11 novembre 2007

La presse flamande, incrédule, indignée ou dépitée...

Pour Yves Desmet, dans le "Morgen", le psychodrame de mercredi n'a été qu'une mascarade.
Jour J + 1. Sans surprise, les quotidiens flamands consacrent tous leurs éditoriaux au vote de la veille en commission de la Chambre. Mais un éditorial surprend : celui du "Morgen", intitulé (en français) "Ceci n'est pas une crise", et donnant un éclairage nouveau au titre de "Une" (toujours dans la langue de Molière) : "Coup de théâtre". Car pour Yves Desmet, la journée de mercredi, ce fut "dans le sens le plus littéral du terme, du théâtre politique de premier ordre".

"Mais", ajoute-t-il, "la mise en scène paraît, ça et là, un peu sommaire. Il y a eu beaucoup trop peu de portes qui claquent, et de déclarations fracassantes, et personne n'a évoqué la faillite évidente des négociations menées par Yves Leterme". Et puis cette autre "faute de scénario" : "au lieu de s'invectiver et de se rejeter mutuellement la responsabilité de la crise annoncée, bref, d'exécuter tous les rituels qui caractérisent une crise véritable, les négociateurs ont directement lancé la piste d'un gouvernement de nécessité aux objectifs limités".

Suit alors cette hypothèse : "Et si la journée de mercredi n'était qu'une mise en scène soigneusement orchestrée dans le but de débloquer les négociations ?" Cela expliquerait "cette incroyable semaine de vacances d'automne" que les négociateurs se sont tous octroyée alors que l'échéance de mercredi était connue. Et puis "ce vote aux apparences de crise comporte aussi un certain nombre d'avantages. Ainsi, les deux parties peuvent retourner vers leurs bases respectives sans avoir perdu la face."

La "Une" du "Laatste Nieuws" est incendiaire : "Qui les croit encore ?" en rouge sur les visages de Jo Vandeurzen et d'Yves Leterme. La phrase originale était de ce dernier, datait de quelques semaines avant les élections et concernait la coalition violette : cruel retour de boomerang. En page 2, Luc van der Kelen n'est guère plus amène : pour lui, le vote "en effet historique" de mercredi est "une amère défaite pour le formateur Yves Leterme". Notamment parce que "c'est la manière la plus sûre de ne pas scinder BHV".

Mais pour l'éditorialiste, "le 7 novembre est devenu une triste journée dans l'histoire de la fédération belge. Cela restera le jour où la Flandre s'est manifestée comme une puissance impérialiste. [...] La singularité de la Belgique est que majorité et minorité se sont mises d'accord pour tout régler dans le pays par la concertation et non par la dictature du nombre. Beaucoup de par le monde regardaient la Belgique avec admiration pour cette raison. Hier, le bourgmestre d'Aalter (Pieter De Crem - NdlR) a mis une fin à cet état de fait."
Peter De Backer, dans le "Nieuwsblad", estime que "les Flamands se sont tiré deux fois dans le pied" car ils risquent de devoir attendre longtemps non seulement la scission de BHV mais aussi la prochaine réforme de l'Etat.

Enfin, pour le "Standaard", le vote de mercredi est "une bonne chose" mais en aucun cas un signal pour l'avènement d'un gouvernement de nécessité, qui s'occuperait exclusivement de thèmes socio-économiques, sans ambition communautaire. "Un gouvernement socio-économique, c'est du bricolage. Il n'offrirait aucune réponse aux défis qui se posent à ce pays", conclut Peter Vandermeersch.

Pétition du VB contre le "coup d'Etat royal"
Le Vlaams Belang a annoncé vendredi qu'il lançait une pétition dans laquelle il demande aux présidents du CD&V et de la N-VA, Jo Vandeurzen et Bart De Wever, de ne pas se soumettre à ce qu'il qualifie de "coup d'Etat royal". Le parti extrémiste demande en outre au cartel CD&V/N-VA de ne pas entrer dans un gouvernement tant que les partis francophones n'auront pas renoncé à utiliser les mécanismes de blocage de la proposition de loi scindant Bruxelles-Hal-Vilvorde et qu'aucune étape significative n'aura été franchie dans la réforme de l'Etat.


Les petites manoeuvres orange bleues
Le contact orange bleu a été rétabli quelques heures après le vote forcé sur BHV.Le scénario de sortie de crise a été dessiné par Leterme. Et avalisé par les négociateurs.

récit
Mercredi soir, les murs de la Chambre résonnent encore des applaudissements et des cris de joie des députés de l'extrême-droite flamande suite au vote intervenu sur la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde dans l'après-midi. A une encablure de là, au Parlement de la Communauté française, en début de soirée, les présidents des partis francophones ont rugi : promis !, ont-ils dit, ce coup de force flamand ne restera pas sans réponse...
A la Chambre, le formateur Yves Leterme voit revenir vers lui, à sa demande, les principaux négociateurs francophones et flamands de l'orange bleue dans les bureaux qu'il occupe au rez-de-chaussée. Pas vraiment de "réunion structurée", on se croise, on discute, on se rassure sur l'avenir de la coalition associant CD & V/N-VA, Open VLD, MR et CDH. C'est Yves Leterme en personne qui a décidé de passer au vote en commission de l'Intérieur, lors d'une réunion mardi avec les partis flamands : la mise au frigo de Bruxelles-Hal-Vilvorde peut, finalement, arranger tout le monde. Les Flamands auront leur vote symbolique; mais ce vote aura aussi pour conséquence de dégager l'horizon et d'éloigner ces trois satanées lettres BHV de la table de négociation, comme le souhaitaient les francophones. Le formateur a donc échafaudé le plan du vote de A à Z. Coup de maître ? Coup de poker ? Coup de bluff ? "Ce scénario a été exclusivement dessiné par les partis flamands", jure Olivier Maingain. Une grande manipulation ? "P our une fois qu'Yves Leterme élabore un plan qui marche" glisse un négociateur flamand...
"C'est Nana Mouskouri"
Dès mercredi soir, donc, le formateur reprend contact avec les francophones Didier Reynders et Joëlle Milquet, et s'assure que l'orange bleue survivra bien au vote. Il reçoit des signaux positifs aussi bien venant des négociateurs francophones que des négociateurs flamands. Ensuite, Didier Reynders file à Liège pour préparer un cours qu'il donne le lendemain à l'UCL. Et Joëlle Milquet assiste, jusque tard dans la nuit, à une réunion sur les partenariats publics-privés pour le financement des bâtiments scolaires.
Voici jeudi, tôt le matin. Frais et dispo, Jean-Michel Javaux a passé la nuit à Bruxelles. C'est que le co-président d'Ecolo doit arriver de bonne heure à la RTBF, deviser de la crise politique en cours à "Matin Première" en compagnie d'Elio Di Rupo, de Joëlle Milquet et de Sabine Laruelle. A la RTBF, le président du PS, dans ses nouveaux habits d'homme remonté à bloc, tape du poing sur la table et appelle le Roi à démettre Yves Leterme de ses fonctions de formateur. Ignore-t-il encore que l'orange bleue a déjà repris contact ? Probablement.
Dans les locaux de RTL, toujours tôt le matin, Elio Di Rupo et Joëlle Milquet se croisent. Eux deux participent à l'émission de radio du matin animée par Kathryn Brahy. Une élégante dame avec un chapeau et de grandes lunettes se trouve sur leur passage. Elio Di Rupo la complimente sur son look. "Quelle élégance, madame !", lui dit-il. Là, l'huissier de la maison RTL croit utile de présenter la dame aux deux présidents de parti : "voici Nana Mouskouri"... Petite gêne du président du PS. Mais c'est bien compréhensible : on ne voit plus guère la chanteuse grecque sur les plateaux de télévision en ce moment.
"Qui croit ces hommes ?"
A l'horloge du Cabinet des Finances, rue de la Loi, chez Didier Reynders, l'horloge pointe sur midi. Et les négociateurs de l'orange bleue sont rassemblés pour lisser un scénario de sortie de crise. Il reste moins de deux heures à l'orange bleue pour peaufiner les ultimes détails puisque le formateur Yves Leterme est attendu chez le Roi, au château du Belvédère, à 13 heures 15.
La nervosité est palpable. Le président du CD & V Jo Vandeurzen est dans un état lamentable, et le formateur Yves Leterme n'est pas au mieux de sa forme non plus. En cause, non pas le vote sur Bruxelles-Hal-Vilvorde, mais l'interprétation qu'en a faite le quotidien flamand à gros tirage "Het Laatste Nieuws". La "Une" du journal (1 million de lecteurs) est barrée en grand par les photos des compères Leterme et Vandeurzen avec un titre saignant : "Qui peut encore croire ces deux hommes ?" L'édito de Luc Vanderkelen est cinglant : les Flamands ont perdu.
C'est que la scission de BHV est reportée aux calendes grecques après le vote flamand en commission de l'Intérieur, et les quarante minutes durant lesquelles les députés flamands ont été à la fête compenseront-elles les mois où la scission de l'arrondissement sera enlisée dans les méandres des procédures déclenchées par les francophones ?
"Un geste fort"
Bref, on console le pauvre Jo Vandeurzen, et on relève la tête. Il est acquis que le formateur Leterme restera en place, c'est une condition non négociable pour le cartel CD & V/N-VA. Mais les négociateurs francophones ont rapidement besoin d'un "geste fort" à adresser à leur opinion publique choquée par le coup de force flamand sur BHV. Il faut obtenir quelque chose : ce sera le communiqué du Palais, expédié à 14h50. Le débat institutionnel est renvoyé entre les mains des présidents des Assemblée (lire en page 2). Voici donc deux hommes dans lesquels les francophones ont toute confiance, Armand De Decker (Sénat) et Herman Van Rompuy (Chambre), qui reviennent sur le devant de la scène.
Sauvée, l'orange bleue ? Pas (encore) tout à fait. Didier Reynders affirme que les négociations sont arrêtées. Il faudra le caresser dans le sens du poil. Et Joëlle Milquet demande que "le respect mutuel" soit rétabli entre les Communautés. Au 152e jour de la crise...

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