'entremise du ministre des Affaires étrangères travaille dans l'ombre. Ses membres (qui sont nommés pour un terme de 4 ans renouvelable une fois) ne sont connus qu'au gré des nominations publiées au compte-gouttes dans le Moniteur. Car il faut les mettre à l'abri des pressions ou des critiques. Les ambitions sont parfois sans limite. Et le sujet est délicat dans une Belgique vacillante.

Quand les 14 membres se réunissent, environ une fois par mois, c'est dans une pièce insonorisée, à l'abri des oreilles indiscrètes. Les personnalités viennent de tous les horizons (catholiques, francs-maçons, de gauche et de droite, etc.) et donc les avis parfois divergent. Certains, comme le baron Paul Buysse, le président de Bekaert, sont là depuis suffisamment longtemps pour bien comprendre la dynamique. Ils savent sans doute mieux que les nouveaux venus comment pousser leurs candidats. Son "pendant" wallon est dans une certaine mesure le Baron Dominique Collinet (Carmeuse et ex-président de l'Union wallonne des entreprises), autre acteur du monde économique. On trouve d'autres personnalités connues comme Luc Tayart de Borms, administrateur délégué de la Fondation Roi Baudouin. Dans le passé, le baron Daniel Janssen (l'ex-patron de Solvay) a été un autre personnage-clé de cette Commission. Tout comme l'épouse du Baron Georges Jacobs (le président d'UCB).
Cette année, la Commission a dû travailler un peu plus vite que d'habitude. Il fallait tout boucler bien avant le 10 juin. Beaucoup de dossiers de personnages économiques étaient ficelés à temps (certains sont reportés d'année en année). Cela a pu jouer en leur faveur. Mais ce n'est pas tout. La liste proposée par la Commission est rarement celle qui est finalement retenue. Certains noms sont ajoutés par les autorités compétentes, d'autres sont retirés. C'est, raconte la légende, le Roi qui a personnellement choisi en 1998 de faire comte Maurice Lippens, le président et fer de lance de Fortis ainsi que ses enfants, fait très rare. Georges Jacobs a aussi eu droit à cette faveur particulière de titre héréditaire, qui est aussi liée au fait que les deux patrons faisaient déjà partie de la noblesse.

C'est donc le Roi, avec l'assentiment du ministre des Affaires étrangères (et surtout, depuis quelques années, du très influent président du SPF Affaires étrangères, Jan Grauls, étiqueté CD & V, qui a été cité comme successeur possible de Jacques van Ypersele, chef de cabinet du Roi), qui tranche. Ce sont eux qui peuvent aussi modifier le titre proposé. Il est de plus en plus fréquent que seul le titre de baron soit retenu alors que, selon certaines sources, la Commission propose le titre de chevalier dans 40 pc des cas environ. De quoi rendre la monarchie belge plus populaire ?
Le monde politique peut aussi vouloir pousser certains de ses "candidats" à la dernière minute. Il se raconte que le choix de Noël Devisch - le Boerenbond représente les intérêts du monde agricole flamand, un groupe très proche des chrétiens flamands - n'était pas pour déplaire au CD & V...
Ce n'est pas la première fois que des candidats surgissent subitement. Il est bien connu que le très apprécié ambassadeur Frans van Daele qui a été représentant permanent auprès de l'Union européenne, a reçu, avec la bénédiction de l'ex-ministre des Affaires étrangères Louis Michel (MR), le titre de baron transmissible à ses enfants après son décès.
Mais suffit-il d'être un patron en vue ou le président d'une fédération professionnelle pour être choisi ? "La valeur ajoutée de la personnalité retenue est primordiale. Il faut quelqu'un qui a fait un travail important pour son pays", raconte un proche de la Commission. Une notion qui peut être sujette à interprétation...
Pour un Guy Quaden, qui, en plus de gouverner la BNB, préside la Fondation Roi Baudouin, sa nomination peut paraître évidente. D'autres cas le sont moins. Ce qui alimente les rumeurs de lobbying sous quelque forme que ce soit. Tel franc-maçon est arrivé à ses fins en faisant fonctionner son réseau. Un autre a amélioré sa cote de popularité en faisant des dons généreux à une bonne cause comme la Fondation Roi Baudouin. Un autre a fait fonctionner le lobby anversois. Etc. Des rumeurs bien sûr difficiles à vérifier mais qu'on entend.
Certains anoblissements sont aussi remis en question pour des raisons évidentes. C'est le cas d'Hugo Vandamme, l'ex-patron de l'entreprise technologique Barco, qui, paraît-il, après avoir fait des pieds et des mains, a été fait baron en 1999. Quelques années plus tard, il signait le manifeste de la "Warande". Ils ont été nombreux à penser qu'on ne pouvait pas porter un titre accordé par le Roi et en même temps prôner la séparation de la Belgique. Tous les éventuels sympathisants de ce genre de thèse séparatiste sont dorénavant mis soigneusement de côté.
Il y a aussi eu un débat pour savoir s'il avait été opportun d'accorder à la championne de tennis Justine Henin la distinction honorifique de grand officier de l'ordre de Léopold alors que, peu de temps après, elle décidait de se faire résidente à Monaco.
Une personnalité comme André Leysen (groupe Gevaert), dont les qualités professionnelles sont reconnues et qui a même été un proche du roi Baudouin, ne pourra jamais porter un titre en raison de sa participation, aussi brève fut-elle, au mouvement des Jeunesses hitlériennes. Comme le dit un observateur du monde des affaires, "on peut être médiocre mais il ne faut surtout pas faire de vagues".
Tous les patrons inculpés, à l'instar d'un Jean-Pierre Hansen (administrateur délégué d'Electrabel), peuvent aussi faire une croix sur d'éventuelles ambitions nobiliaires. A moins qu'ils soient disculpés à temps.
Certains "élus" se sont demandés pourquoi quelqu'un comme Jean-Louis Duplat, l'ex-président de la Commission bancaire, n'a pas été distingué. Peut-être paie-t-il son conflit avec le ministre des Finances Didier Reynders (MR) quand il a tenté de prolonger son mandat, note l'un d'entre eux. Les animosités peuvent jouer.
Et puis il y a aussi ceux qui refusent cet honneur. Ils sont rares car, comme le dit un anobli, "les gens ne l'avouent peut-être pas mais ils sont sensibles à ce genre de gratification".
Parmi les quelques réfractaires, il y a eu l'ancien rédacteur en chef du "Standaard", le très régionaliste Manu Ruys, ou encore un ambassadeur francophone.
Plusieurs voix se sont élevées, surtout dans les milieux politiques, pour arrêter cette tradition (surannée ?) de l'octroi de faveurs nobiliaires. Certaines personnes sont moins catégoriques; elles se demandent juste si cette faveur n'est pas trop facilement accordée avec parfois un côté automatique. "Pourquoi faut-il donner un titre à chaque président de la FEB ?", s'interroge un homme d'affaires. "La Commission d'avis a-t-elle encore un sens", se demande un autre observateur. Certaines pistes sont évoquées en coulisse. Depuis la restructuration au sein du Palais (qui a entraîné notamment la suppression du titre de Grand maréchal), le Roi peut s'appuyer sur un comité de direction. "Pourquoi n'y aurait-il pas quelqu'un parmi ce comité pour superviser les anoblissements avec maximum 4 noms par an comme c'est le cas en Grande Bretagne ?" , suggère un spécialiste des questions héraldiques. "Les nouveaux nobles devraient être considérés comme l'élite belge", entend-on aussi dans les cercles autorisés. Est-ce toujours le cas ?


Une modernisation progressive depuis 1945

Ah ça ira, les aristos à la lanterne... A l'époque pas si lointaine où ils siégeaient tous deux au Sénat sous la bannière du VLD, Vincent Van Quickenborne qui n'était pas encore secrétaire d'Etat du Roi et Jean-Marie Dedecker qui n'avait pas encore créé sa propre liste populiste, avaient au nom de leurs convictions flamando-républicaines déposé une proposition de loi visant à abroger la noblesse parce qu'ils l'estimaient d'un autre temps mais aussi antidémocratique.
Leur croisade fit long feu même s'ils eurent l'appui du président du VLD de l'époque, Karel De Gucht, qui avait déclaré à "Humo" qu'il n'accepterait jamais un titre de noblesse notamment parce qu'il trouvait "moyenâgeuse, la façon dont ils étaient accordés". L'on ne sait si le ministre des Affaires étrangères s'enhardirait encore dans sa résistance aux honneurs mais ce serait faire injure à l'Etat belge que de prétendre qu'il n'a pas fait son "aggiornamento" pour adapter l'octroi des faveurs nobiliaires à l'air du temps.
Depuis la Seconde Guerre, la faveur n'est plus liée à une enquête sur le statut social, question de rester entre soi, mais il suffit de produire un certificat de bonne vie et moeurs et prouver son ascendance.
Officiellement toutefois, le vrai tournant s'est situé en 1978 avec la création de la Commission d'avis sur les concessions de faveurs nobiliaires au sein des Affaires étrangères. En fait, un groupe de sages composé de neuf hommes et de cinq femmes, choisis parce qu'ils se trouvent au carrefour de différents secteurs prédominants dans notre société et qui, de leur poste d'observation, sont susceptibles de juger si les mérites dans leur domaine d'action de personnalités belges (H/F) peuvent déboucher sur une entrée dans le club très sélect des plus méritants parmi les méritants. Depuis 30 ans, la Commission poursuit cette mission, composée de manière très paritaire entre néerlandophones et francophones, mais en tout état de cause de "bons Belges". Si la Commission analyse les dossiers, voire toute requête individuelle, le dernier mot revient toutefois "en haut lieu", à savoir à une concertation finale entre le Palais et les Affaires étrangères. La liste des personnes honorables - dans les deux sens du terme... - est en tout cas finalisée entre la place des Palais et la rue des Petits Carmes, mais, avant de la couler dans un arrêté royal, le chef de cabinet du Roi se sera informé auprès d'eux (elles) afin de s'assurer qu'ils acceptent. Constat surprenant : là où hier, les refus venaient surtout de Flandre, ce sont aujourd'hui des francophones qui rejettent les honneurs. Par conviction républicaine ? Certains sans doute mais aussi parce que devenir noble a un coût. Il y a la levée des lettres patentes qui s'élève à 2 500 €. Mais le jeu en vaut la chandelle : cela inclut la confection du blason et son officialisation dans un diplôme qui a vraiment beaucoup de classe, créé par des artistes spécialisés. Par contre, le paiement des droits d'enregistrement peut faire problème car il s'élève à 740 € par tête. Lorsqu'il était aux Affaires étrangères, Louis Michel avait demandé son abolition. En vain. Mais depuis les 10 ans du règne d'Albert II, la Commission d'avis établit aussi une liste de 15 personnalités qui se voient octroyer des distinctions dans les trois grades supérieurs de l'Ordre de Léopold et de l'Ordre de la Couronne. Sans frais, elles, on l'aura compris...

"Je suis heureux de rejoindre le baron Eddy Merckx"


Nous avons demandé à Guy Quaden, gouverneur de la Banque nationale de Belgique, de réagir à son récent anoblissement. Voici une version légèrement raccourcie du texte qu'il nous a transmis.
"Dans ma vie, j'ai toujours voulu servir l'Etat. Une vocation qui, en Belgique, vous ferait presque passer pour un original ! Mais je n'ai jamais rêvé d'être baron. Aujourd'hui encore, je n'éprouve pas un respect particulier pour ceux qui se sont contentés d'hériter du titre. L'obtenir au mérite, c'est autre chose. C'est en quelque sorte comme une haute décoration. Et, comme une décoration, cela ne se demande pas mais ne se refuse pas non plus. Depuis un certain temps déjà, l'octroi d'un titre de noblesse récompense aussi une contribution significative au développement économique du pays. Ainsi mes prédécesseurs à la tête de la Banque nationale ont-ils été très souvent anoblis. Et j'avoue très franchement que, ce qui m'a fait vraiment plaisir, est d'avoir reçu le titre alors que je suis encore en pleine activité ! Plus récemment, des titres nobiliaires ont également été octroyés à des personnalités du monde culturel mais aussi, comme c'est le cas depuis longtemps au Royaume-Uni, à des artistes populaires et des sportifs de haut niveau. C'est très bien selon moi. Je suis ravi que Gérard Mortier figure dans la même promotion que moi. Et je suis heureux de rejoindre le baron Eddy Merckx. Certains ont fait la fine bouche à propos de ce dernier, pensant que la noblesse était liée à une prétendue qualité du sang plutôt qu'à la force du jarret. Pour ma part, je suis heureux de pouvoir dire à mes enfants que mes mérites équivalent à ceux d'un quintuple vainqueur du Tour de France ! Je n'ai pas encore sérieusement pensé à une devise et à des armoiries. Pour la devise, je pense à quelque chose comme" Pour le bien de tous". Quant aux armoiries, on y trouvera sûrement un lion. C'est mon signe astrologique. Mais il sera, si possible, ailé, comme le lion de ma ville préférée : Venise. Et puis, bien sûr, les couleurs dominantes seront probablement le rouge et le blanc. Personne n'ignore que je suis, depuis mon plus jeune âge, un fervent supporter du Standard de Liège !"

"Très surpris et très honoré"
Tony Vandeputte, l'ex-administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), a reçu le titre de baron en 2004. Le Roi lui a proposé cette faveur nobiliaire lors d'un entretien qu'il a eu avec lui à l'occasion de sa sortie de fonction . "J'ai été très surpris et très honoré", raconte-t-il. Il y voit un signe de "reconnaissance" tout en voulant garder les deux pieds sur terre. "Cela ne change rien d'autre", ajoute-t-il. Et il précise aussi que le roi Baudouin avait proposé un titre à son père, qui avait été gouverneur de la Banque nationale et ministre. Mais ce dernier l'a refusé car il considérait que ce n'était plus de son temps.
Pour son blason, Tony Vandeputte a choisi de réunir trois idées. On y retrouve un puits pour rappel de son nom de famille, 4 étoiles pour ses 4 enfants et deux mains serrées en référence à sa profession où il était un défenseur de la paix sociale entre les mondes patronal et syndical.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Une copie sans autorisation d'un article de journal. Et le respect du droit d'auteur ?

Philippe

Admin a dit…

Nous sommes effectivement à la frontière juridique de quelque chose.

Ce blog a vertu de revue de presse.
Il ne s'approprie pas le travail des autres, mais offre une compilation d'articles sur certains sujets- il indique toujours les sources par un lien - il n'y a aucune vocation ou destination mercantile, mais juste informative à partir de sources "publiques" auxquelles les posts renvoient sans aucune ambiguité.
C'est une bibliothèque d'articles, tout comme de liens vers les mêmes sites d'information.
Excellente journée.