28 janvier 2007

Les titans d'Eole

Au pied des Pyrénées espagnoles, un laboratoire unique au monde se prépare à tester les éoliennes de demain : elles s'élèveront à plus de deux cents mètres et travailleront offshore.



Au milieu des grues et des pelleteuses, il faut faire un effort d'imagination pour voir dans ce hangar industriel grand comme un terrain de football le lieu où l'on viendra bientôt, du monde entier, tester les éoliennes de demain. Pourtant tout est prêt, ou presque, pour accueillir là, au pied des Pyrénées aragonaises, leurs pales de géant. Non pas celles qui mesurent dans les vingt mètres, comme on les faisait encore à la fin des années 90. Ni celles d'aujourd'hui qui en font le double. Cette nef va d'ici peu recevoir des prototypes de pales en fibre de verre ou de carbone longues de 75 à100 mètres et larges de plus de 4 mètres. Elles équiperont des éoliennes aux mâts et à l'envergure gigantesques. Des colosses qui devraient permettre à l'homme de capter la puissance d'Eole et ses tourbillons de vents.

Un temple de l'énergie renouvelable
Il ne souffle cependant, dans ce bâtiment couvert, pas le moindre courant d'air. Deux blocs en béton armé, posés parallèlement à une extrémité du hangar, attendent leur heure. Chacun a été perforé pour qu'y soient fixés, grâce à des barres en acier, des prototypes de pales. Il s'agira de vérifier leur fiabilité en les soumettant aux forces qu'ils subiront en condition réelle, une fois dans un parc éolien. Celui de droite servira à des tests dits «statiques» : la pale sera soumise, en huit points de charge, à un poids phénoménal de l'ordre de 5 000 tonnes. Sur le bloc de gauche, la pale ­ d'au moins 75 mètres, rappelons-le ­ subira un «examen dynamique». A la manière d'un immense javelot pesant entre 5 et 12 tonnes, sa pointe oscillera de haut en bas jusqu'à trois millions de fois.
«Ce dispositif de tests peut paraître exagéré, mais on doit éliminer tout risque de chute et de casse. Les fabricants qui viendront ici tester leurs prototypes souhaitent en outre que les pales soient brisées à l'issue de ces essais. Cela leur permettra de connaître la marge de solidité des prototypes qui ont subi les tests.» Cheveux bouclés, air décontracté, Imanol Lopez est un jeune ingénieur à la tête du département vedette du Centre national d'Energie renouvelable (Cener, lire encadré) : le laboratoire de l'énergie éolienne, installé près de Sangüesa, en Navarre. Le site qu'il dirige commencera à fonctionner dès l'été et tournera à plein rendements à la fin 2007 : un «laboratoire d'éoliennes», le plus grand et le plus complet du monde, ­ le plus cher aussi, doté par Madrid de 45 millions d'euros. Destiné à tester les aérogénérateurs des futurs parcs éoliens, ce temple de l'énergie renouvelable comprend un dédale de six nefs consacrées chacune à l'évaluation d'une propriété particulière de l'éolienne ­ ici les essais électriques, là mécaniques, ailleurs aérodynamiques.
Une forte volonté politique
Nulle surprise si ce labo de pointe qui comptera à terme une centaine de salariés a poussé en terre espagnole. Le pays de Don Quichotte luttant contre des moulins à vents est le pays européen au plus fort potentiel éolien, du fait de son exposition au vent. Selon une étude publiée en avril dernier par Ernst & Young classant les pays les plus attractifs pour les industriels de l'énergie renouvelable, l'Espagne arrive là encore en tête des pays européens. La recette : une forte volonté politique. Les autorités, qui injecteront 24 milliards d'euros dans le secteur d'ici à 2050, ont mis en place un système de «primes éoliennes» faisant de l'exploitation du vent une aventure juteuse. Résultat : au cours des dernières années, de la Galice à la Navarre en passant par la Castille, le pays s'est couvert de parcs éoliens qui sont parmi les plus vastes d'Europe. Les fabricants pullulent et les groupes électriques investissent massivement dans la filière, à l'image d'Iberdrola dont la filiale éolienne, Gamesa, détient 15 % du marché mondial, seulement devancé par le Danois Vestas et l'Allemand Enercom.
L'Espagne a, il est vrai, tout intérêt à doper le «renouvelable». Alors que le développement du nucléaire y est paralysé depuis 20 ans, le pays n'est relié au réseau électrique européen que par la France, ce qui lui vaut d'être qualifié d' «île énergétique». Résultat, il est l'un des plus mauvais élèves du protocole de Kyoto avec des émissions de C02 qui ont augmenté de 50 % au cours des quinze dernières années. Le gouvernement promet de réduire de 37% ses émissions d'ici à 2012. Le problème est que le territoire est saturé d'éoliennes. La capacité installée est de 11 gigawatts ce qui représente 6% de la consommation énergétique . «On pourrait facilement quadrupler cette capacité, mais un plafond a été fixé à 20 GW par les autorités du fait du caractère encore aléatoire et donc difficile à gérer de l'énergie éolienne», poursuit Imanol Lopez. «Ces limites sont cependant notre force, dit Juan Ormazabal, directeur général du Cener. Elles nous obligent à l'excellence technologique.» Le laboratoire de Sangüesa a été créé pour relever ce défi. Son objectif est d'attirer en Espagne les meilleures entreprises éoliennes du monde, d'en tirer une expertise sans équivalent qui profitera au passage à améliorer les performances du parc espagnol, et d'exporter son savoir-faire, de la Chine à l'Afrique.
Réduire de moitié le prix du kilowatt
Cette ambition internationale explique la taille des installations de la Navarre. Le marché éolien promet de se développer surtout en offshore ­ comme sur la mer d'Irlande. Or, dans ce secteur, les coûts d'installation de chaque éolienne sont tels qu'ils obligent à concevoir des aérogénérateurs hyperperformants, ce qui rime, pour l'instant, avec le gigantisme. Il est vrai qu'en mer les moulins à vent se voient moins... D'où la conception de prototypes plus grands encore que ceux fonctionnant actuellement au large du Danemark, avec des pales de 61,5 mètres de longueur et d'une puissance de 5 Mégawatts ­contre 1,5 pour une éolienne terrestre. La recherche d'éolienne plus productive concerne également le parc terrestre car «en Espagne comme ailleurs, les subventions soutenant la filière vont peu à peu s'amenuiser tandis que les espaces disponibles pour les installer se réduisent, souligne Javier Ruiz, du département recherche et développement du Cener. Le secteur éolien doit donc de plus en plus penser en terme d'efficacité» . Le coût actuel du kilowatt-minute oscille entre 4 et 6 centimes d'euro. L'objectif est de le réduire de moitié .
Pour doper les performances d'un aérogénérateur, il ne suffira évidemment pas d'augmenter la taille de ses pales. Il faut aussi chercher à améliorer leur efficacité aérodynamique et mécanique. Sur le site de Sangüesa, Imanol Lopez montre l'emplacement d'un prochain «tunnel à vent», un hangar hermétique où il s'agira de déterminer quel type de pale (forme, profil, matériau) répond le mieux aux souffles. Juste à côté, une autre vaste nef a été baptisée le «train de puissance»: un dispositif ultrasophistiqué et un véritable pari financier, ­même si le planning des clients est déjà bouclé jusqu'à fin 2008. On y testera la fiabilité du multiplicateur de l'éolienne (qui supporte le rotor tournant), de la génératrice (qui transforme l'énergie mécanique en électrique) et du transformateur (qui augmente la tension du courant électrique produit de 690 à 20000 Volts). Dans le cadre du projet européen «Up-Wind», on travaille ici à créer des aérogénérateurs capables de produire 10 Mégawatts, six fois plus que ceux de la plupart des parcs. Un défi: «Chaque pièce d'un aérogénérateur est fragile, souligne Imanol Lopez. Et on ne maîtrise pas tous les paramètres d'une énergie aussi complexe et capricieuse que le vent. On va donc de plus en plus vers une harmonisation des matériaux et des techniques.» A quelques kilomètres à l'est du labo de Sangüesa, un parc éolien expérimental où les fabricants pourront tester leur technologie est en préparation. Il sera, nul n'en doute, la vitrine de l'éolien dernier cri.

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