Bruxelles à l'heure de la maturité ?
MAJ 26/04/07
Bruxelles, la vache à lait du pays
Le rayonnement de la capitale dope l'économie au-delà de ses frontières, mais ses finances sont plombées.
Les finances communales plongent dans le rouge de 43 millions en 2006 ? La Région met la main au portefeuille à hauteur de 30 millions par an pour boucher le trou. La Commission communautaire française (Cocof) accuse un déficit structurel de 17,5 millions ? C'est encore la Région qui est appelée à la rescousse pour assurer le maintien d'une politique sociale digne de ce nom. Un dérapage de plus de 20 millions est annoncé pour le réseau hospitalier public Iris ? C'est toujours la Région qui devra éponger pour préserver le droit fondamental à la médecine pour tous.
L'addition est lourde et la liste n'est pourtant pas exhaustive. Mais jusqu'où la Région bruxelloise pourra-t-elle supporter les charges financières qui pèsent sur elle ?
Dans la dernière livraison du Courrier hebdomadaire du Crisp, consacrée à la situation budgétaire de la Région, Pol Zimmer souligne « le sous-financement structurel de Région de Bruxelles-Capitale. Le régime de financement des Régions, écrit-il, ne prend pas en compte l'ensemble de la multipositionnalité institutionnelle de la Région bruxelloise, y compris comme ville-Région. A ce titre, et comme plus grand centre urbain du pays, elle joue un rôle socio-économique et administratif dont bénéficient les deux autres Régions ».
Il ne devrait guère se trouver de responsables politiques bruxellois pour réfuter cette analyse. Et certainement pas le ministre-président Charles Picqué (PS). Pour lui, Bruxelles doit rencontrer deux grandes préoccupations : « L'internationalisation bien opportune de la capitale de la Belgique et donc les dépenses que ça suppose. Et, deuxièmement, la démonstration d'une politique de la ville harmonieuse eu égard à la spécificité des grandes villes en général, mais spécialement de Bruxelles qui est par exemple l'une des plus multiculturelles d'Europe et du monde ».
Pour Charles Picqué, Bruxelles est contrainte au grand écart permanent : « Il faut à la fois qu'on puisse développer des politiques urbanistiques, sociales, socioculturelles destinées à gérer la ville des grands contrastes et de la grande diversité multiculturelle et, en même temps, il faut disposer d'un bon niveau d'infrastructures, d'équipements qui assurent à la Région de Bruxelles d'être concurrentielle avec les autres grandes villes d'Europe, dans l'intérêt même de Bruxelles, mais aussi de la Belgique ».
Pour le ministre-président bruxellois, cela tient en effet de l'évidence : « La dernière étude de l'UCL sur la métropolisation de l'économie a bien démontré que la capitale économique de la Flandre et de la Wallonie, c'est Bruxelles ». Sous-entendu : ergoter, côté flamand et/ou wallon sur l'éventuel refinancement de Bruxelles lors des négociations institutionnelles qui ne manqueront pas de s'engager après les élections du 10 juin, reviendrait à s'autopénaliser pour les deux autres Régions.
« Il ne faudrait pas que Bruxelles soit dans l'incapacité, alors qu'elle est le levier du développement du Brabant flamand et du Brabant wallon, de s'aligner sur les efforts que pourraient faire la Région wallonne ou la Région flamande surtout, en matière notamment de fiscalité, d'investissements, d'infrastructures, etc. »
Selon Picqué, il est inconcevable que l'hinterland bruxellois puisse assumer l'internationalisation du coeur du pays en laissant de côté le développement des 19 communes. D'où sa crainte d'un dumping fiscal entre les Régions et son cortège de délocalisations d'activités et de populations en périphérie. « Ce pourrait apparaître comme un gain pour le Brabant flamand et le Brabant wallon, mais ce ne serait qu'un gain de courte durée parce que, ce qui fait l'attirance des Brabants, c'est Bruxelles. Ce serait tuer la poule aux oeufs d'or que représente Bruxelles pour la Belgique. On ne viendra pas à Diegem ou à Wavre parce que c'est près de Bruxelles si Bruxelles connaît une régression importante en termes d'attractivité internationale par défaut d'investissements ».
Poursuivant dans sa logique, le ministre-président se veut serein : « Si la Flandre et la Wallonie sont demanderesses que Bruxelles reste une grande capitale internationale dans leur intérêt, il faut la financer. Il ne faut pas se mettre dans une situation de mendiant et de demandeur, il faut se mettre dans la situation de quelqu'un qui en appelle au bons sens et démontre en plus qu'il ne jette pas l'argent par les fenêtres ».
Dernier écueil : la tentation des deux autres Régions de s'immiscer dans la gestion de Bruxelles. Charles Picqué se braque : « L'idée qu'un grand frère flamand et un grand frère wallon travaillent au bonheur des Bruxellois, l'histoire nous démontre que ce n'est pas évident. Je ne crois pas qu'on gérera bien cette ville si ses habitants ne sont pas à la manoeuvre ».
A 18 ans, la Région bruxelloise entend désormais montrer qu'elle n'a pas seulement atteint l'âge de la majorité, mais aussi celui de la maturité.
« Capables de travailler main dans la main »
L es oreilles de la Ville de Bruxelles auraient-elles tendance à siffler ces derniers jours ? Interrogés sur l'articulation Région-communes et sur l'éventuelle nécessité de redistribuer les cartes territoriales, plusieurs députés ont en tout cas pointé du doigt l'aspect massif voire aberrant de la Ville de Bruxelles (Le Soir de mardi).
« Un monstre qui s'étend de l'avenue Roosevelt à Neder-over-Heembeek, lançait la ministre de l'Environnement (Ecolo) Evelyne Huytebroeck « Est-ce logique que la Ville coupe encore aujourd'hui Ixelles en deux via l'avenue Louise, tout cela parce qu'en son temps, le roi Léopold II voulait relier son palais au Bois de la Cambre ? », s'interrogeait de son côté le député (MR) Vincent De Wolf.
Dès le lendemain, toujours dans nos colonnes, le ministre-président Charles Picqué (PS) y allait de son commentaire. « Il est indispensable de signer avec la Ville un protocole de collaboration de manière à définir des objectifs communs. Sinon, il va y avoir des craquements et on va donner des armes aux ennemis de Bruxelles qui vont trouver une démonstration qu'il faut faire disparaître les communes. »
En ligne de mire, les stratégies en termes d'image vers l'étranger, d'équipement ou de revalorisation d'espaces publics. « L'absence de plan de convergences pourrait poser problème. Mais nous n'en sommes pas là. »
Rappel à l'ordre ? « Pas du tout répond-on au cabinet du bourgmestre de la Ville Freddy Thielemans (PS). Des rencontres ont déjà eu lieu et nous sommes proches d'un accord, il s'agit juste aujourd'hui d'une question d'agenda. » Quant au bourgmestre lui-même, il indique que l'entente avec le ministre-président est totale. « Charles et moi sommes capables de travailler main dans la main comme nous le faisons déjà régulièrement, notamment sur des événements à dimension économique. »
Pour Freddy Thielemans, le message de Charles Picqué sur l'articulation Région-Ville de Bruxelles s'adresse aussi et surtout à un troisième interlocuteur. « En soulignant que la Ville de Bruxelles a un poids particulier au sein de la Région, le ministre-président s'adresse aussi à la Flandre. »
Bruxelles à l'heure des comptes
U ne pause, un peu de concentration. Imaginez un matin à Bruxelles dans, mettons 20 ans. Les vieux métros boas, dans la station Helmut Lotti.
Manneken-Pis toujours stoïque, dans son invariable incontinence. Devant les écoles, les agents de sécurité fouillent les premiers élèves. On installe une tonnelle pour l'inauguration de Flagey. Au canal, la piscine à ciel ouvert et le jacuzzi public affichent complet depuis mars.
Mais sous le soleil, difficile d'imaginer les habitants. Quels sont leurs soucis ? Comment sont-ils logés ? Est-ce qu'ils ont fêté un diplôme, convaincu un employeur ? Les projections sont maussades. Dans son rapport 2006, l'Observatoire des loyers parle de logements de moins en moins accessibles ; l'Observatoire de la santé et du social, de précarisation.
Bruxelles comptait, en 2005, deux fois plus de ménages dépendant de revenus d'intégration sociale que 10 ans plus tôt.
Et dans 20 ans ? Le bien-être des habitants dépendra des politiques imaginées d'ici là, et de la manne financière disponible pour les appliquer, finances en débat... dès le lendemain des élections. Le défi pour les politiques bruxellois : trouver comment renflouer la tirelire régionale sans avoir l'air demandeur. Exiger une intervention plus grande des autres régions ou du fédéral pour les dépenses d'intérêt collectif, en préservant l'autonomie régionale. Estimer le prix acceptable d'une bouffée d'air dans le budget.
Région riche mais pauvre
Bruxelles est la Région la plus riche du pays. Après Londres et l'Île-de-France, son produit intérieur brut (PIB) par tête est même le plus élevé d'Europe. Mais, souligne le philosophe Philippe Van Parijs, si l'on se base sur les déclarations à l'impôt des personnes physiques, le revenu moyen des Bruxellois est nettement inférieur à celui des Flamands et est même près d'être dépassé par celui des Wallons.
Et pour cause : « Plus de la moitié des travailleurs salariés qui contribuent à la richesse produite à Bruxelles n'y habitent pas », rappelle le professeur à l'UCL. Bien sûr, les fonctionnaires européens et les expatriés échappent à l'impôt, mais leur présence est compensée par une catégorie d'habitants (illégaux, personnes aux revenus sous le seuil imposable), mise Philippe Van Parijs.
Dans le même temps et à la différence des deux autres Régions, le nombre d'emplois disponibles à Bruxelles excède celui des personnes en âge de travailler mais, autre paradoxe, c'est à Bruxelles que le taux de chômage est le plus élevé, aux alentours de 20 %. L'explication est simple : Bruxelles produit la richesse et abrite les emplois, mais c'est de l'extérieur qu'on vient les occuper.
REPÈRES
Où va Bruxelles ? C'est la question que se posent, durant toute cette semaine, TLB, VivaBxl et Le Soir. En ligne de mire, les législatives du 10 juin et le débat institutionnel qui ne manquera pas d'animer l'après élection.
Rendez-vous. Chaque jour dans les pages bruxelloises du Soir. Le matin sur VivaBxl (7 h 15) et le soir sur les ondes de TLB (18 h 15).
Un grand colloque. Ce vendredi 27. Les acteurs de la vie bruxelloise débattent au Parlement régional (rue du Lombard) de 14 à 16 h 30. Ouvert à tous, accès gratuit.
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Les « paradoxes bruxellois » sont développés par Philippe Van Parijs dans le nº 49 du bimestriel « Politique », consacré au « Retour des Bruxellois ».
Dix-neuf communes, un parlement et un gouvernement ; une commission communautaire française (Cocof), une flamande (Cocon) et une bicommunautaire (Cocom). Tout cela sans oublier l'Europe. Le paysage décisionnel bruxellois est aussi limpide, aux yeux du citoyen lambda, que les eaux de son canal. C'est tout dire.
« Je ne dirais pas que tout est beau et parfait, indique le député régional CDH Denis Grimberghs. Mais les institutions fonctionnent. » Quant à leur complexité... « Bruxelles est le noeud d'un État compliqué. En 1989, beaucoup pensaient que tout ça ne serait pas viable. Et pourtant. »
« A Bruxelles, nous avons trouvé une manière de fonctionner qui arrange tout le monde, avance Evelyne Huytebroeck (Ecolo), ministre de l'Energie et de l'Environnement. Cela tient parfois du miracle mais c'est aussi le prix à payer pour une des rares Régions bilingues. A la Cocom par exemple, tout doit être signé par les deux ministres (francophone et flamand). On y perd parfois en efficacité et en temps mais c'est sans doute le prix à payer, même si je n'ose imaginer ce qui pourrait se passer si deux ministres ne s'entendaient pas... »
Peut-on pour autant parler de rouages bien huilés, voire de maturité ? En ligne de mire, l'articulation entre Région et communes. Certains, comme le SP.A. Pascal Smet, ministre de la Mobilité, estiment que les entités locales sont aussi disparates que trop nombreuses, et souhaiteraient que les cartes soient rebattues.
Un avis partagé par Evelyne Huytebroeck. « Il y a trop de communes, lance-t-elle. Et elles sont inégales, entre un monstre Bruxelles-Ville qui s'étend de l'avenue Roosevelt à Neder-over-Heembeek et Koekelberg ou Saint-Josse par exemple. » Et la ministre de ne pas être opposée à un remembrement des communes. Sur le modèle des (six) zones de police, suggère-t-elle.
« C'est un peu le monstre du Loch Ness », indique de son côté le député MR et bourgmestre d'Etterbeek, Vincent De Wolf, en soulignant que la commune est l'entité la plus proche du citoyen. « La seule qu'il comprenne. Le bourgmestre est une sorte de facteur pédagogique. Il porte les demandes des citoyens et leur explique la marche à suivre. »
Ouvert au débat quant à un éventuel remodelage des frontières communales, le député MR met toutefois en garde : « Avec six communes de 150.000 habitants, on risque de se retrouver avec des bourgmestres plus puissants que des ministres. » Denis Grimberghs estime, lui, que ce débat n'est pas prioritaire mais, comme Vincent De Wolf, il craint le pouvoir démesuré inhérent aux grands territoires. « J'opterais plutôt pour plus de communes avec moins de pouvoir que le contraire. »
Nos interlocuteurs sont tous unanimes sur un point : c'est avant tout sur une redistribution des compétences qu'il faudrait plancher. Au rayon des insatisfactions patentes, on retrouve ainsi le stationnement avec ses règles disparates, en termes de tarifs par exemple. Certaines communes ont opté pour une gestion via le privé, d'autres s'en chargent elles-mêmes. L'automobiliste, lui, en avalerait son disque bleu de travers. Les solutions ? Une agence régionale comme le souhaite Pascal Smet ? « Je suis contre la création d'un nouveau fromage et tous les coûts supplémentaires qu'il entraînerait », répond Vincent De Wolf. Le bourgmestre d'Etterbeek prône plutôt un maintien de la gestion au niveau local tout en harmonisant les règles, la signalétique et les tarifs. « Ce pour quoi il existe un consensus entre les bourgmestres. » On se marche aussi sur les pieds au rayon propreté ou en ce qui concerne l'entretien et le réaménagement des voiries. « Et, déplore Evelyne Huytebroeck, il arrive que tous ces acteurs se renvoient la balle, au détriment du citoyen, qui n'y comprend plus rien. »
Ces quelques exemples n'ont rien d'exhaustif mais démontrent qu'à 18 ans, la Région bruxelloise fait son petit bonhomme de chemin, dans la douleur, parfois, le compromis, souvent, mais sans fractures irréparables. Jusqu'ici.
Bruxelles rêvée par "ses" Flamands
Quatre anciens membres flamands du gouvernement de la Région Bruxelles-Capitale ont soumis aux actuels ministres flamands de l'exécutif bruxellois un texte de onze pages qui viennent d'être lues et approuvées par trois constitutionnalistes. Cette note devrait constituer l'essentiel du cahier de revendications des Flamands de Bruxelles lors des négociations institutionnelles. Le projet, intitulé "Les Flamands dans le futur Bruxelles", rejette toute idée de séparatisme comme le scénario de Bruxelles-district européen. Il refuse de toucher aux frontières de la Région. En outre, la note souligne que, comme les francophones en Belgique, les Flamands forment une minorité à Bruxelles et doivent bénéficier de la même protection. Les auteurs (Vic Anciaux (Spirit), Annemie Neyts (Open Vld), Hugo Weckx (CD&V) et Lydia Deveen (sp.a)) exigent le bilinguisme dans les administrations locales et souhaitent que le néerlandais ou le français soit enseigné comme seconde langue dès la première année primaire. Le projet met aussi en garde contre une partition "irréfléchie" de l'arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde, plaidant pour que les électeurs bruxellois puissent choisir soit des listes de Bruxelles et du Brabant flamand, soit de Bruxelles et du Brabant wallon.
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