10 décembre 2006

L'Europe torpille le "wooncode"

L'Europe torpille le "wooncode"

C'est un imbroglio belgo-belge dont la Commission européenne se serait bien passée. Il n'empêche, sollicitée par les autorités wallonnes en décembre 2005, l'Europe est dans l'obligation de réagir à la modification du "code flamand du logement" (prononcez "wooncode"). Rappel, celui-ci prévoit que les futurs locataires des logements sociaux en Flandre apprennent le néerlandais sous peine de ne pouvoir souscrire à un bail locatif.

Les experts européens ont, donc, finalisé leur analyse. Et ils s'apprêtent à remettre gravement en cause ledit "wooncode", selon les informations obtenues par "La Libre". S'appuyant sur le "principe d'égalité de traitement", l'Europe rappellera que "les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toute forme dissimulée de discrimination qui aboutit au même résultat" est prohibée. Et "tel est le cas d'une mesure qui prévoit une distinction fondée sur le critère de la langue pour l'octroi d'un avantage social, en ce que celui-ci risque de jouer au détriment des ressortissants d'autres Etats membres de l'Union".

"Discrimination indirecte"
Cet avis juridique européen demeure toutefois susceptible d'être modifié aux stades ultérieurs de la procédure. "Imposer aux ressortissants des autres Etats membres l'obligation d'être disposés à apprendre le néerlandais pour bénéficier d'une résidence sur le territoire national est une condition qui n'est pas exigée aux nationaux", souligne l'Europe. Celle-ci se montre particulièrement sourcilleuse de préserver la stricte égalité de traitement entre les ressortissants des Vingt-cinq Etats membres.
Et "la condition d'être disposés à apprendre le néerlandais risque de jouer en défaveur des ressortissants des autres Etats membres". Par conséquent, "cela pourrait constituer une discrimination indirecte en raison de la nationalité"...

"Raisons impérieuses"
Pour analyser le "wooncode" et statuer sur la plainte des Wallons, les autorités européennes ont formulé des questions à l'adresse du ministre flamand responsable du dossier, le VLD Marino Keulen. A plusieurs reprises, le ministre wallon André Antoine (CDH) a exigé de pouvoir prendre connaissance de cette réponse des autorités flamandes. Mais il s'est heurté à des refus secs de la part du gouvernement flamand...

Voici ce qu'a répondu la Flandre pour justifier son "wooncode". Invoquant deux arrêts de la Cour européenne de justice, les autorités flamandes estiment que "la mesure n'est pas discriminatoire", est "proportionnée" et qu'elle poursuit "un objectif légitime (l'intégration)" justifié par "des raisons impérieuses d'intérêt général". Pour sa défense, la Flandre cite notamment "l'amé lioration de la qualité de vie" dans le logement social. Il est impossible d'organiser la cohabitation des habitants de logements sociaux si ceux-ci ne s'efforcent pas au moins d'acquérir une connaissance élémentaire de la langue néerlandaise, fait valoir l'Exécutif flamand.

Ces arguments "d'intérêt général" et "d'intégration" devraient également être déclarés invalides par l'Europe. Car "l'apprentissage du néerlandais comme moyen d'intégration des habitants non néerlandophones à la vie de la région ne peut en aucun cas constituer un objectif légitime digne de protection et pouvant être justifié par des raisons impérieuses d'intérêt général", selon les experts européens. Deux arrêts de la Cour européenne de justice sont cités par les autorités flamandes pour étayer leur défense. Mais "l'affaire Groener" et "l'affaire Haim" ne peuvent être invoquées pour défendre le "wooncode" : les cas de figure sont trop différents.
Voici donc l'Europe devenue l'alliée des adversaires de la modification du "code flamand du logement".

Repli et rejet : la Flandre s'isole

Dans une note récente, les autorités européennes ont sèchement condamné certaines dispositions du "Wooncode" contenues dans un décret voté mercredi par le Parlement flamand.
Ce texte prévoit notamment que les candidats à un logement social en Flandre doivent s'engager à apprendre le néerlandais. Des cours de 120 heures sont prévus pour chacune des personnes soucieuses d'obtenir une telle habitation. Cela pourrait être une aubaine. C'est en réalité un danger.

Qu'un Etat, qu'une Région, finance des cours permettant aux étrangers qui viennent vivre sur son territoire d'apprendre rapidement la langue "nationale" de manière à accroître l'intégration de ces personnes, à faciliter leur vie en société, c'est, en soi, un geste d'accueil tout à fait positif.
Le problème du décret flamand est qu'il conditionne l'octroi d'un logement social à l'engagement de suivre des cours intensifs de néerlandais. Or le droit au logement est et doit rester un droit inaliénable. Les seules conditions à l'octroi d'un logement social ne doivent être que celles prévues dans les règlements des sociétés (revenus, nombre d'enfants, etc.). Ajouter des critères de connaissance de langue, c'est, sans le dire, favoriser l'attribution des logements aux nationaux.

Les justifications avancées par les autorités flamandes pour imposer ces règles sont très légères. Il s'agit, disent les auteurs du décret, de permettre aux locataires de comprendre les règles du bailleur ou de respecter les consignes de prévention des incendies : faut-il un stage de néerlandais de 120 heures pour cela ? D'autres justifications frisent la xénophobie : affirmer, comme le fait le gouvernement flamand, que ces cours permettraient d'améliorer la vie dans les logements sociaux, c'est présupposer que les difficultés viennent surtout de ces allochtones.
Autre problème "collatéral" : ce "Wooncode" éloignera aussi les francophones candidats à un logement social en périphérie bruxelloise. Ce n'est évidemment pas un hasard.

Que cherchent donc les partis flamands ? A quoi aboutira cette politique de purification linguistique de la Flandre, ce repli systématique, ce rejet de l'étranger, qu'il soit francophone ou allochtone ? Pourquoi la Flandre si forte, économiquement, se ferme-t-elle ainsi au monde ? Il y a, chers voisins et amis, un moyen bien plus simple pour éviter toute contagion, toute contamination : construire un mur tout autour de la Flandre.

Déjà un an de polémique belgo-belge

Les francophones ont épuisé la plupart des recours contre le code du logement flamand et son volet linguistique.

Il y a un an, le gouvernement flamand approuvait par décret son nouveau code du logement ou "wooncode" en néerlandais. L'événement serait certainement passé inaperçu au sud du pays si le texte n'avait comporté un volet sur "l'obligation de faire preuve de la disposition à apprendre le néerlandais" , autrement dit un volet linguistique. En effet, le code en question prévoit que les candidats à un logement social en Région flamande qui ne disposent pas d'un diplôme d'une institution d'enseignement du rôle néerlandophone devront passer un test écrit de langue ("test Covar") dans une "Maison du néerlandais". En cas d'échec, ils devront s'engager à suivre un cours de langue. Concrètement, 120 heures, quand même, de cours de néerlandais élémentaire (NT2), c'est-à-dire de niveau 1.1. La réussite du cours lui-même n'est pas exigée, d'où la terminologie "disposition à apprendre" utilisée. Il faut aussi dire que les cours en question sont dispensés gratuitement par la Communauté flamande et que depuis des années, avec ou sans "wooncode", la demande dépasse de loin l'offre disponible.

Intégration ou tracasseries ?

L'auteur du décret, c'est le libéral (VLD) Marino Keulen, ministre à la fois de l'Intérieur, de l'Intégration et du Logement. C'est lui qui avait mis en oeuvre à partir de 2004 les parcours d'intégration ("inburgering", littéralement "citoyennisation", destinés à favoriser l'insertion des immigrés non-européens et, selon lui, c'est dans cette optique-là qu'il faut interpréter le décret. Et d'évoquer à l'époque (LLB du 9/12/2005) des barres d'immeubles à Anvers où "les seuls interlocuteurs possibles pour les sociétés de logement social sont des gamins de 10 ou 11 ans, parce que personne d'autre ne parle le néerlandais", et où "les voisins ne se comprennent pas entre eux". Pour le ministre flamand, le volet linguistique du code répondait avant tout à une demande du secteur.

Les francophones, eux, avaient vu tout autre chose : une atteinte au droit inconditionnel au logement, garanti par la Constitution (article 23), et au principe d'égalité de traitement et à l'interdiction de toute discrimination liée à la langue (Charte européenne des droits fondamentaux). Et puis, plus communautaire, un moyen d'exclure les francophones de la périphérie bruxelloise du logement social, et surtout une mesure qui risque de déplacer en masse les demandeurs de logement vers les deux autres régions, Bruxelles et la Wallonie, dans lesquelles aucun critère linguistique n'est appliqué. A priori, c'est ce dernier argument qui offrait le plus de base à d'éventuels recours. Bien que la Région bruxelloise soit en première ligne en la matière, son bilinguisme politique a fait en sorte que les réactions soient surtout venues du côté wallon.

Dans un premier temps, le comité de concertation a été saisi par André Antoine (CDH), ministre wallon du Logement. Le texte ayant relativement bien passé le cap du Conseil d'Etat (la piste du conflit de compétence a été écartée), les Flamands ont tenté une première fois de faire voter le texte par leur Parlement. Les assemblées wallonne et de la Communauté française ont alors déclenché une procédure en conflit d'intérêt. Mais l'arbitrage du fédéral a été plutôt minimaliste. Mercredi, le "wooncode" a finalement été voté par le Parlement flamand. Ne reste au niveau belge que la Cour d'arbitrage. Mais si l'Europe entre dans la danse...

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