12 juin 2008

La Flandre nie la Région bruxelloise

Les positions sur l'avenir institutionnel du pays commencent à se clarifier. En réponse au projet de fédération Wallonie/Bruxelles, Kris Peeters, le ministre-président flamand ne veut pas d'une Belgique à trois. Il l'a avoué mardi soir, lors d'un débat organisé par « Le Soir » et « De Morgen ». L'intégralité du débat / L'édito de Véronique Lamquin

Flou, l'avenir institutionnel du pays ? Vu du 16, rue de la Loi, l'image est brouillée. Vu de Namur, la perspective s'est éclaircie, avec la fédération Wallonie-Bruxelles basée sur le fait régional. Vu de Flandre, l'horizon s'est soudain éclairci : mardi soir, en plein débat sur Bruxelles, devant 600 personnes conviées par le Soir et le Morgen au Théâtre National, Kris Peeters a joué les diseurs de vérité flamande. Déterminé, le ministre-président flamand CD&V a surpris. Mais a au moins eu un mérite, celui de la clarté.
1Que dit la Flandre ? Kris Peeters était venu, a-t-il avoué, « dire qu'il allait continuer à investir à Bruxelles ». Sous-entendu de l'argent flamand pour une présence flamande. Car de l'argent qui financerait les besoins d'une capitale en termes de mobilité, d'infrastructures, de sécurité, « ce ne serait pas une réponse aux problèmes ». Mais surtout, le Premier flamand a une vision claire du pays, à court terme : une Belgique avec deux entités fédérées. Et Bruxelles ? Kris Peeters lui donne « un statut à part ». « Ce qui revient, au mieux, à un condominium cogéré par les deux autres entités ; au pire à une annexion par la Flandre », décode Rudy Demotte, ministre-président wallon et communautaire (PS).
2Peeters, porte-voix de la Flandre ou franc-tireur isolé ? En janvier, son prédécesseur place des Martyrs, un certain Yves Leterme, lâchait : « Bruxelles est une région qu'il faut respecter, qui a sa particularité, mais qui doit pouvoir discuter d'égal à égal avec les autres Régions. » Et de se dire, dans la foulée, « prêt à faire financer par d'autres des politiques bruxelloises pour l'instant à charge de la capitale ». Le CD&V dont les Dehaene et Vandenbrande (rejoints en cela par un Tobback) cachaient mal leur mépris pour la capitale, avait-il viré de bord ? Premier doute, fin avril, quand Wouter Beke lâche au Soir que non, « la Région bruxelloise n'est pas une région à part entière ». Hier soir, Kris Peeters a dissipé le doute.
Mais au fond, que veulent les Flamands pour cette ville qu'ils ont choisie comme capitale ? La question, sur fond de négociations institutionnelles, sème le trouble dans tous les états-majors. Au CD&V, on précise que la présidente Thyssen préfère ne pas s'exprimer et on renvoie, pour la position officielle du parti, aux propos de Kris Peeters…
Au SP.A et au VLD, on considère que Bruxelles est une affaire… de « Bruxellois » : on y renvoie à des mandataires de la capitale pour exprimer la position officielle du parti. Peur de dévoiler des cartes à l'aube de la grande joute institutionnelle ? Bart Somers et Caroline Gennez filent le sujet respectivement à Sven Gatz et Pascal Smet. Qui, eux, voient un fédéralisme belge à trois pattes. Avec quelques bémols quand même. « Bruxelles a un statut spécifique. Plutôt que de cogestion, je préfère parler de contractualisation avec la Flandre et la Wallonie », explique Pascal Smet qui n'a guère apprécié les propos de Louis Tobback, déchaîné, mardi soir, lors du débat, assénant sans relâche ses attaques sur la « suffisance des Bruxellois » qui pleurent pour un refinancement. « Il s'est exprimé en son nom personnel », précise Smet. Mais d'ajouter que ces propos reflètent sans doute bien ce que beaucoup de Flamands « et sans doute de Wallons » pensent de Bruxelles.
Du côté du VLD, on perçoit aussi Bruxelles comme une « Région à part ». Et on se réfère à la piste lancée par Verhoststadt sur « la communauté urbaine » impliquant le Brabant flamand et wallon. Et son financement ? « Certains Flamands restent toujours dans une logique de refus de transferts financiers en faveur de Bruxelles, regrette Sven Gatz. Pourtant la Région doit, dit-il, pouvoir bénéficier « d'un financement équitable compte tenu des charges de capitale ». Mais à une condition : une centralisation accrue de certaines compétences communales. Comme la police, les CPAS, la mobilité. Même approche au SP.A. « On est pour un refinancement mais on peut économiser par une meilleure organisation, conclut Pascal Smet. Il n'est pas question pour la Flandre de lâcher Bruxelles malgré certains propos caricaturaux. »
3Pourquoi ce grand cri flamand ? En disant qu'il ne veut pas d'une Belgique à trois, Kris Peeters ne dit pas encore quel projet il a pour Bruxlles. Tout au plus laisse-t-il sous-entendre des envies de cogestion de la capitale (sur le thème « C'est notre ville, nous avons le droit de participer à sa gestion »). « J'espère me tromper, décode Charles Picqué. Mais l'une des possibilités, c'est que la Flandre soit dans une stratégie à deux phases : d'abord on démantèle le fédéral. Puis on constate que Bruxelles ne s'en sort plus et n'a d'autre choix que de demander sa mise sous tutelle. » « La grande différence entre le projet de la Flandre et celui que j'ai avec Picqué, souligne Rudy Demotte, c'est que l'un nie la Région bruxelloise et que l'autre l'intègre pleinement. Du reste, la Flandre balance entre deux logiques : territoriale ou communautaire. Alors que nous sommes clairement dans une stratégie territoriale. » Et si, au fond, la Flandre ne savait que faire de cette capitale qu'elle a pourtant choisie ?

Un débat organisé par Le Soir et De Morgen
Trois ténors pour un débat explosif sur Bruxelles

UNE SALLE pleine à craquer, pour débattre de l'avenir de la capitale. Le public a lui aussi donné de la voix. Un débat tendu organisé mardi soir au théâtre National à Bruxelles par "Le Soir" et "De Morgen".Picqué, Demotte, Tobback et les spectateurs: les vidéos du débat.

Les Flamands la trouvent mal gérée, les francophones la disent sous-financée. Mais au fond, quel avenir pour Bruxelles ? Pour y répondre, dans la salle du Théâtre National, 600 personnes (réunies, hier soir, à l'invitation du Soir et du Morgen) et, sur scène, des ténors des 2 communautés (Demotte, Peeters) ; le gouvernement bruxellois est bien représenté (Picqué, Demotte, Vanhengel).
Sur les planches, la tension est palpable. Louis Tobback chauffe la salle, égrène ses slogans acerbes. Kris Peeters martèle la position du CD&V : pas question de lâcher Bruxelles, mais pas question non plus de lui conférer un statut digne de ce nom. Les francophones écoutent, sidérés. Tendu, le débat aura donc eu ce mérite de faire tomber les masques flamands. La salle, elle, réagit. Applaudit, murmure, s'inquiète. Qu'en retenir ? C'est ce que nous avons demandé à trois participants. Avant. Et après.

« On oublie toujours Bruxelles »

Avant : « J’espère qu’on parlera du futur de notre superbe ville. Le problème, en Belgique, c’est que l’on retrouve des extrémistes dans les deux camps et qu’on oublie toujours Bruxelles. C’est frustrant pour les Bruxellois.
Ce qui m’énerve, c’est que Wallons et Flamands prennent avec eux leurs tartines et ne participent pas vraiment à la vie de la capitale. Je m’interroge aussi sur le futur institutionnel de Bruxelles. Et sur l’avenir de la ville en termes d’urbanisme. Quelqu’un a-t-il une vision architecturale de la ville ? »
Après : « On a entendu des pistes déjà évoquées mille fois. La seule chose nouvelle dont j’ai entendu parler c’est l’euro-métropole comme elle existe à Lille. Je suis un peu déçu que l’on n’ait pas abordé la problématique de l’architecture mais je m’en doutais un peu.
J’ai à nouveau eu l’impression d’entendre des navetteurs qui ne connaissent pas beaucoup Bruxelles et ne l’apprécient guère. Même chose pour Kris Peeters (ministre-président flamand) qui ne semble pas avoir compris les frustrations des Bruxellois. Contrairement à ceux qui connaissent vraiment Bruxelles comme Vanhengel et Picqué. »

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