L'affaire Total aux oubliettes?
Il ne manque que le feu vert du gouvernement belge pour que la plainte introduite par des réfugiés birmans contre le pétrolier français aboutisse. Or, le dossier dort. Et le 11 janvier, il sera trop tard...
L e 12 janvier 2007, le dossier Total sera soit enterré définitivement, soit exhumé. Deux hommes disposent du pouvoir de jouer les saints ou les fossoyeurs. L'avocat général auprès de la Cour de cassation, Raymond Loop, et le ministre de la Défense, André Flahaut (PS). Deux hommes qui mettront un terme à quatre années de procédure judiciaire. Ou permettront à la Justice de se plonger dans une affaire née dans la boue de la jungle birmane...
En avril 2002, quatre Birmans introduisaient en Belgique, sur base de la loi de compétence universelle, une plainte avec constitution de partie civile contre Total, son patron, Thierry Desmarest, ainsi qu'Hervé Madeo, dirigeant de la filiale birmane de la société française. Objet : complicité de crimes contre l'humanité.
Victimes de violences de la junte militaire au pouvoir à Rangoon, les plaignants estimaient, en effet, que la compagnie pétrolière avait apporté un soutien moral, financier et logistique aux bataillons birmans, notamment responsables, selon eux, d'actes de travail forcé lors de la construction d'un gazoduc dans le sud du pays - des installations que Total continue d'exploiter aujourd'hui.
Le juge d'instruction Damien Vandermeersch était chargé du dossier. En août 2003, confronté à des pressions diplomatiques, le législateur édulcorait, cependant, le texte, introduisant des critères de rattachement à la Belgique.
Conséquence : les plaintes devaient être relues à la lumière de ces modifications. Un exercice confié à la Cour de cassation.
Les plaignants doivent être de nationalité belge, y requérait l'avocat général. Les défenseurs des plaignants estimaient que le texte législatif s'opposait à la Convention de Genève relative aux statuts des réfugiés, dont l'article 16 stipule que « tout réfugié jouira du même traitement qu'un ressortissant en ce qui concerne l'accès aux tribunaux ». Une question préjudicielle était posée à la Cour d'arbitrage.
En avril 2005, la gardienne de la Constitution approuvait l'argumentation des plaignants birmans. Mais, deux mois plus tard, les avocats du pétrolier français convainquaient l'avocat général de demander un dessaisissement de la justice belge. Leurs arguments ? La Cour de cassation est obligée d'appliquer une loi anticonstitutionnelle car il n'appartient pas au pouvoir judiciaire de combler une lacune législative. Au mépris de l'avis de la Cour d'arbitrage, les conseillers suivaient l'argumentation de la défense.
En juin 2006, saisis par les avocats des Birmans, les gardiens de la Constitution répliquaient, nettoyant la loi et confirmant le viol de la Convention de Genève. Conséquence : « Le ministère public peut demander à la Cour de cassation de réexaminer l'affaire puisqu'elle a statué sur base d'une loi dont une disposition n'existe plus », expliquait Francis Delpérée, professeur de droit constitutionnel (UCL). « Cet arrêt devrait conduire à la reprise de l'instruction : il incombe à l'avocat général fédéral d'introduire la procédure en rétractation dans les six mois après la publication au Moniteur », se réjouissait Alexis Deswaef, défenseur des plaignants.
L'arrêt a été publié au Moniteur le 12 juillet 2006. Et Alexis Deswaef ne se réjouit plus.
« Nous avons l'impression qu'il y a clairement une absence de volonté de la part de l'avocat général de demander la rétractation », confie-t-il. Hier, l'avocat général n'a pas pu être joint par les services de la Cour de cassation afin de nous livrer son commentaire.
Si ce dernier ne demande pas la « rétractation », la ministre de la Justice peut l'y contraindre en vertu de son droit d'injonction positif. Le fera-t-elle ? Non.
Un refus conjugal. Laurette Onkelinx (PS) a épousé Marc Uyttendaele, constitutionnaliste (ULB), qui a rejoint l'équipe de défense des Birmans l'an dernier. Le conflit d'intérêt manifeste a contraint la ministre de la Justice à se récuser. Aussi, en vertu de l'arrêté royal du 21 juillet 2003, qui stipule, en son article 2, qu'« en cas d'empêchement légal de la ministre de la Justice, ses compétences sont exercées (...) pour ce qui concerne les dossiers francophones, par le ministre de la Défense », André Flahaut hérite-t-il du dossier birman.
Que décidera-t-il ? Interrogé hier soir (lire ci-dessous), le ministre de la Défense a indiqué qu'il trancherait en temps utile. Soit dans trente-cinq jours. Le 12 janvier, la quatrième compagnie pétrolière de la planète saura si la Justice belge la lavera un jour des accusations portées contre elle ou les confirmera. Le 12 janvier, les plaignants birmans sauront si la loi de compétence universelle adoptée par le parlement belge est appliquée en Belgique.
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