Orange bleue : la « dynamique négative »
47 jours sans gouvernement. Chez les démocrates-chrétiens, on parle de « dynamique négative ». L'expression est calibrée. Et dotée d'une série d'arguments.
Le micmac mercredi soir et jeudi matin autour du vrai-faux accord fiscal ; Joëlle Milquet qui prend à témoin les journalistes, aux grilles de Val Duchesse, après la pluie de critiques sur la note d'Yves Leterme, en leur disant en substance : « Vous voyez bien que j'avais raison de me méfier, de ne pas être enthousiaste ! ». La même qui se dit coincée entre les tenants de la communautarisation et ceux de la compétitivité Tout est à l'avenant depuis que l'orange bleue est dans l'air. Et cela n'a pas cessé quand les « partenaires » se sont enfermés à Val Duchesse pour négocier, autour d'Yves Leterme.
Chez les démocrates-chrétiens, on parle de « dynamique négative ». L'expression est calibrée. Et dotée d'une série d'arguments.
1. Double clivage.
Difficile de gérer le double clivage : communautaire (surtout), socio-économique (un peu). Le premier, on connaît : le cartel CD&V/N-VA a beau être la formation politique d'où émane le formateur, l'homme promis au « seize », elle campe sur ses exigences : scinder Bruxelles-Hal-Vilvorde, obtenir plus d'autonomie pour la Flandre dans des domaines tels que l'emploi, les soins de santé, la fiscalité. Toutes choses auxquelles les francophones ne veulent souscrire. Dans le même temps, chrétiens-démocrates-humanistes et libéraux se heurtent sur l'ampleur de la prochaine réforme fiscale (impôts des personnes physiques, impôt des sociétés), comme sur la baisse des charges des entreprises, prioritaire pour les seconds, secondaire pour les premiers.
Aussi : les « orange » prétendent que le budget hérité de Verhofstadt II est déficitaire, les « bleus » répliquent qu'en gros, tout baigne.
2. Le facteur humain
La « dynamique négative » l'est aussi parce que ça coincerait « humainement » – dixit, toujours, les milieux démo-chrétiens. Les rapports humains sont accessoires en politique, mais là, on serait « proches de zéro degré ». Il est plus improbable que les grands esprits se rencontrent quand les gens restent distants. C'est le cas entre les Leterme, Reynders, Milquet, De Wever, Maingain, et les autres.
3. Les partis hostiles.
L'orange bleue est-elle une pelote de haine ? Résumons : le CDH de Joëlle Milquet déteste le MR de Didier Reynders, le VLD de Verhofstadt méprise le CD&V de Leterme, la N-VA de De Wever abhorre le FDF de Maingain, le MR de Reynders diabolise le CD&V de Leterme (souvenez-vous en campagne, c'était hier, quel florilège !), etc. Un vrai Cluedo au château : qui tuera qui, avec quelle arme, dans quelle pièce ?
4. Leterme pas aidé.
« Dynamique négative », toujours : les démocrates-chrétiens soutiennent que les libéraux chargent Leterme « pour l'affaiblir ». La réaction, sans concessions, de Didier Reynders à propos de la note du formateur ; l'interview de Charles Michel au Soir Un faisceau de signes ? Les libéraux continueraient à « jouer au poker », à prendre des risques, comme ils l'ont fait durant la campagne électorale, avec succès. But de la manœuvre ? Peu clair. Peser dans le rapport de forces ? Faire comprendre au futur locataire du « seize » qu'il n'est pas seul maître à bord ? Voire : préparer son éviction, au profit d'un négociateur libéral ? Les bleus aiment à rappeler qu'à la Chambre, ils devancent la famille chrétienne d'un siège.
Voilà résumée en quatre points la « dynamique négative » évoquée du côté démocrate-chrétien.
Conclusion ? Yves Leterme a loupé son entrée en scène : la fausse note de la « Marseillaise », la mauvaise note du formateur, etc. S'il ne se corrige pas rapidement, le petit monde autour de lui va s'entre-dévorer et tout ça finira mal.
Le fédéral, ce n'est pas sa tasse de thé. Et si Yves Leterme échouait ?
Le formateur surprend par ses maladresses, son parti pris et sa trop lente maturation.
Et si Yves Leterme échouait ? Évidemment, la question peut paraître prématurée, déplacée voire un rien choquante : l'homme commence à peine la négociation du prochain gouvernement fédéral. Mais la question a surtout pour objectif de souligner les difficultés auxquelles le formateur va être confronté...
1 Yves Leterme en a-t-il envie ? Bof ! Rien, dans le comportement d'Yves Leterme ces derniers mois, ne permet d'affirmer qu'il avait réellement envie de quitter le gouvernement flamand, où il s'épanouissait pleinement, pour se lancer à l'assaut du gouvernement fédéral. Sans parler de flagrante erreur de casting, on peut se demander s'il est bien celui qui convient pour diriger la Belgique. Il appartient à cette génération d'hommes politiques flamands pour qui, l'institution qui compte, ce n'est plus l'Etat mais la Région ou la Communauté. Tout dans sa note révèle cette préférence régionaliste : peut-on, avec une telle conception à ce point ancrée au plus profond de ses convictions, être le garant de la loyauté fédérale, cette "Bundestreue" pourtant essentielle au bon fonctionnement de tout Etat fédéral ? La question est sur beaucoup de lèvres francophones. Or, sans cette autorité centrale, qui laisse une large autonomie aux entités fédérées mais qui sert de lien, de lieu de dialogue et de concertation, la Belgique fédérale n'a pas d'autre avenir que de regarder Régions et Communautés se disputer les lambeaux d'un pays à la dérive. On exagère ? À peine. Si les Premiers ministres n'ont pas, en eux, la volonté de faire vivre l'Etat qui les emploie, ne doivent-ils pas renoncer à exercer la charge suprême ?
2 Yves Leterme est-il libre ? Non. Il est prisonnier d'un parti, le CD & V, lui-même otage d'un groupuscule nationaliste et séparatiste, la N-VA. Que veut le CD & V ? Pas facile à dire. Il y a quelques années, lors d'un congrès à Courtrai, le parti avait clairement opté pour le confédéralisme, avant de se raviser. Aujourd'hui, la doctrine est "ultra-fédérale". Euphémisme. Cela signifie-t-il que tout Premier ministre CD & V est exclu ? Non, évidemment. Par le passé, les démocrates-chrétiens flamands ont fourni de véritables hommes d'Etat. Mais les Tindemans, Martens, Eyskens et Dehaene n'ont pas inculqué à leurs successeurs la même notion de service de l'Etat. Les CD & V ont "tué" leur père. Même Dehaene, appelé à la rescousse, se sera fait cocufier. Mais si ce n'est pas Leterme qui entre au "16", le CD & V n'a plus grand monde. Herman Van Rompuy en a les qualités et les compétences. Mais il n'a pas la popularité de son jeune élève Yves Leterme.
3 Pourquoi Yves Leterme reste-t-il si frileux, si vindicatif envers les francophones ? Grand mystère. L'arrogance qu'il affiche parfois, ce mépris dont il est coutumier, cachent-ils en réalité une espèce de grand complexe dont l'homme ne parviendrait pas à se défaire ? Là, on est davantage sur le terrain psychologique que politique. Mais il faut admettre que son comportement est étrange et ne traduit pas une totale sérénité dans ses rapports avec l'autre Communauté.
4 Est-il soutenu en Flandre ? Oui, plus que jamais. L'homme aux 800000 voix est soutenu par une opinion publique et une presse qui lui pardonnent, parfois avec des nuances, tous ses faux pas. Son interview à "Libé", il y a un an où il se moquait des francophones ? De l'humour, bien sûr... La Marseillaise chantée le jour de la fête nationale ? De l'humour toujours, même si l'intéressé a lui-même précisé qu'il s'agissait d'une erreur. Ses menaces à l'égard de quiconque le chercherait ? Justifiées, bien sûr, car ce sont les médias francophones qui l'agressent. C'est clair : la Flandre le soutiendra, quoi qu'il arrive... Alors, la Belgique est-elle condamnée à être dirigée par Yves Leterme ? Et celui-ci finira-t-il par changer, par "s'élever" (Charles Michel) ?
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