25 avril 2007

Jeunes en danger

Les magistrats de la jeunesse francophones lancent un cri d'alarme.

Les politiques ne leur donnent pas les moyens d'appliquer la loi de protection de la jeunesse. Le constat dressé, cinglant, interpelle.
A la veille des élections législatives du 10 juin, le signal lancé mardi par les magistrats de la jeunesse francophones est alarmant et le constat qu'ils dressent, cinglant.
"Nous sommes de manière récurrente dans l'incapacité réelle d'exercer concrètement notre profession et d'appliquer la loi au profit des enfants, des jeunes et des familles", rappelle le manifeste de l'Union francophone des magistrats de la jeunesse (UFMJ), lu par son président Eric Janssens dans une salle d'audience comble.
Mirages et illusions
Si elle salue les principes de la loi, récemment réformée, sur la protection de la jeunesse, l'UFMJ déplore l'impossibilité de sa mise en oeuvre concrète, faute de moyens suffisants et de réponses de terrain.
Dans les cas de fugues à répétition sans délit, de prostitution, de toxicomanie lourde, d'infractions itinérantes, pour les mineurs étrangers non accompagnés ou souffrant de problèmes psychiatriques, par exemple, les réponses concrètes sont insuffisantes, voire totalement absentes, ce qui constitue "sans aucun doute la première cause d'insécurité de notre société", a-t-il martelé.
"Un enfant aidé efficacement est un délinquant de moins", a renchéri la juge Francine Biron, vice-présidente de l'UFMJ. Si rien n'est fait, "nous nous rendrions complices de non-assistance à personne en danger", a-t-elle ajouté, estimant que les enfants et l'éducation doivent être prioritaires dans le fonctionnement démocratique.
Pour les mineurs auteurs d'infractions, la nouvelle loi offre au juge de la jeunesse un large panel de mesures qui, pour la plupart, ne sont toutefois que "mirages et illusions", a relevé Vincent Macq, substitut du procureur du Roi au parquet de Namur.
Ainsi, le service de protection judiciaire est totalement saturé, les services psychologiques ou psychiatriques n'existent pas en nombre suffisant, les services résidentiels compétents en matière d'alcoolisme ou de toxicomanie n'existent pas pour les mineurs, les Institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ) manquent de places, etc.
Quelques solutions
En outre, la concertation et le stage parental ne peuvent à ce jour être ordonnés, faute de services susceptibles de les mettre en oeuvre. "La loi réformée a, dans son principe, énoncé l'idée que, pour chaque jeune, le juge doit être en mesure de prendre la décision la plus adéquate. La réalité nous démontre que le politique ne s'est pas doté des moyens matériels suffisants pour mettre en oeuvre ce texte ambitieux", a déploré M. Macq.
Comme solutions, le manifeste de l'UFMJ préconise un travail de prévention en amont (favoriser la "bien-traitance" et les apprentissages fondamentaux et lutter contre le décrochage scolaire), une aide à la jeunesse efficace, la sauvegarde du modèle éducatif, l'accompagnement post-institutionnel, le sport-aventure et l'aide sociale ou humanitaire, qui permettent de restaurer l'estime de soi. (D'après Belga)

"Simplement pouvoir appliquer la loi"

Services surchargés, structures dépassées ou inadéquates... "On en est réduit à bricoler des solutions bancales." Tour de prétoires.
A chaque fois, c'est une petite bombe à retardement." Sandrine Dehalu est substitut du parquet de Mons. Dans son agenda du jour, entre deux audiences et réunions, il y a un dossier d'enlèvement international. Mais elle a trouvé malgré tout du temps pour rejoindre ses collègues présents en masse au palais de justice. Comme eux, elle s'astreint à déminer ce qu'elle peut. Avec ce problème récurrent : la prise en charge. "On travaille de plus en plus à l'envers. A la limite, avant de se lancer, on téléphone au juge pour savoir quelles sont les possibilités." Sa collègue de Nivelles acquiesce : "Il m'est arrivé de mettre mon réveil à 6h pour être certaine d'avoir de la place à Everberg, parce que si je téléphone deux heures plus tard, tout sera complet". Voilà pour les cas les plus "évidents". Il y a tous les autres. "Que faire avec les toxicomanes ? Il n'existe pas de prise en charge véritablement adéquate. Soit c'est le séjour en IPPJ, mais qui n'est pas prévu pour cela. Soit c'est le passage par un centre spécialisé de désintoxication mais qui reste ouvert." Il ne s'agit pas forcément de drogues dures. "Ceux qui sont accros au cannabis sont souvent en décrochage scolaire. Quand on fume 10 à 15 joints par jour, physiquement, on ne peut plus suivre les cours." Il y a encore toutes ces histoires de jeunes qui ne sont pas tant des dangers que en danger. "Ces jeunes qui vivent dans des familles problématiques, et dont on ne sait que faire, parce qu'il n'y a pas de place pour les accueillir." Il n'y a alors pas souvent d'autres choix que de les renvoyer chez eux.
S. par exemple a 16 ans. "Le père est absent, la mère dépassée", explique Jacques Boucquey, président du tribunal de la jeunesse de Bruxelles. L'adolescente est difficile, et se retrouve finalement accueillie dans un service d'accueil d'urgence, avant de fuguer. L'errance dure trois mois. A son retour, elle demande à être placée. "En Flandres, ce genre de cas peut bénéficier d'une structure comme les IPPJ. Pas du côté francophone. Donc on est "obligé" de trouver un acte de délinquance." Par "chance", S. avait frappé sa mère... Ayant trouvé une place en IPPJ, elle prépare un projet de mise en autonomie.
"Dans 90 pc des cas, on sait ce qu'il faut faire avec les jeunes, explique Eric Janssens, président de l'Union francophone des magistrats de la jeunesse. Ce que l'on demande c'est simplement de pouvoir appliquer la loi."

"La Justice est sortie du délabrement"

La ministre socialiste, que les magistrats craignaient, est satisfaite du travail accompli.La mission est inachevée : manque notamment à son bilan, le tribunal des familles.
Alexis Haulot
Entretien
Laurette Onkelinx termine son bail à la Justice. Quatre ans qui n'ont pas été, loin de là !, un long fleuve tranquille. "Avec toute l'équipe, j'ai vraiment eu l'impression d'avoir dû escalader l'Himalaya. Quand j'ai prêté serment, il y avait un constat général de délabrement avancé. Il y avait une rupture de dialogue. Tous les professionnels de la Justice étaient en manifestation."
Et aujourd'hui ?
Je ne dis pas que tout est bien dans le meilleur des mondes, mais on a relancé les dialogues de la Justice. Une série de réformes étaient attendues depuis longtemps. Il a fallu gérer, créer, innover, avec une énergie qui défie toute concurrence. On a dû être tout le temps sur le terrain. Mais on a pu faire ce que personne n'avait fait auparavant, et je le dis sans forfanterie. C'est une mission difficile mais passionnante. Quand je suis arrivée, un magistrat porte-parole s'était exprimé en disant : c'est la catastrophe, une socialiste arrive à la Justice. Je ne l'ai jamais oublié...
Les faits ne vous ont pas épargnée, les opposants politiques non plus. Dont un en particulier : le député CD&V Tony Van Parys, ex-ministre de la Justice...
On l'a décrit comme un spécialiste de la Justice alors que c'est un homme qui a avant tout une vision sécuritaire et à court terme. Le divorce, les familles... ce n'est pas son dada. La Justice ne l'intéresse qu'au niveau de la politique criminelle, et il ne prend l'avis et la défense que du parquet, et au parquet, des plus sécuritaires.
Les magistrats ont-ils joué le jeu ?
Dans la grande majorité, ce sont de grands professionnels. Mais pas toujours : tout le monde n'a pas agi correctement.
A qui pensez-vous ?
Dans l'affaire Hoxha (ce truand albanais libéré en vue d'expulsion, qui aurait été vu à Anvers en septembre, NdlR), certains ont manifestement privilégié leur alliance au CD&V sur leur mission de magistrats impartiaux et indépendants. Ce fut le dossier le plus pénible de la législature. Je n'ai pas accepté que certains aient violé le secret professionnel. Au niveau politique aussi, cela a été d'une incorrection totale.
Y compris au sein de la majorité. Vous vous êtes sentie lâchée ?
Pas par la majorité mais au niveau d'un parti, le VLD, oui. Pour moi, cela dépassait cette affaire-là. En Flandre, on dit souvent que ce gouvernement est trop socialiste, trop de gauche. On n'entend que cela au Parlement. Le VLD l'entend aussi, constamment...
Etes-vous prête, malgré tout, à repartir pour un tour ?
Ça, je n'en sais rien. Sincèrement, vous pouvez me torturer, je ne dis jamais ce genre de choses pour l'avenir. Il faut d'abord qu'on réalise un score important aux élections. Et puis on verra. Mais j'ai la conviction que le suivant ou la suivante, repartira sur des bases plus sereines.
En quoi avez-vous mené une politique de gauche ?
Le PS a réussi à arracher un refinancement exceptionnel. On a non seulement obtenu une augmentation du budget de la Justice (+34 pc !), mais aussi des soins de santé en prison, de l'argent pour les internés, un plan pluriannuel au niveau de la Régie des bâtiments. Je revendique aussi d'avoir ouvert un dialogue sur tous les dossiers, y compris les plus difficiles, comme le terrorisme. J'en suis assez fière et je le mets dans une politique de gauche, qui n'est pas autoritaire. Comme choix de gauche, on peut aussi citer le doublement du budget de l'aide juridique, le premier conseil gratuit pour tous, le contrat d'assurance juridique, le divorce sans faute, la lutte contre les violences conjugales, homophobes, racistes...
La lutte contre le terrorisme, c'est aussi un choix de gauche ?
J'ai fait beaucoup contre le terrorisme parce que je suis une femme responsable. Se dire qu'on n'a pas besoin en Belgique de loi antiterroriste, c'est de la folie furieuse. J'ai essayé de faire un équilibre entre la protection de la société et celle des droits et libertés individuels. Y suis-je arrivée ? On verra. La Cour d'Arbitrage, saisie de recours, le dira. J'assume.
Avez-vous réussi à faire reculer l'arriéré judiciaire ?
Aux trois quarts oui. La situation s'est améliorée à peu près partout : il n'y a quasi plus d'arriéré à Anvers, ni au parquet et au tribunal de première instance de Bruxelles ni à Liège. Mais il reste des points noirs, comme la cour d'appel de Bruxelles, où il y a un problème d'absence chronique et une augmentation de dossiers de plus en plus complexes. Autre point noir : les tribunaux de police. A la prochaine législature, il faudra faire un effort massif à ce niveau.
Et les prisons ?
C'est un secteur dont beaucoup de ministres ne s'occupent pas : améliorer l'état des prisons et la situation des détenus, ça ne fait pas gagner une voix ! Van Parys s'est davantage préoccupé des lustres des palais de justice que des établissements pénitentiaires. Il a fallu assumer par la suite ce qui tombait en ruine. J'ai réinvesti massivement, y compris dans la formation. En 4 ans, on a augmenté le personnel dans les prisons de plus de 1 100 équivalents temps plein. Les prisons, c'est un dossier extrêmement ingrat : on y travaille constamment, et puis il y a une évasion spectaculaire, et c'est comme si vous n'aviez rien fait !
Y a-t-il des réformes que vous n'avez pas eu l'occasion de mettre en oeuvre, par manque de temps ou opposition de vos partenaires ?
Oui. Je regrette de ne pas avoir eu le temps de créer un tribunal de la famille : c'est dommage de ne pas avoir une juridiction de référence où on rassemblerait toutes les compétences. Et j'ai été bloquée quand j'ai voulu imposer la transparence des honoraires des avocats. Les libéraux n'en ont pas voulu. Etonnant, hein ? Pourtant, c'est une simple protection du consommateur. Au magasin ou chez le médecin, vous savez combien vous allez payer. Chez les avocats, non... Je regrette aussi qu'on n'ait pas pu faire plus pour le langage de la Justice : les magistrats ont du mal à laisser tomber les "ouï-dire". C'est leur culture, leurs études. Mais c'est difficile d'imposer un changement de langage par une loi.

"Pauvreté", trop souvent synonyme de "danger"


Un dialogue permanent s'est noué entre familles et acteurs de l'aide à la jeunesse.

Depuis 10 ans, un dialogue permanent s'est noué entre des familles qui vivent la grande pauvreté et des professionnels de l'aide à la jeunesse. De nombreux parents en situation de précarité sont en contact avec les services de l'aide à la jeunesse à cause des difficultés liées à la misère et du regard critique de la société qui fait trop souvent rimer "grande pauvreté" avec "danger".

Conséquence : l'angoisse du placement des enfants est chevillée au coeur des familles les plus pauvres, ce qui rend difficile la communication avec les professionnels. Créé dans la foulée du Rapport général sur la pauvreté, le groupe Agora réunit des représentants d'ATD Quart Monde et Luttes et Solidarités Travail, des conseillers et directeurs de l'Aide à la jeunesse et autres travailleurs sociaux. Au fil de rencontres mensuelles, cette expérience novatrice veut rendre du pouvoir aux parents pour faire connaître leurs difficultés et leur permet d'exprimer leurs critiques et espoirs en étant reconnus comme acteurs responsables. Elles ont donné lieu à la rédaction en commun d'une brochure (1).


(1) "Le premier contact entre une famille et un service d'aide à la jeunesse", Direction générale de l'Aide à la jeunesse, Bd Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles.

Laurette Onkelinx veut refédéraliser

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