08 novembre 2007

Les francophones : une agression

« La situation n’est ni plus compliquée ni plus simple qu’avant le vote »
Jean-Benoît Pilet Politologue au Cevipol, ULB
« La négation des principes du “pacte des Belges“ de 1962 »
Pierre Verjans Politologue à l’ULg
« On va gagner du temps mais en fait, on reporte le problème »
Dave Sinardet Politologue, Université d’Anvers
La troisième mort de la Belgique
Ci-gît le fédéralisme d'union. Et… le cordon sanitaire. Combien de « vies » nous reste-t-il ? Ce jeudi, Yves Leterme doit se rendre chez le Roi.

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Les francophones : une agression
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BHV: la crise!
Avant le vote: Yvan Mayeur (PS), Charles Michel (MR) et Olivier Maingain (FDF)
Après le vote: Charles Michel (MR), Jean-Marc Nollet (Ecolo), Yvan Mayeur (PS), Melchior Wathelet (CDH et Piet De Crem (CD&V)
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On vote sur BHV
150 jours sans nouveau gouvernement. Bart De Wever, président de la N-VA, annonce qu'il y aura bien un vote à la commission de l'Intérieur de la chambre, cet après-midi. Au programme, le vote unilatéral de la scission de BHV par les députés flamands. Plus tôt dans la matinée, Didier Reynders avait souligné que les dernières propositions du formateur Leterme étaient éventuellement négociables... à condition d'un report de cette commission.

Comme il l’annonçait mardi, Didier Reynders, président du MR, a réuni ses pairs du PS, du CDH et d’Ecolo quelques heures après le vote en commission de la scission de BHV.
Les cinq présidents (Ecolo a deux secrétaires fédéraux) se sont retrouvés à 17 h 30 dans les locaux du Parlement de la Communauté française (PCF), à deux pas du parlement fédéral. Ils y ont délibéré une heure et demie avant de rencontrer la presse.
Reynders a ouvert le bal en lisant un texte commun (nous le publions en page 1). Les quatre partis sont convenus de ceci : le PCF va lancer une procédure en conflit d’intérêts (lire en page 6). Une résolution en ce sens sera votée vendredi par le PCF – le texte sera rédigé ce jeudi. Les présidents se reverront lundi pour réfléchir à d’éventuelles autres « réactions. » Comme cette Conférence nationale rassemblant l’ensemble des partis (démocratiques) francophones et flamands ? Elio Di Rupo (PS) en proposait l’organisation en milieu d’après-midi. Reynders : « Nous verrons la semaine prochaine. »
Pour en revenir au vote flamand : devant la presse, le mot « agression » tombe une fois par minute. Reynders : « Nous venons de vivre une rupture du pacte belge, une agression que nous ne pouvons accepter. » Isabelle Durant (Ecolo) parle d’un « choc. » Joëlle Milquet (CDH) d’une « rupture grave. » Di Rupo : « La procédure du conflit d’intérêts suspend le texte voté en commission. Il obligera une concertation avec la Flandre. Mais au-delà, nous souhaitons un dialogue pour que la Flandre dise clairement ce qu’elle veut. »
Et l’Orange bleue ? Reynders : « La négociation est suspendue. C’est évident. Nous ne pouvons pas négocier dans un climat comme celui-là. » Interrogé et réinterrogé sur l’Orange bleue, Reynders s’en tient au mot « suspendue » en se gardant (à l’inverse du FDF) d’excommunier Leterme. Di Rupo : « Nous n’avons pas discuté, pendant notre réunion, des questions liées à l’Orange bleue. Mais il me semble évident que la négociation ne peut se poursuivre comme si de rien n’était, comme si ce qui s’est passé était banal. » Milquet : « Une négociation, c’est un dialogue. Pas des impositions unilatérales. Nous lançons un appel à la raison. »

Le scénario catastrophe devenu plan de sauvetage

L’image est forte : un vote unilatéral des élus flamands, sur un sujet communautaire ô combien sensible, en l’absence de députés francophones ayant quitté la salle, car impuissants à l’empêcher. Un choc communauté contre communauté. Et si, au-delà des images fortes et des mâles cris de victoire, cet affrontement inédit était une solution ? De ces solutions qui permettent de sortir, in extremis, d’une impasse ? Pas une option longuement préméditée, mais une stratégie de dernière minute. A l’opposé de ce que l’on espérait. Faute de mieux. Reprenons.
Mardi, Yves Leterme soumet aux francophones de l’Orange bleue, MR et CDH, une note cadre sur BHV. Insuffisant, jugent les francophones. Dans la foulée, il présente son texte, légèrement remanié, sur la base des remarques francophones, aux négociateurs flamands CD&V/N-VA et OpenVLD. Qui, eux, l’acceptent.
Résultat, au réveil, mercredi, les francophones sont sous pression : les partenaires flamands ont habilement relancé la balle dans leur camp, alors que, jusque-là, ils apparaissaient comme responsables de la crise à venir. Puisqu’ils avaient posé un ultimatum, en exigeant une percée sur BHV pour ce 7 novembre (date de la commission de la Chambre).
Hier matin, le formateur acte le désaccord nord-sud. Car les francophones posent un préalable : pas de vote sur les propositions flamandes de scission de BHV en commission. Préalable rapidement rejeté par la N-VA. A cette heure-là, ce vote est déjà acquis. Il fait partie d’une stratégie affinée dans la nuit – des SMS en attestent – au creux du CD&V. Les autres partis jurent, la main sur le cœur, n’avoir pas été consultés.
Après plusieurs accords programmatiques, Leterme espérait un accord sur BHV. Sans avoir vraiment testé de formules avec ses alliés. Mais en début de semaine, il subodore qu’il n’en sera rien. Des francophones ont répété, le week-end, les positions de défense des droits des francophones de la périphérie. Et lundi, le bureau du CD&V est chaud : face aux « provocations francophones », le vote en commission sur BHV est réclamé.
Mardi soir, après le non francophone et le oui du bout des lèvres de la N-VA, Leterme le sent. Leterme le sait : il ne pourra plus engranger un début d’accord avant l’expiration de l’ultimatum flamand, mercredi à 14 h 30. Il ne pourra pas empêcher le vote en commission. S’il s’entête, il ira dans le mur. Et ne sera pas Premier ministre. Alors, il lâche prise. Tente le tout pour le tout. Mûrissant sans doute une « idée derrière la tête » vieille d’au moins 24 heures, voire quelques jours : et s’il laissait le vote en commission avoir lieu ? Si l’on ne dramatise pas l’acte, cela pourrait lui ôter de grosses épines du pied… Pari risqué. Mais a-t-il le choix, sous peine d’y laisser sa tête ?
Il se dit alors qu’à quelque chose malheur est bon. Car le vote en commission de la Chambre a au moins deux avantages. Un : il donne un gage immédiat à la N-VA. Deux : le dossier BHV passe des mains du gouvernement dans celles du Parlement. A lui, désormais, de traiter le problème, avec toutes les procédures de suspension du processus législatif que les francophones actionneront. Plus besoin de trouver un accord en quelques jours : ces procédures retarderont le moment de vérité d’au moins quatre à six mois. C’est dans ce délai qu’il faudra trouver un compromis, puisque les francophones n’accepteront pas un vote N contre F en séance plénière, in fine. Première épine retirée.
Deuxième épine : la réforme de l’Etat. Quoi que certains tentent parfois d’en dire, le phasage de cette réforme institutionnelle (en quatre étapes) a été accepté par les quatre partis de l’Orange bleue. Et reconfirmé hier, lors d’une réunion commune. Un autre dossier chaud largement reporté. Et placé aussi entre d’autres mains : commission parlementaire et/ou comité des sages.
Reste donc à mettre en place un gouvernement largement socio-économique. Permettant à chacun de se concentrer sur « les sujets qui intéressent les gens », nettement moins minés. Voilà qui arrange les francophones, pas demandeurs en matière institutionnelle. Eurêka : Leterme Ier est sur les rails ? Pas si vite…
Car ce scénario catastrophe (vote Nord contre Sud), devenu scénario de sortie de crise, est à haut risque. Parce qu’au-delà des premiers chants de victoire, la N-VA, voire certains CD&V, pourraient se réveiller, demain ou après-demain, avec la gueule de bois : pour le moment, ils n’ont rien. BHV est reporté ; la réforme de l’Etat aussi, largement. N’avaient-ils pas chanté dans toutes les langues qu’ils n’entreraient pas dans un gouvernement sans réforme de l’Etat et que BHV était un préalable ? Pourront-ils se contenter d’un gouvernement largement socio-économique ? Gageons que non.
Ils sont déjà prêts, nous dit-on, à insister sur les réformes institutionnelles réalisables à la majorité simple : à bétonner dans l’accord de gouvernement. Donc à engranger d’emblée. Ça paraît facile ? Ce ne l’est pas forcément. On trouve dans cette première phase de la réforme de l’Etat la représentation des Régions au conseil d’administration de la SNCB (à laquelle le CDH s’est opposé), des questions fiscales (liées à l’impôt des sociétés, qui hérissent le CDH au moins) ou des aspects énergétiques. Et Joëlle Milquet a clairement fait comprendre au formateur, hier, qu’elle ne se relancerait pas dans un troisième round institutionnel (après Val Duchesse et l’exploration de Van Rompuy). L’avenir dira donc, rapidement, si la stratégie de dernière minute d’Yves Leterme se révèle géniale. Ou bombe à retardement. Si elle l’aura sauvé définitivement. Ou temporairement.

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