"Avec les socialistes, la Wallonie se meurt!"
Pour le président du MR, le PS n'est pas une fatalité. Il rêve d'en convaincre Joëlle Milquet... qu'il attaque tous azimuts. Ambiance.
Reynders : "Di Rupo se comporte avec les médias de la même manière que berlusconi en Italie".
ReutersNicolas Sarkozy l'emporte sur Ségolène Royal, à l'élection présidentielle française. Heureux ? Didier Reynders : Ce que je constate, c'est que certains en sont tétanisés. Il n'y a pas si longtemps, alors que « Ségo » était donnée gagnante, le PS laissait entendre que le MR aurait bien aimé modifier la date des élections, histoire d'éviter la « contagion » entre les résultats français et le scrutin belge. Aujourd'hui, on n'entend plus les socialistes sur le sujet. Mais un grand quotidien francophone se fait le relais de leurs inquiétudes : à défaut d'encore pouvoir faire campagne « pour » Ségolène, on fait désormais campagne « contre » Sarko. On le diabolise sous prétexte qu'il veut introduire une dose de proportionnelle dans le scrutin majoritaire. On lui prête, du coup, l'intention de s'allier avec l'extrême droite.
A ce compte-là, François Mitterrand était un extrémiste : il plaidait également pour la proportionnelle. Et que dire de la Belgique, où le scrutin est proportionnel : un pays d'extrême droite ? Cessons de divaguer. La seule question qui compte, à présent, c'est « pour ou contre Sarko ? » : c'est la preuve du vide qui existe à côté...En Belgique francophone, la seule question, c'est « pour ou contre le PS ? »... Et c'est une mauvaise question. A la Chambre des représentants, les socialistes et les libéraux occupent un nombre égal de sièges. Il ne faudrait donc pas grand-chose pour déplacer le centre de gravité politique en Belgique francophone. L'année prochaine, le PS fêtera ses vingt ans d'occupation du pouvoir, à tous les niveaux. On voit ce qu'il en a fait, de ce pouvoir ! Voyez l'état dans lequel se trouve le parc de logements sociaux, par ses soins. En Wallonie, les seules localités à faire preuve d'un certain dynamisme économique sont celles où le PS n'est pas au pouvoir. Partout où il est majoritaire, la Wallonie se meurt. Je vais vous dire ce que je pense : je ne suis pas du tout convaincu que les bourgmestres socialistes aient la moindre envie que les villes wallonnes se redressent.
Que se passe-t-il, aujourd'hui ? Les villes se vident des familles, des classes moyennes et des classes aisées, qui s'installent en périphérie. Et qui restera-t-il, si le mouvement se poursuit ? Les plus pauvres, les assistés. C'est-à-dire ceux qui auront besoin du PS pour trouver un logement social ou pour conserver leurs allocations. Sûr qu'ils voteront socialiste. La bonne question à se poser est donc celle-ci : veut-on des affidés, des clients, des obligés, ou veut-on encourager l'émergence de citoyens libres et responsables ?
Que faire, donc, pour changer le centre de gravité de la vie politique ?
Il suffirait que les autres partis cessent de coller au PS, terrorisés à l'idée de s'en faire mal voir. Chez Ecolo, les réflexes sont plus sains : on est prêt à discuter projets politiques avant de négocier des places. Au CDH, certaines personnes sont également ouvertes à la discussion. Mais, à la tête du parti, le blocage est total. Joëlle Miquet est littéralement scotchée à Elio Di Rupo. Le seul changement qui est intervenu dans ce parti, entre l'époque du PSC et aujourd'hui, c'est qu'on s'est débarrassé du « C » ! Du coup, on serait obligé de supporter un PS vissé au pouvoir, aussi nocif qu'indéboulonnable ? Non ! Je considère qu'il n'est ni injurieux ni iconoclaste de dire que les socialistes pourraient se retrouver dans l'opposition après le 10 juin. J'aimerais que les rapports de force jouent en notre faveur, pour que nous puissions vraiment faire prendre un nouveau virage à la Belgique. Il faut donc que le MR gagne les élections.
Bien sûr, le PS terrorisé d'avoir, face à lui, un partenaire puissant, pourrait faire alliance avec le CDH pour nous exclure du pouvoir fédéral, comme il l'a fait en Wallonie et à Bruxelles. Mais je ne vais quand même pas souhaiter que le MR devienne aussi petit que le CDH pour ne faire peur à personne et être sûr, ainsi, de participer aux affaires !
Au CDH, comme au PS, certains rêvent d'un gouvernement rassemblant les socialistes, les centristes et les écolos...
L'Olivier ? On voit ce que ça donne, sur le terrain. Il n'y a plus qu'une petite réserve naturelle, à Jette. Partout ailleurs, on l'a mis à la cave, pour l'hiver...
Le PS dans l'opposition, ça paraît tellement impensable...
C'est ce que les médias ou, plus précisément, le journal Le Soir et la RTBF tendent de nous faire croire. Ils font comme si nous vivions dans un régime de parti unique. Mais cela ne correspond pas à la réalité. Vous savez, quand je suis né, le parti catholique avait la majorité absolue. Aujourd'hui, du côté francophone, c'est devenu une petite formation, destinée à faire pencher la balance. Il pourrait très bien arriver la même chose au PS. Evidemment, « le » parti a les honneurs des médias. Un exemple : le mercredi 18 avril, la RTBF a programmé un Débats à la Une sur le thème « Que font les Wallons ? ». Et qui tenait la vedette ? Elio Di Rupo. En tant que tête de liste socialiste pour les élections législatives à la Chambre des représentants ? Non : en pleine campagne électorale, ça ne se fait pas ! Il était donc invité, en tout bien tout honneur, en tant que ministre-président du gouvernement wallon qui, comme tout le monde le sait, n'est pas en campagne électorale...
A quand une émission sur « Que font les Bruxellois ? » avec Charles Picqué en vedette, ou sur « Que veulent les promoteurs immobiliers à Bruxelles ? » avec Merry Hermanus ? C'est surréaliste ! Le Conseil supérieur de l'audiovisuel ( NDLR : l'instance chargée de la régulation du secteur audiovisuel, qui délimite notamment le temps de parole des différents candidats en période préélectorale) va-t-il s'en inquiéter ? Di Rupo se comporte avec les médias de la même manière que Berlusconi en Italie.
Pourquoi ne voit-on pas plus souvent des débats entre Di Rupo et vous ? Pourquoi pas d'interviews où vous croisez le fer, tous les deux ? Les télés et les journaux ne vous invitent donc jamais ensemble ?
Di Rupo refuse ! Essayez de provoquer un débat entre nous, dans les pages de votre magazine, vous verrez bien ! Cela fait huit ans que ça dure. Di Rupo ne veut débattre qu'avec lui-même. Ou alors, avec Yves Leterme, le ministre-président flamand. Ce sera le cas sur les plateaux de RTL et de VTM, à la fin de ce mois. C'est là, paraît-il, le débat que tout le monde attend. Quel défi inouï ! Quel acte de bravoure ! Un petit rappel à destination de ceux qui l'auraient oublié : les électeurs francophones ne peuvent pas voter pour Yves Leterme, même s'il est meilleur que Di Rupo, et les électeurs flamands ne peuvent pas voter pour Di Rupo ! Moi, je veux bien participer à un match de boxe contre Cassius Clay, si vous m'y invitez. Mais à condition que nous soyons, l'un et l'autre, sur des rings différents. Entre Di Rupo et Leterme, c'est ça qui va se passer.
De votre point de vue, donc, le gouvernement idéal serait composé des libéraux et des écolos ? Mais à deux, vous ne faites pas la majorité...
Avec le CDH, on l'obtient, cette majorité.
Vous seriez donc prêt à partager le pouvoir avec Joëlle Milquet, que vous détestez tant ? Et avec le CD&V d'Yves Leterme, que l'on dit si dangereux ?
Il ne faut jamais désespérer : Joëlle Milquet peut encore devenir raisonnable. Cela dit, j'ai quand même quelques doutes, quand je l'entends dire que Leterme est quelqu'un de fréquentable, qu'il ne faut pas croire tout ce qu'il dit avant les élections, qu'il changera sûrement de discours après le 10 juin. On voit qu'elle connaît bien la famille sociale-chrétienne et son aptitude au mensonge ! Cela dit, le plus important, pour l'avenir des francophones, c'est d'éviter qu'Yves Leterme soit Premier ministre. Comment faire, alors que son parti sera vraisemblablement incontournable ? En renforçant le MR. En Flandre, le CD&V battra sans doute le VLD. Et alors ? Ce n'est pas nécessairement pour ça que la famille sociale-chrétienne va l'emporter sur la famille libérale ! Si les francophones votent massivement en faveur du MR, ils auront soit Guy Verhofstadt comme Premier ministre - et il semble qu'ils l'aiment bien -, soit un libéral francophone (sourire) ...
Il n'empêche : selon toutes les probabilités, ce sont les sociaux-chrétiens, du Nord et du Sud, qui seront présentés comme les vainqueurs des élections. Difficile, dans ce cas, de ne pas choisir le formateur en leur sein...
Mais pas du tout ! Le roi pourrait très bien choisir un informateur dans leurs rangs. Et puis, quand les choses sérieuses commenceront, faire appel à un formateur libéral.
Et une tripartite traditionnelle, ça vous inspire quoi ?
Rien de bon. Les écologistes et l'extrême droite se retrouvent seuls dans l'opposition, ce qui n'est pas bon pour la démocratie. Ensuite, avec une si large majorité, on rend possible une grande aventure institutionnelle. N'oublions pas que tous les partis plaident, en Flandre, pour l'autonomie accrue de la Flandre. Je n'envisage une tripartite que si la crise s'éternisait, après les élections. Alors, oui, les trois grandes formations traditionnelles pourraient être obligées de gouverner ensemble. Dans ce cas, il existe deux possibilités. Soit c'est le grand barnum communautaire, et vous savez ce que j'en pense. Soit on forme une sorte de « gouvernement de secours », mais aux ambitions limitées. Dans ce cas, on pourrait envisager de rebattre toutes les cartes en 2009 : aux niveaux régional et fédéral.
Service minimum et sécurité renforcéeQuels sont les thèmes incontournables, pour le MR ?
A l'heure où je vous parle, je rentre d'une réunion trimestrielle de la Banque mondiale. J'ai quitté la Belgique pour Washington le vendredi 13 avril. Je ne suis pas superstitieux mais, après ce qui m'est arrivé, je pourrais le devenir. Normalement, je devais embarquer à Bruxelles-National, dans un vol direct pour Washington. J'apprends que le personnel chargé d'assurer la sécurité est en grève, et que la plupart des vols sont annulés. Je me rends à la gare du Midi et, oui, il y a encore des places pour le Thalys. Mais, depuis le 1er avril (et ce n'est pas une blague !), celui-ci ne s'arrête plus à Roissy-Charles-de-Gaulle. Il faut aller jusqu'à Paris-Nord. De là, j'ai donc pris un taxi pour l'aéroport. J'ai la chance de ne pas être un « simple » voyageur. En tant que ministre, je bénéficie de certaines facilités. J'ai donc pu embarquer quelques minutes avant le décollage. Je suis revenu trois jours plus tard, c'est-à-dire le lundi 16 avril. Heureusement, je n'ai pas dû prendre le train. Sinon, j'aurais été confronté à la grève surprise des accompagnateurs du rail ! La situation est ubuesque. Ne vous méprenez pas : je ne suis pas contre le droit de grève. Mais il est inadmissible de prendre les usagers en otage. Pourquoi le personnel peut-il se permettre des grèves surprises à la Biac ( NDLR : la société gestionnaire de l'aéroport de Zaventem), à la SNCB et dans les TEC ? Parce qu'ils ont, chacun, le monopole dans leur secteur : les clients ne peuvent pas s'adresser à une autre société, ils sont piégés.
Pourquoi ne pas avoir imposé le service minimum durant cette législature ou la précédente ?
Parce que les socialistes ont toujours bloqué et qu'il ne s'est pas dégagé de majorité alternative pour faire passer notre proposition de loi. Pourtant, à l'occasion de l'une ou l'autre grève sauvage, j'ai entendu André Antoine ( NDLR : ministre wallon du Transport) hurler au scandale. Mais, quand il s'agit de voter une loi dans ce sens, les centristes ne sont pas là. J'ai pourtant bien entendu, par la voix de sa nouvelle recrue, que le CDH s'occupait de l'« humain ». Que je sache, les principaux usagers des transports en commun ne sont pas des chiens et des chats ! Ce sont, généralement, des « humains », et pas nécessairement les plus favorisés.
Les grèves surprises dans les transports en commun sont généralement décidées parce que le personnel est victime de violences...
Il faut s'occuper activement de ce problème. Et discuter de la sanction. Le premier geste de délinquance doit être sanctionné. Absolument. Sinon, le sentiment d'impunité s'installe très rapidement. Et il faut reparler de centres de réinsertion pour les jeunes délinquants déscolarisés. Ce projet, concocté par Pierre Hazette ( NDLR : ex-ministre libéral de l'Enseignement secondaire de la Communauté française) sous la précédente législature, n'a jamais été mis en £uvre par son successeur socialiste. On a hurlé à la ségrégation, à l' « école des caïds ». Belle hypocrisie ! Que se passe-t-il, actuellement ? Les jeunes commencent leur scolarité dans l'enseignement général. S'ils y échouent, ils passent en technique. Si ça ne va toujours pas, en professionnel. Et puis, dans la rue. Ou en prison. Aujourd'hui, beaucoup d'écoles professionnelles sont, en réalité, des écoles de caïds. Et les mêmes esprits bien-pensants qui refusent l'idée d'institutions spécifiques pour aider ces jeunes en déroute, plaident pour la valorisation des métiers manuels ! Je plaide aussi pour un meilleur suivi des jeunes délinquants : on se demande parfois où échoue leur dossier et par qui ils sont lus. Il faut que les directions d'école soient informées du passé judiciaire de leurs élèves. Mais la criminalité n'est pas l'apanage de la jeunesse. Il faut d'urgence établir un registre central dans lequel serait scrupuleusement consignée l'identité de tous les auteurs de délits graves, notamment à caractère sexuel. Et les bourgmestres des localités dans lesquelles résident ces personnes doivent en avoir connaissance : ne sont-ils pas responsables de la sécurité ? Qu'on ne vienne pas me dire que c'est scandaleux. Quand des faits horribles se passent, tout le monde court derrière l'émotion populaire. Mais, en dehors de ces moments-là, il n'y a jamais moyen de parler sereinement de sanctions et de sécurité.
Sécurité, sanctions, limitation du droit de grève : Reynders-Sarkozy, même combat ?
Je n'ai pas varié d'un iota, sur ces sujets, depuis plus de vingt ans. Je ne cours pas derrière Sarkozy, mais je suis fidèle à la ligne de Jean Gol ( NDLR : l'ancien président du PRL et vice-Premier ministre libéral décédé en 1995).
Vous plaidez pour la poursuite de la réduction des charges sur le travail. Comment allez-vous la financer ?
Mais il n'y a pas besoin de la compenser ! Ces diminutions de charges vont permettre aux entreprises d'engager plus de travailleurs, ceux-ci vont consommer davantage, et les recettes de TVA et d'accises vont augmenter. C'est un cercle vertueux. Cela dit, si on me prouve qu'il faut absolument trouver des compensations, je ne suis pas contre. J'ai d'ailleurs instauré un système de « cliquet » sur les produits pétroliers : quand leur prix baisse, la moitié de la réduction va à l'Etat, l'autre moitié profite aux consommateurs. On m'a reproché de « voler » les gens. J'ai également concocté une taxe sur les couverts en plastique : le CDH m'a envoyé une volée de bois vert sous prétexte que j'imposais une « taxe pique-nique » et que j'allais pénaliser les familles. Au cas où cela aurait échappé aux « humains », je leur rappelle qu'il existe des couverts métalliques, et même des couverts en bois. Et qu'il existe du produit de vaisselle pour les laver après usage. On parle aujourd'hui d'une taxe CO2 : mais où va-t-on aller la chercher, si on ne peut taxer ni l'essence, ni le diesel, ni le mazout, ni l'aluminium, ni les couverts en plastique ? Assez rigolé. L'urgence, de toute façon, c'est de donner du souffle à l'activité économique et de créer de la richesse. C'est par ce biais, surtout, qu'on fera rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat.
Entretien : Isabelle Philippon
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