21 novembre 2007

L'orange bleue pense à son atterrissage

Un gouvernement, puis le communautaire
164 jours sans nouveau gouvernement. Les discussions institutionnelles à venir interviendront après la formation du gouvernement dont elles seront dissociées. Le PS se dit prêt à soutenir une majorité des deux tiers.

L'information selon laquelle le communautaire susccèderait à la formation du gouvernement dont il serait dissocié aurait été confirmée mercredi par les deux présidents d'assemblée, Herman Van Rompuy et Armand De Decker.
Elle a été accueillie favorablement par Ecolo et Groen! mais également par le parti socialiste. "C'est un élément très positif", a indiqué le président du PS, Elio Di Rupo, au sortir de la réunion qu'il a eue avec les deux réconciliateurs.
M. Di Rupo a réitéré son exigence d'une rencontre avec les présidents de partis francophones comme préalable au dialogue entre les communautés.
Il a ajouté que son parti serait disposé à apporter son soutien à une majorité des deux tiers dont l'objectif serait d'oeuvrer à la stabilité du pays.


Les quatre partis semblent évoluer désormais dans un climat plus serein, stabilisé. Mais gare aux ultimes turbulences.
Si l'Orange bleue était un avion poursuivant un interminable voyage, l'impression générale des passagers serait que l'engin semble enfin se stabiliser et qu'il entame peut-être sa descente vers une piste salvatrice qui se trouverait quelque part du côté de la rue de la Loi.
Un sentiment qui se nourrit des déclarations du MR sur la réforme de l'État, ce week-end : elles sont qualifiées d'« ouverture » au nord du pays. Le CDH n'a guère apprécié cette sortie en solo, mais a évité de sombrer dans l'excès de langage. La porte reste donc entrouverte pour un dialogue communautaire décisif.
Pas d'euphorie : le pilote Yves Leterme a-t-il les commandes bien en mains ? Et peut-il donner l'impulsion pour un atterrissage en douceur ? A voir… On se méfiera aussi des turbulences, toujours possibles en phase descendante, et donc du risque de crash politique, qui ne ferait sans doute aucun survivant.
Les passagers sont donc priés de redresser leur siège et de ranger leurs bagages dans les compartiments prévus à cet effet. Mais sans oublier d'attacher leur ceinture !
Le pilote
Y a-t-il un pilote dans l'avion ? Ce vieux titre de film convient parfaitement à Yves Leterme. Certainement depuis que le Roi a chargé Herman Van Rompuy et Armand De Decker d'une mission de réconciliateurs, de restauration d'un dialogue entre communautés, parallèlement à la mission de formation d'un gouvernement orange bleu confiée à Leterme.
Mais contrairement aux apparences, le formateur n'a pas lâché complètement les commandes de son appareil en détresse. Il consulte au contraire, plutôt intensément, les présidents de parti. Objectif : aboutir à un accord en trois axes, permettant la reprise officielle des négociations gouvernementales, interrompues depuis le 7 novembre et le fameux vote unilatéral flamand sur la scission de l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde en commission de la Chambre.
Il se dit d'ailleurs qu'Yves Leterme a beaucoup travaillé à ses propositions avec Joëlle Milquet, présidente du CDH, remise sous pression depuis la main tendue par le MR aux partis flamands, ce week-end (lire page 3). A ne pas négliger, non plus, l'apport du président du Sénat et ex-explorateur royal, Herman Van Rompuy, remis en selle par le biais du duo des présidents d'assemblée. L'homme conseille Leterme à la demande, sur le communautaire.
Les propositions mises sur la table par le formateur concernent, selon nos informations, trois axes : les gestes d'apaisement mutuels entre Nord et Sud ; le futur menu institutionnel ; et les structures (lire ci contre, La piste). Et d'aucuns ajoutent qu'un accord à quatre est à portée de main (une source nous assurant que trois partis sont déjà globalement d'accord, et que l'on attend Milquet). Un accord qui, s'il se concrétise, pourrait dès lors être révélé en ce milieu de semaine.
La piste
La piste d'atterrissage entrevue par les partenaires de l'Orange bleue (le « cadre » pour l'entente) est à deux bandes.
D'un côté, le contrat de gouvernement, socio-économique, sociétal, incorporant les préaccords engrangés par exemple sur la justice ou l'immigration, et comportant un chapitre institutionnel réduit (« une page », soutient Joëlle Milquet), qui énoncerait une série de thèmes relatifs à la réforme de l'Etat, fixerait des délais, et renverrait, pour l'exécution, au fameux « comité des sages », « convention » ou quel que soit son nom, extérieur au gouvernement. C'est la seconde bande (lire ci-contre).
Selon nos informations, le formateur Yves Leterme cherche un accord en trois axes. Un : sur des gestes mutuels d'apaisement entre francophones et Flamands. Les premiers garantissant l'existence d'une réforme de l'Etat ; les seconds garantissant de ne plus recourir au vote d'une communauté contre l'autre. Les partis de l'Orange bleue seraient à peu près d'accord sur la manière dont ces gestes seront posés. On évoque une déclaration flamande assurant que les partis respecteront le cadre fédéral. Mais l'on imagine qu'il y aura plus, des garanties inscrites d'une manière ou d'une autre dans l'accord gouvernemental (« un processus qui offre des garanties » et « une structure de dialogue avec des garanties aussi », nous dit-on). Voilà qui n'est pas forcément évident pour le cartel CD&V/N-VA.
Deux : sur l'esquisse d'un menu institutionnel (à concrétiser, selon un calendrier, dans le dialogue Nord-Sud essentiellement).
Trois : sur les structures, notamment de ce dialogue.
Du côté libéral, on assurait, lundi, attendre le CDH pour finaliser tout ça. Reste à savoir si la tactique visant à « coincer » Milquet est la bonne.
Les aiguilleurs
Débutée dans la confusion, après une intervention intempestive d'Armand De Decker (MR) à la radio, la mission du président du Sénat et de son collègue de la Chambre, Herman Van Rompuy (CD&V), représente une pièce maîtresse dans le montage politique autour de l'Orange bleue. Tactiquement : la création, à leur initiative, d'un comité des sages ou autre « convention » Nord-Sud doit permettre à Leterme Ier de voir le jour en se débarrassant, pour l'immédiat, de la patate chaude communautaire. Stratégiquement : c'est au sein de ce forum que se jouerait l'avenir de l'Etat-Belgique.
En ce sens, les deux compères sont en quelque sorte des aiguilleurs du ciel, l'atterrissage de l'Orange bleue dépendant de leur expertise et de leur adresse à rapprocher deux communautés aux logiques différentes. Pour cela, reste à convaincre les socialistes, surtout, et les écolos à participer à cette « convention », qui irait au-delà d'un comité des sages, avec une structure quasi parlementaire (sur le modèle de la Convention européenne ayant accouché d'un projet de Constitution), ouverte à tous. C'est l'idée, nous dit-on, reprise par Leterme.
Mercredi, les présidents rouges et verts seraient reçus par le duo d'aiguilleurs du ciel, qui recevrait les présidents de l'Orange bleue ce mardi. Sachant que la contribution de la future opposition est nécessaire si l'on veut atteindre la majorité des deux tiers nécessaire pour réformer l'Etat.
Vendredi au plus tard, le duo fera rapport au Roi. Et sa mission prendra fin, sauf nouvelle surprise. Une mission qui recoupe celle du formateur, puisque le duo travaille au rétablissement du dialogue communautaire, tant sur le fond que sur la forme, dialogue lui-même lié aux gestes d'apaisement Nord-Sud que tente d'obtenir Leterme.
Les deux ailes
Question de stabilité : les ailes francophone et flamande de l'Orange bleue doivent s'équilibrer. Ou ce sera le crash. Le cartel CD&V/N-VA doit pouvoir faire valoir que non seulement il y a eu le vote unilatéral de BHV en commission à la Chambre, puis l'invalidation des bourgmestres de la périphérie (deux faits d'armes, deux médailles à son torse), mais aussi qu'une réforme de l'Etat est bien en préparation, à laquelle le comité des sages s'attellera sans délai, avec une échéance, un timing – c'est une exigence préalable de la N-VA. Les partis flamands (cartel + Open VLD) clameront aussi que l'autonomie fiscale est à l'horizon. Une revendication forte.
Autre version du côté francophone : le CDH – lire ci-contre les propos de Joëlle Milquet – doit pouvoir affirmer qu'il a résisté, « seul souvent », à la poussée flamande ultra, que le comité des sages permettra de délayer la réforme de l'Etat. Le MR, lui, se targuera d'avoir œuvré au dialogue avec la Flandre, et d'avoir donné un gouvernement au pays. Fragile équilibre. L'Orange bleue est à ce prix : des interprétations différentes d'un même accord…
Pour l'heure, la N-VA a qualifié hier l'ouverture du MR de pas en avant, « sans plus ». Reynders, s'est dit, lui, « très heureux » des réactions CD&V et VLD : « C'est une semaine qui pourrait faire évoluer les choses », a-t-il jugé. Ajoutant : « Nous ne sommes pas opposés à prendre plus de responsabilités au niveau des Régions et Communautés, si l'Etat fédéral est renforcé et si on se respecte. »
Les turbulences
Malencontreux hasard du calendrier : la commission de l'Enseignement du Parlement flamand votera la semaine prochaine une proposition de décret qui autorisera l'Inspection de l'Enseignement néerlandophone à effectuer des contrôles dans les écoles francophones de la périphérie, pour déterminer si elles se conforment aux normes d'accompagnement des élèves en vigueur dans l'enseignement néerlandophone.
« Il s'agit d'un simple décret d'interprétation suite à une décision de 2006 : rien à voir avec l'Orange bleue » rassure Kris Van Dijck, député N-VA. « En Région flamande, ce sont les lois de la Flandre qui s'appliquent. Si l'on veut vivre ensemble, il faut respecter les lois. Je ne vois d'ailleurs pas en quoi ce décret pourrait poser le moindre problème. »
Au FDF, on s'indigne : « On touche à l'organisation de l'enseignement francophone, parasitant les conditions d'accès à son enseignement secondaire, qui n'est pas dispensé en Flandre. »
Ce nouveau risque de conflit est un écueil de plus sur la voie de la formation. Et ce n'est pas le plus gros. Lundi, le FDF rappelait « qu'avant toute discussion approfondie sur une réforme de l'Etat, le respect du suffrage universel en périphérie devait être réglé. » Un rappel qui, deux semaines avant un tour de carrousel prévu pour les trois maïeurs non nommés, vaut son pesant de crispations. D'ici là, il faudra aussi croiser les doigts pour qu'aucun acteur ne trouble la loi de la discrétion, voie royale vers l'Orange bleue. .
Le risque de crash
Après plus de 160 jours dans les airs, l'Orange bleue n'a plus droit à l'erreur. Hésiter encore, tourner en rond, tenter d'atterrir puis remettre les gaz, voir les copilotes se disputer encore : cela lui serait fatal. Didier Reynders l'a compris, qui s'est posé en protagoniste d'une « ouverture » aux partis flamands, jusqu'à évoquer la possibilité de transférer des compétences aux Régions en matière de fiscalité (IPP) et de gestion du marché du travail.
Le président du MR a senti que le sol se dérobait sous ses pieds, que l'on commençait à évoquer des formules alternatives à l'Orange bleue, comme la tripartite. Il fallait couper court. L'idée de faire atterrir l'Orange bleue au plus vite s'est imposée.
Tout risque de « crash » n'est pas écarté pour autant. Il faut que les partenaires s'entendent sur une répartition équilibrée des dossiers institutionnels à régler au sein du gouvernement et au comité des sages ou à la convention en gestation (lire page 2). Il faut, aussi, qu'aucun partenaire ne refuse le geste d'apaisement exigé de l'autre communauté (plus de vote N contre F, une garantie de réforme de l'Etat). Voilà qui ne sera facile ni pour la N-VA ni pour le CDH.
Une chose est sûre : avec gilet de sauvetage ou pas, l'Orange bleue ne survivrait pas au crash. Mais une nouvelle période d'instabilité politique s'ouvrirait, avec des partis radicalisés : retour à la case royale ; tour de table complet des partis démocratiques ; exploration des coalitions tripartites, asymétriques… ; redésignation d'un informateur, médiateur, formateur…
Le MR éreinté hier au comité directeur du CDH
Après l'« ouverture » du MR ce week-end (Le Soir de lundi) sur la réforme de l'Etat, Joëlle Milquet a pris soin hier, en conférence de presse, au siège du CDH, à Bruxelles, de ne pas refermer la porte du dialogue avec les Flamands. Elle a réitéré son soutien à l'initiative royale visant à mettre en place un dialogue entre les communautés (où doit se discuter, selon elle, la fameuse réforme de l'Etat), « impliquant tous les partis démocratiques francophones et néerlandophones », a rappelé qu'à la fin, il faudra des « solutions consensuelles et équilibrées » et a revendiqué « plus que jamais une stratégie collective francophone »… Quant à l'accord (hypothétique) de gouvernement, elle le verrait bien comporter « une page » où l'on énoncerait une série de thèmes institutionnels, qui seraient discutés ensuite au sein du comité des sages. Voilà le « cadre » auquel se réfère la présidente du CDH.
De là à s'avancer comme l'a fait le MR sur le transfert de compétences en autonomie fiscale ou sur le marché du travail, il y a un pas. Un gouffre à entendre les commentaires qui ont fusé au préalable au comité directeur du CDH, à huis clos…
« On » nous les rapporte. Extraits : « Après la réunion des francophones vendredi, où on réclamait un geste flamand, voir le MR sortir seul comme ça, c'est incroyable ! » (…) « Il se gifle une troisième fois, pour être sûr que le signal passera au Nord. Plus qu'un réflexe d'éducation chrétienne : vous savez, tendre l'autre joue » (…) « Cela devient clair : il y a une stratégie qui remonte au vote de BHV par les partis flamands à la Chambre le 7 novembre dernier. C'est cousu de fil blanc. »
Students et studenten…
Students et studenten…
Des milliers d'étudiants de l'ULB et de la VUB célèbrent ce mardi la Saint-Verhaegen (« la
Saint-V »), hommage arrosé au fondateur de l'université, Théodore Verhaegen. Les présidents de cercles francophones et néerlandophones feront un « à-fond » (un cul-sec) symbolique à 14 heures sur la place du Sablon, à Bruxelles, pour montrer « leur détermination et leur envie de continuer à vivre, guindailler et travailler ensemble ».
… bras dessus, bras dessous
Mercredi, autre opération de rapprochement entre étudiants flamands et francophones : « België knuffelt, Les Belges s'embrassent ». Initiée par des étudiants des universités catholiques de Louvain (KUL) et de Louvain-la-Neuve (UCL), elle a hier reçu le soutien du Mouvement populaire flamand (Vlaamse Volksbeweging, VVB), nationaliste, qui a appelé tous les étudiants flamands à participer aux embrassades sur la Grand-Place de Louvain.
Demotte craint
l'autonomie fiscale
Le ministre-président wallon, Rudy Demotte (PS), a souligné hier combien l'autonomie fiscale, telle que suggérée par Didier Reynders, créerait une concurrence fiscale importante entre les Régions. : pour la Région wallonne, « il est essentiel de disposer d'un interlocuteur fédéral susceptible d'appuyer le plan de redéploiement économique mis en œuvre en Wallonie. » (b)

Orange bleue : le temps presse avant l'orage

L'Orange bleue tente d'atterrir, dans les turbulences. L'issue dépend pour une grande part des partis flamands : après le vote BHV à la Chambre le 7 novembre, puis l'invalidation des bourgmestres de Linkebeek, Wezembeek et Crainhem, poseront-ils un « geste d'apaisement » ?
Les « réconciliateurs » désignés par le Roi d'un côté, Armand De Decker (MR) et Herman Van Rompuy (CD&V), présidents du Sénat et de la Chambre, et le formateur, Yves Leterme (CD&V), de l'autre, travaillent à recoller les morceaux. L'on évoque un engagement solennel à maintenir l'Etat fédéral, un autre à ne plus provoquer unilatéralement l'autre communauté nationale… Le temps presse. Les nuages communautaires s'amoncellent. Voir le dépôt en commission du parlement flamand d'un décret visant à retirer les compétences de la Communauté française sur l'inspection pédagogique des écoles francophones des communes à facilités de la périphérie bruxelloise, et l'annonce d'un vote la semaine prochaine (Le Soir d'hier).
« La provocation de trop »
Une troisième gifle ? La ministre-présidente de la Communauté française, Marie Arena (PS), s'opposera à un tel projet, dans lequel elle voit « un moyen d'éliminer la culture française et l'utilisation du français aux portes de Bruxelles ». Au FDF, l'on assure que Didier Reynders, au nom du MR, a prévenu Leterme : ce décret serait la provocation de trop.
Autre nuage : Marino Keulen, ministre (VLD) flamand de l'Intérieur, a déclaré hier qu'il ne prendrait pas de mesures disciplinaires contre les trois mayeurs recalés, mais aussi que leur nomination n'interviendrait « ni dans trois jours ni dans trois mois »… Alors que le FDF en fait un préalable au débat institutionnel !
A suivre aussi, la bisbrouille intrafrancophone autour de la prestation de serment (lire ci-dessous) de Myriam Delacroix, bourgmestre (CDH) de Rhode-Saint-Genèse : Eric Libert (FDF) parle de « prime flamande pour quelqu'un qui a tourné casaque », et se fait sermonner par Ecolo, qui cible les réactions « arrogantes » et « suffisantes » du parti d'Olivier Maingain, et la surenchère communautaire.
De Decker et Van Rompuy ont rencontré hier les présidents de l'Orange bleue, et reçoivent aujourd'hui écolos et socialistes francophones, avant le SP.A jeudi. Ils soumettent à leurs interlocuteurs leur projet de « convention » et de « comité des sages », sur le modèle des travaux qui avaient abouti à la rédaction de la Constitution européenne. La convention rassemblerait une quarantaine de délégués (20 F, 20 N) de tous les partis ainsi que des entités fédérale et fédérées, tandis que le comité des sages, de huit personnes, regrouperait les Giscard, Dehaene ou Amato de l'étape. Les présidents de partis sont sollicités. Dont Elio Di Rupo, attendu ce matin. Mais tous s'attendent à un raidissement socialiste. Comme l'on en redoute un autre, dans l'Orange bleue cette fois, où la N-VA, dit-on, ne se satisferait pas des actuelles garanties francophones à propos de la réforme de l'Etat.

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