Le baron maudit le Gazon
Le Waux-Hall de Bruxelles sera bientôt orphelin : son célèbre occupant et « conservateur » menace de plier bagages.Eric d’Huart demande la résiliation de son bail
Pas que j’aie quelque chose contre la musique électronique. Au contraire : je suis un fana. J’ai passé des nuits entières à danser comme une toupie, au Fuse ou ailleurs. Mais maintenant, j’ai cinquante ans et la nuit, je dors. Enfin, j’aimerais… » Car une cohorte de bruits incongrus n’ont de cesse de troubler le sommeil du seul habitant du parc de Bruxelles.
« Certains sont sympathiques, d’autres inévitables, détaille Eric d’Huart. Et puis, nous sommes en 2007 : toute attitude d’arrière-garde serait stérile. » Mais les soirées « Gazon », c’est le bruit de trop. Au point de mettre à mal le pacte passé entre le truculent baron et « son » Waux-Hall.
« Le terme désigne un bâtiment d’agrément dans un parc public », précise le maître des lieux. Sauf que la construction de ce théâtre en plein air, lancée en 1913, s’arrête net un an plus tard, seuls les murs sortant de terre. En 1984, curiosité et hasard s’entendent et créent la rencontre. « Le reste est du ressort sentimental et pourrait se comparer à une visite au chenil. C’est l’animal qui vient à vous, pas l’inverse. »
La Ville de Bruxelles n’est pas longue à convaincre : le baron décroche un bail de 30 ans, renouvelable pour 18 autres. En échange, il prend à sa charge la rénovation de la bâtisse. « Le bail prévoyait un investissement de 12,5 millions de francs belges. En réalité, j’y ai mis le double, rien que pour le gros œuvre. Le Waux-Hall était une ruine, une coquille vide infiltrée par l’eau et transformée en nursery pour la mérule. »
En 1988, le baron quitte son appartement de la Grand-Place. « Habiter derrière ces façades glamour ne brillait que sur carte de visite. C’était intenable. » Dans un premier temps, la cohabitation est rustique. Vaisselle dans la baignoire et échelles branlantes en guise d’escaliers. Mais ils s’apprivoisent. Moulures, girandoles en provenance de Murano, tapisseries, toiles et autres damas de soie, avec le baron à la décoration, le chancre se mue en château. « A certains moments, vivre ici est exquis, enchanteur, d’une qualité surnaturelle. »
Mais il y a un « mais ». « Avec la pollution, les nuisances sonores sont le fléau de notre temps. » Le baron est cerné. Chantiers, toilettes mobiles devant sa porte, joueurs de djembé de tous poils, passe encore. « C’est devenu insupportable quand les grilles du parc sont restées ouvertes la nuit. Henri Simons, alors échevin, a justifié cela par un argument d’anthologie. Il voulait, je cite, “faire du parc une plateforme d’expression libre pour les pluricultures multiethniques”. Moi j’ai surtout décodé ça comme un fameux boxon. En effet, j’ai dégusté. » Le baron reste pourtant philosophe. « Un excellent proverbe bruxellois dit : “On peut exagérer, mais il ne faut pas abuser”. » Jusqu’à l’avènement des nuits « Gazon ». Qui ont visiblement abusé. « C’est le bruit poussé à son paroxysme. Le lendemain, la nature elle-même est groggy. »
Le baron s’insurge, puis se fait à l’idée : il va déménager. Mais la Ville se met à rechigner à accueillir les soirées électroniques dans son parc classé. « On m’a vigoureusement affirmé c’était terminé », se souvient Eric d’Huart. D’où sa fureur en apprenant la soirée du 11 août. « J’ai écrit une lettre demandant résiliation de mon bail. Aux torts de la Ville. Ces soirées ont été organisées sans l’aval des Monuments et Sites et ne respectent pas le règlement du parc, qui interdit les activités susceptibles de perturber la quiétude des lieux. Il s’agit d’une rupture des conditions de paisible jouissance du bien loué. »
Mais après « une rencontre bienveillante » avec la Régie foncière ce jeudi, le baron reprend espoir. Un espoir douché par l’ultime rebondissement : le feu vert de la Ville pour un « Gazon » supplémentaire le 1 er septembre. « Cette fois, j’abdique devant ce coup de force. Je pars. »
Le parc de Bruxelles risque de perdre un de ses charmants secrets.
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