Ils voulaient l'apaisement ? Keulen leur déclare la guerre
MARINO KEULEN fâche les francophones. Qui préparent la riposte. Mais la tension semble à son comble, entre MR et PS.
On attendait un signe de réchauffement. C'est tout le contraire qui s'est passé. Mercredi soir, Marino Keulen (VLD), ministre de l'exécutif régional flamand en charge des Affaires intérieures, a donc annoncé qu'il ne nommerait pas les maïeurs MR des communes (à facilités) de Linkebeek, Crainhem et Wezembeek. Il leur reproche d'avoir, aux communales de 2006, convoqué l'électeur dans sa langue (en néerlandais aux Flamands, en français aux francophones). C'est une entorse aux circulaires flamandes obligeant l'emploi du néerlandais.
Un choc ? Un… nouveau choc.
Côté francophone, le geste posé par Keulen est perçu comme une « nouvelle agression », intervenant une semaine après le vote (flamand), en commission de la Chambre, pour scinder l'arrondissement de Bxl-Hal-Vilvorde.
Ce vote unilatéral avait conduit MR et CDH à suspendre la négociation de l'Orange bleue. C'est peu dire que l'initiative du ministre VLD achève de compliquer la donne. « Ce n'est pas le geste d'apaisement attendu, a jugé Didier Reynders (MR) jeudi matin. J'ai une autre conception du dialogue ». Joëlle Milquet (CDH) : « C'est une deuxième gifle infligée aux francophones alors que ceux-ci attendaient des gestes pour renouer le dialogue ». Isabelle Durant (Ecolo) s'est dit « fâchée et attristée ». François-Xavier de Donnea (MR) a parlé d'« imbécillité ». Françoise Bertieaux, présidente du MR bruxellois, est indignée : « Que les maïeurs s'exposaient à une sanction administrative pour non-respect des circulaires, c'est une chose. Mais ils étaient dans les conditions légales pour être nommés. La Belgique était connue pour être une démocratie pilote. L'est-elle encore ? »
Olivier Maingain, président du FDF, a fait valoir jeudi midi que les arguments de Keulen étaient « fallacieux » : « Trois instances ont déjà jugé illégales la circulaire Peeters que les trois bourgmestres ont refusé d'appliquer. »
Le FDF note qu'au lieu de nommer les maïeurs et d'ensuite ouvrir une procédure disciplinaire, Keulen a choisi de ne pas les nommer. Motif – selon le FDF : une action disciplinaire aurait abouti devant les chambres bilingues du Conseil d'Etat alors qu'un recours contre le refus de nommer serait traité devant la seule chambre flamande…
Le FDF a décidé de lancer des « initiatives sur le plan national et international ». Quoi ? On n'a pas livré de détail (le FDF veut d'abord en faire part au MR). Mais des exemples ont été cités : des soutiens envers les communes de la périphérie seront organisés à partir des communes bruxelloises (qui le souhaitent) sur les plans culturel, sportif ou social. Ainsi, Woluwe-St-Lambert (dont Maingain est maïeur) distribuera son toute-boîte à Crainhem et Wezembeek.
Le MR, de son côté, a réuni jeudi soir les trois maïeurs ainsi que les responsables du MR bruxellois. « Il s'agissait d'assurer ces bourgmestres de notre soutien, dit Bertieaux. Ensuite, nous avons évoqué les actions à mener. Nos juristes ont été mis à l'action – on analyse les voies de recours. Il faut être prudent. Il ne s'agit pas de bloquer définitivement la situation de ces bourgmestres. »
Ce vendredi, le MR réunit ses parlementaires pour affiner le tir – on saura avec précision les actions qu'il propose pour réparer ce « déni de démocratie. »
Au-delà de ces réactions, éparses, on attendait jeudi une position commune des partis francophones – à l'image de la réplique au vote BHV à la Chambre, mercredi dernier. Elle n'est pas venue. Milquet, Jean-Michel Javaux (Ecolo) et Elio Di Rupo (PS) ont passé la journée à surveiller leur portable, guettant le SMS ou l'appel de Reynders. En vain. Le CDH a fini par sortir un communiqué pour appeler les quatre présidents à se réunir aux fins « d'envisager les suites à donner aux différents éléments nouveaux intervenus depuis la rencontre de mercredi dernier » (après l'incident BHV). Visant, sans le dire, la guerre des chefs (et des ego) entre MR et PS, le communiqué du CDH soulignait « l'importance, plus que jamais, d'une stratégie francophone collective au-delà des clivages ».
Que la guerre couve entre PS et MR, c'est un fait entendu – et ancien. Mais pourquoi ce qui était possible mercredi dernier ne l'était pas hier ? Explication possible : hier matin, à la RTBF, Di Rupo invitait les francophones à se réunir pour établir une triple liste – ce qui est nécessaire pour que les francophones soient respectés, ce qu'il est possible d'accepter et ce qui doit être rejeté.
Un menu trop précis pour que le MR réagisse immédiatement ? « Cela donnerait l'impression que Reynders suit Di Rupo. Impossible, question de fierté », a-t-on analysé au CDH et chez Ecolo.
Reynders compte réunir les partis francophones. Quand ? Ce n'est pas fixé. Et pourquoi pas dès jeudi ? Il a fait valoir, hier soir, qu'il jugeait logique de s'instruire du contact avec les trois maïeurs avant de réunir ses pairs. Pour le reste, il a implicitement admis que le climat dans le camp francophone était tendu : « Je veux d'abord le calme entre les formations francophones ».
Le cadre de Leterme
Négociations à l’arrêt. Le formateur consulte et trace les contours institutionnels de l’Orange bleue en gestation.
Et si les crises à répétition étaient finalement bénéfiques au travail de l’ombre du formateur ? C’est la théorie avancée vendredi par l’éditorialiste du Belang Van Limburg qui relève que, pendant que les formations du Nord et du Sud du pays s’invectivent par-delà la frontière linguistique, Yves Leterme peut vaquer sans la moindre interférence à son travail de fourmi.
On l’a écrit ici. L’homme aux 800.000 voix ne s’est pas retiré dans son Westhoek natal en attendant que reprennent les négociations de l’Orange bleue suspendues depuis le 7 novembre, jour du vote unilatéral des partis flamands en faveur de la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde.
Mais en attendant que le climat communautaire s’adoucisse et la perspective de la mise sur pied d’une commission des sages par les présidents d’Assemblée, le formateur a renoué ses contacts. Non pas de manière officielle, ni en invitant les délégations de chaque parti de l’Orange bleue. Mais en rencontrant chacun des présidents, séparément, en leur soumettant des pistes institutionnelles à greffer dans l’accord gouvernemental.
Yves Leterme n’a donc pas l’intention d’attendre le résultat des remue-méninges des membres du futur comité des sages en restant sur la touche. Le formateur tente déjà d’élaborer un cadre et un agenda des avancées souhaitées de la prochaine réforme de l’Etat dans le futur accord gouvernemental.
La mission est d’autant plus délicate qu’en théorie, les négociations sont au point mort : les leaders francophones de l’Orange bleue lient désormais leur reprise à trois conditions majeures : une « solution » pour les bourgmestres non nommés de la périphérie, un engagement à trouver des solutions négociées dans le dossier BHV et l’assurance que plus jamais, une prise de décision de représentants d’une communauté n’exclue ceux de l’autre communauté (lire page 4).
La discrétion des contacts noués entre le formateur et les présidents de partis sera-t-elle suffisante pour éviter qu’après 160 jours de crise, l’Orange bleue reste désespérément coincée à la case départ ?
Mais on peut aussi s’interroger en cas de succès : fallait-il deux gifles aussi humiliantes aux francophones pour en arriver là ?
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