Le patrimoine de Sarkozy, publié au «Journal officiel»
Le nouvel élu livre la liste de ses biens
Le patrimoine de Sarkozy, publié au «Journal officiel», s'élève à plus de deux millions d'euros.
Contraint et forcé, Nicolas Sarkozy a finalement rendu public son patrimoine personnel. Après avoir obstinément refusé de le dévoiler durant la campagne présidentielle, son élection à la présidence de la République l'a conduit à le déclarer auprès du Conseil constitutionnel, lequel devait le publier illico au Journal officiel comme l'exige le code électoral. Vendredi en fin d'après-midi, au terme d'une journée de suspens, le JO étant victime d'un bug informatique, le chiffrage a enfin été rendu public.
Timbres. Selon ses propres déclarations, Nicolas Sarkozy dispose, à titre principal, de deux contrats d'assurance-vie d'un montant total de deux millions d'euros. La somme paraît correspondre à la revente, l'automne dernier, de son appartement à Neuilly pour 1,9 million d'euros. Il détient également près de 100 000 euros sur des comptes bancaires ou d'épargne (PEL, Codevi et compte-courant), dont certains au nom de ses enfants. Et c'est à peu près tout... Sa collection de timbres (exonérés de l'ISF au même titre que les oeuvres d'art), dont il fait grand cas dans ses notices du Who's who ? A la rubrique «collections, objet d'art, bijoux, pierres précieuses», Sarkozy répond «néant». Au chapitre «autres biens», toujours rien. Mais le nouveau Président prend soin de mentionner une Mini Austin (immatriculée en 2006) d'une valeur de 15 000 euros.
Cette déclaration de patrimoine s'achève par la mention habituelle : «Je certifie sur l'honneur l'exactitude et la sincérité des présentes déclarations.» Soit. Au titre de ses actifs professionnels, il mentionne les 34 % du cabinet d'avocats d'affaires qu'il a créé en 2002 avec Me Arnaud Claude dont la clientèle est constituée des groupes Bouygues, Vivendi et autres promoteurs immobiliers. Ministre puis président de la République, Sarkozy n'a plus le droit d'endosser la robe, ce qui ne l'empêche pas d'encaisser les bénéfices d'un cabinet portant son nom. Pudiquement, il ne donne aucune valeur à sa participation dans la société «Nicolas Sarkozy-Arnaud Claude». Selon nos informations, ses 34 % au capital pèsent aujourd'hui un minimum de 125 000 euros outre les dividendes qu'il a perçus annuellement, 60 000 euros à ce jour.
Plus-value. Au «passif», Nicolas Sarkozy mentionne un prêt de 1,1 million d'euros, dont il est «caution à titre personnel pour 34 %» . Cette partie-là de sa déclaration pourrait poser problème, dans la mesure où un tiers de cette somme empruntée par son cabinet d'avocat a déjà été remboursé. Surtout, cet emprunt n'avait d'autres finalité que d'assurer une plus-value à Mes Claude et Sarkozy d'un même montant, dont on peine à retrouver la trace dans sa déclaration de patrimoine.
Compte tenu de ses importants revenus annuels (ministre, président de Conseil général, auteur de livres à succès), le patrimoine déclaré de Nicolas Sarkozy paraît bien faible. En 2002, ses seuls revenus frôlaient le seuil d'assujettissement à l'ISF (750 000 euros), sans même prendre en compte la valeur de son appartement à Neuilly. Il faut en déduire qu'il dépense beaucoup. Mais avec un patrimoine largement supérieur à deux millions d'euros, il est difficilement compréhensible que Sarkozy n'ait payé l'ISF qu'à partir de 2006.
«Yacht Story», première
Donc, il aura fallu vingt ans. Vingt ans de télévision privée en France, pour que l'esthétique, les valeurs, les mythologies, les vedettes, le mode d'effraction de la télévision privée finissent de se confondre avec ceux de la politique, s'installent au sommet de l'Etat, et inaugurent un «Yacht Story» inattendu et discordant (palace mais jean, yacht de soixante mètres mais karaoké), dont l'effet de souffle n'est pas sans rappeler l'apparition du Loft Story de M6.
Le casting ? Il n'y a que l'embarras du choix. Voyez Arthur (ancien producteur du Loft), Steevy (ancien candidat du Loft), Bigard, Clavier, Reno, Villeneuve, à côté du président élu, sur ses tribunes, dans ses meetings, prêts à tout pour être dans le cadre : ce sont les visages des émissions qui font frissonner, des films familiaux du dimanche soir, des concerts-événements au Stade de France. Rien que du majoritaire, de l'écrasant, du fracasseur de records, de l'installé au sommet du podium, de l'exceptionnel. Voyez cette faune se mêler aux futurs ministres, comme sur les plateaux des samedis soirs de TF1. Voyez-la, dans la nouvelle hiérarchie enfin assumée sans complexes, écraser les vieux politiques rasoirs et poussiéreux. Voyez Fabius, par exemple, au soir de la défaite de Royal, interrompu sur TF1 parce que nous avons Johnny à l'instant même, chers téléspectateurs, il sort du Fouquet's, et nous n'allons tout de même pas rater sa première réaction ! (Alors qu'aucune chaîne ne diffuse en direct la réaction de François Bayrou, arrivé troisième à la présidentielle. Retourne donc dans ton Béarn, Bayrou !)
Les mythologies ? Elles se bousculent. Le petit garçon triste des beaux quartiers ( «Je suis parti de rien, j'étais au fond de la salle, rien ne m'a été donné» ) devenu ce chef exigeant de «la firme», qui recrute les meilleurs, paie grassement, et n'admet pas l'erreur. Les yachts, jets privés, limousines scintillantes, copains milliardaires et grands hôtels, et jusqu'à cette épouse fantasque qui s'épuise à ressembler à Jackie : c'est toute une imagerie néokennedyenne de la presse de papier glacé que convoquent les premiers jours du président élu.
Le langage ? Ecoutez cette rhétorique unique qu'il va bien falloir apprendre à déchiffrer, ce mélange d'émotion dans la confidence ( «j'ai changé» ), de compassion (je serai toujours aux côtés des «accidentés de la vie» ), d'effronterie ( «je ne m'excuserai pas» ), d'impudeur, d'insolence et de sincérité provocante ( «pas seulement quand je me rase» ). Ecoutez cette voix de tueur et d'enfant étonné.
Les valeurs ? La télé, là encore. La juste récompense des efforts et du travail (TF1 et sa Star Ac). La vitupération de l'impôt (Pernaut et son «Combien ça coûte ?» ). La plus extrême sévérité s'appliquant aux tricheries des humbles (Villeneuve et ses recyclages périodiques de la «France qui triche» ) plutôt qu'à l'incivisme des autres (Johnny sanctifié, et rentrant triomphalement en France sur le pavois du bouclier fiscal). Le culte du succès pour le succès, et de l'audience comme fin unique (les pages de pub annuelles dans la presse, pour célébrer les plus grosses audiences).
Reste l'essentiel : le mode d'effraction du sarkozysme présidentiel, la manière dont tout ce cortège s'impose dans les salons et dans les têtes les plus réfractaires. Cette technique, c'est la transgression. Le sarkozysme s'impose par l'effroi et le choc, aussitôt autosoulignés par le sauvageon. «Oui, j'ose parler de nation !» «Oui, j'ose dire qu'un voyou est un voyou !» «Oui, j'ose le palace, le jet privé et le yacht !» La transgression «décomplexée», la rupture avec la «bienséance» habituelle. Toute réserve est condamnée d'avance : la transgression se nourrit de l'approbation populaire contre l'effroi des élites. Qu'on se souvienne de l'apparition foudroyante du Loft et du haut-le-coeur polyphonique devant tant de vulgarité affichée : c'est ce haut-le-coeur qui assura le succès durable de l'émission. La transgression a besoin de cet effroi, de la levée de boucliers des vertueux. Aussitôt qu'elle a allumé l'incendie, regardez-la se parer de son innocence effarouchée. Pourquoi devrais-je m'interdire de parler de nation, d'identité nationale ? Pourquoi devrais-je m'interdire d'appeler un voyou un voyou, et de dormir au Fouquet's ? Pourquoi devrais-je m'interdire de me reposer quelques jours avec ma famille dans mon yacht avec karaoké ? La transgression qui ne semble avoir pour but que de faire la une. Hier, des médias nationaux, et demain, si possible, celle de Time et de CNN.
Sarkozy a-t-il construit sa mythologie en regardant TF1 ? Ou bien est-ce TF1 qui, en vingt ans, a préparé le public à l'avènement de Sarkozy ? Insoluble question de l'oeuf et de la poule. Peu importe. Le spectacle est désormais à l'Elysée, comme le pouvoir était à la télé. Les deux lieux se confondent, et sont interchangeables.
PS : Pendant ces longues journées d'installation de la nouvelle mythologie se faufila à la fin des JT une mince silhouette. Laure Manaudou filait en Italie, à l'anglaise, vivre auprès de l'homme qu'elle aime. Nul ne connaît les sympathies politiques de Laure Manaudou. Mais cette évasion amoureuse de la championne, même muette (ou parce que muette ?) apparaissait déjà comme une sorte de dissidence.
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