10 décembre 2006

Justice et le "plan Thémis"

Plan Thémis : des noms circulent

Le "plan Thémis" de réforme de l'appareil judiciaire dans le cadre duquel une Commission de modernisation de l'ordre judiciaire avait été instaurée en juillet dernier, devrait connaître une nouvelle avancée demain. Selon le quotidien Le Soir, le conseil des ministres devrait se pencher sur les différents postes prévus dans cette nouvelle institution.
L'hebdomadaire Trends-Tendance avance deux noms: celui d'Ivan Verougstraete, président néerlandophone de la première chambre de la Cour de Cassation, qui devrait devenir le président de la nouvelle commission, et celui de Jean-Paul Janssens, qui est actuellement l'artisan de cette réforme au sein du cabinet de la ministre de la Justice, qui deviendrait directeur adjoint.

Comment juger plus vite ?

Un avant-projet de loi a été approuvé en Conseil des ministres.Il vise à lutter contre l'arriéré, en rendant la procédure civile plus rapide.Les parties devront s'activer et les juges escargots seront sanctionnés.
Johanna de Tessières
Le Conseil des ministres a approuvé vendredi le projet de loi modifiant le code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré. Le but est de rendre la procédure civile plus rapide, en accélérant l'échange des arguments entre les parties et en déterminant dès le début un calendrier reprenant les grandes étapes de cette procédure. Mais aussi en sanctionnant d'une amende les acteurs du procès qui feraient inutilement traîner les choses. Et enfin, en exerçant un meilleur contrôle sur le délai mis par les juges à rendre leur jugement.
On peut distinguer deux grandes périodes dans une procédure : la mise en état, à savoir l'échange des pièces et des conclusions entre les parties, et le délai existant entre le moment où l'affaire est en état et le jour fixé pour l'audience. Le projet a pour ambition de réduire ces deux périodes.
Il entend aussi généraliser la fixation d'un calendrier précis et contraignant, depuis l'introduction d'un dossier au tribunal jusqu'au jugement. Ce calendrier prévoira les délais dans lesquels les conclusions des parties devront être échangées, de même que la date à laquelle l'affaire pourra être plaidée. Si ces délais ne sont pas respectés, les conclusions seront écartées des débats. Ainsi, le justiciable saura-t-il tout de suite quel jour son dossier pourra être plaidé sur le fond. L'avant-projet veut aussi privilégier le rôle actif du juge. La réforme prévoit que les parties devront lui communiquer leurs arguments et les pièces de leur dossier avant l'audience. De quoi lui permettre de préparer le dossier à l'avance et de profiter de l'audience pour poser les questions sur les éventuelles zones d'ombre.
Il sera, par ailleurs, désormais possible de sanctionner la partie ayant de manière délibérée fait traîner le procès ou nui à l'autre partie. Elle pourra se voir infliger d'office une amende d'un montant de 15 à 2 500 euros.
On sait que le code judiciaire prévoit que le juge dispose d'un mois à dater de la clôture des débats pour rendre son jugement. Mais ce délai est régulièrement dépassé. Actuellement, c'est le juge lui-même qui doit informer la hiérarchie judiciaire d'un retard éventuel. Or, cela ne se fait pas de manière systématique. Le projet de réforme prévoit que, chaque mois, le greffier devra présenter au président du tribunal une liste avec toutes les affaires pour lesquelles un jugement n'a pas été prononcé dans le mois.
Si le retard dépasse trois mois, le président sera tenu de convoquer le juge concerné et chercher avec lui la meilleure façon de résorber le retard.
Si nécessaire, une procédure disciplinaire sera entamée, avec à la clé, au minimum, une retenue sur traitement, d'un maximum de 20 pc du salaire pendant 2 mois.


"On peut parler d'effet d'annonce"

Le président de l'Ordre des barreaux ne croit guère à l'utilité de la réforme.
Pierre Corvilain est le président de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG). Le texte adopté vendredi, en deuxième lecture, au conseil des ministres le laisse plutôt dubitatif.
Que pensez-vous de cet avant-projet de loi ?
Rien de bon. Il s'agit une fois de plus d'un effet d'annonce et l'intitulé tonitruant du projet ne signifie pas grand-chose. En vérité, l'arriéré judiciaire n'existe plus guère qu'à la cour d'appel de Bruxelles et je ne suis pas certain du tout que le texte et les mesures qu'il comprend résoudront quoi que ce soit en la matière.
La volonté de la réforme est de sanctionner les parties qui voudraient freiner les procédures par des manoeuvres dilatoires. C'est plutôt une bonne idée...
Peut-être. Mais il existe déjà dans notre droit un arsenal de dispositions permettant de sanctionner tous ceux qui mènent des procédures vexatoires. Elles peuvent déboucher sur des dommages et intérêts que la partie responsable devra payer à la partie qui subit ces vexations.
Le principe de la répétibilité devrait aussi faire réfléchir ceux qui auraient l'envie de se lancer dans des procès inutiles. Faut-il ajouter à toutes ces mesures des amendes civiles ? Je ne crois pas que cela soit bon.
Ne faut-il pas cependant responsabiliser davantage les parties ainsi que les avocats qui les conseillent et les juges parfois taxés de lenteur ou d'apathie ?
Y réussira-t-on en multipliant les amendes ? Je n'en suis pas sûr. Et cela aura-t-il pour effet d'accélérer les débats ? Ce n'est pas certain non plus.
Exemple : il est actuellement possible de punir une partie qui interjette appel de façon abusive en lui infligeant une amende civile pour fol appel. Mais cela suppose une réouverture des débats, ce qui ne constitue pas nécessairement un gain de temps.
La détermination de sanctions matérielles telles que prévues par l'avant-projet nécessitera elle aussi des débats supplémentaires.
Je crois en outre que ces sanctions seront prononcées très, très rarement et n'auront donc qu'un très relatif effet dissuasif.

"Une réforme qui ne résoudra rien"

Jacques Englebert (ULB) doute que l'avant-projet permette de réduire l'arriéré judiciaire.Les syndicats des magistrats sont moins sévères, mais...
Jacques Englebert, avocat et maître de conférence à l'ULB, où il enseigne la procédure civile, doute de l'opportunité des mesures prévues par l'avant-projet au regard de l'objectif poursuivi.
Selon lui, le retard enregistré dans la mise en état d'une cause ne contribue pas à l'arriéré judiciaire. Lorsque les causes sont rapidement mises en état, l'arriéré judiciaire augmente, observe-t-il, dès lors que les cours et tribunaux sont dans l'incapacité de suivre le mouvement.
Me Englebert est d'avis qu'on ne peut demander au plaideur de faire un effort pour mettre rapidement la cause en état sans prendre en même temps les mesures qui s'imposent pour que ces causes puissent être plaidées et jugées sans délai.
Certes, ajoute-t-il, le projet prévoit que la date de l'audience aura lieu dans les trois mois de la communication des dernières conclusions. Mais, se rendant compte qu'il serait matériellement impossible de respecter ce délai, le législateur a trouvé un subterfuge consistant à préciser que le calendrier d'échange de conclusions sera arrêté en fonction de la date de l'audience. Où est le progrès, se demande Me Englebert ?
Il n'y a pas, poursuit-il, d'arriéré judiciaire lorsqu'une cause connaît un retard déraisonnable pour sa mise en état. Ce retard n'est d'ailleurs pas nécessairement préjudiciable au justiciable, estime Me Englebert, et le gouvernement oublie que toutes les causes ne sont pas vouées à être mises en état.
D'une part parce qu'une procédure en justice peut être introduite pour des raisons qui n'ont pas toutes pour finalité d'obtenir un jugement, d'autre part parce que les parties peuvent, d'un commun accord, s'accorder tout le temps qu'elles souhaitent pour mettre leur cause en état d'être plaidée.
Les retards dans la mise en état d'une cause, poursuit Jacques Englebert, ne posent problème pour le justiciable que lorsqu'ils sont provoqués par une partie alors que l'autre souhaite diligenter rapidement son procès. La loi du 3 août 1992 a donné, selon lui, à cette partie des moyens procéduraux pour contraindre son adversaire à procéder à une mise en état rapide et prévu l'écartement d'office des conclusions tardives.
La paresse aurait bon dos
L'avant-projet vise sans doute à améliorer encore la situation mais prétendre que la loi lutte par ce biais contre l'arriéré judiciaire constitue un leurre, dit Me Englebert.
Lequel n'est pas tendre non plus s'agissant des retards dans les délibérés. "Si pour certains magistrats, le retard dans les délibérés est la conséquence d'une absence de travail effectif, pour beaucoup d'autres, c'est uniquement le résultat d'une surcharge de travail et d'une complexité croissante de nombreux litiges" , scande-t-il.
Le délai de délibéré d'un mois lui paraît illusoire lorsque la cause relève d'un siège collégial. Il devrait, dans ce cas, être porté à deux ou trois mois, plaide-t-il.
M.Marot, président de l'Union professionnelle de la magistrature, ne dit pas autre chose. "Respecter les délais de délibéré n'est pas toujours chose aisée parce que certains dossiers sont complexes, parce que les juges sont parfois surchargés et parce que dans les chambres à trois juges, la décision exige une concertation qui peut prendre du temps."
De façon plus générale, l'UPM aurait préféré une approche plus constructive, qui aurait laissé davantage de latitude aux chefs de corps, notamment dans l'approche disciplinaire des choses.
De son côté, l'Association syndicale des magistrats (ASM) se réjouit d'une manière générale du projet mais préconise la surveillance interne du contrôle du délai de délibéré et le dialogue constructif entre le magistrat et son chef de corps, rappelant que le code judiciaire prévoit déjà des procédures disciplinaires.

Quand il y avait des "juges fainéants"

On a pu focaliser l'attention sur certains cas d'espèce. Mais il s'agit d'exceptions.
Fait rare : la Cour de cassation avait suspendu pour 6 mois, en janvier 2006, le juge dinantais Luc Monin au motif des retards étonnants qu'il avait longtemps mis à rendre une série de jugements. Elle avait même évoqué dans son chef un "comportement nuisible".
Un exemple typique de ce que la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), avait dénoncé au mois de novembre 2005 en évoquant les "juges fainéants".
C'est qu'une enquête administrative avait montré que quelques magistrats prenaient vraiment du bon temps sur le compte de la collectivité... Des exemples similaires, mais anonymes, éclairaient la chose pareillement et au même niveau que l'affaire Monin. Tel magistrat avait rendu 4 ordonnances en 4 mois - autant dire rien -, tel autre avait laissé s'accumuler 1 200 dossiers sur son bureau sans même y jeter un oeil...
Si la Cour de cassation avait rappelé à cette occasion les règles en vigueur en matière de délai de jugement, elle avait aussi lancé un signal aux magistrats belges qui avaient tendance à s'endormir sur leurs dossiers.
Mais sont-ils nombreux ? Un coup de sonde auprès de plusieurs juges ainsi que de quelques avocats et justiciables montrait alors, et encore maintenant, que ce n'est pas le cas. Un chef de corps évalue à 3 pc, pas davantage, les juges du siège qu'on peut qualifier de fainéants. Mais pour obtenir des données plus concrètes, il faudra faire référence à l'étude de productivité qui, pour avoir été annoncée voilà longtemps, n'est toujours pas achevée (lire ci-dessus).
Indépendamment de cela, elle doit également permettre l'adéquation entre les moyens humains et l'ampleur du travail à fournir.
Côté magistrature, on admettait - et on admet encore - que des brebis galeuses entachent la profession. Mais le retard que l'on constate ci et là n'est, pour les magistrats, pas imputable sur le fond à ces "cas isolés". Et de citer entre autres le dénuement de certaines juridictions.
Des avocats font part, eux, de leur expérience pour mettre en avant des pratiques différentes selon les juridictions, par exemple entre le pénal, réputé moins lent, et le civil, moins rapide, à Bruxelles.
Cependant, les juristes de tous bords expliquent aussi que bon nombre de retards de délibéré peuvent avoir des causes objectives : affaire très complexe, ennuis de santé du juge, dysfonctionnement du greffe, etc.
Dans le monde associatif de la magistrature, on regrette toutefois qu'il y ait eu focalisation sur la faiblesse de quelques-uns, car c'est faire un mauvais procès aux magistrats. Car, comme la ministre l'avait elle-même indiqué, sans qu'on retienne autant ces propos-là, que 98 pc des magistrats travaillent... "Des gens passionnés par un métier redynamisé et rajeuni", aime-t-on dire chez les magistrats.

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