La fin de la Belgique, une fiction ?
Cessons de démoniser Leterme.
Créons un vrai projet francophone!
Jean-Yves Huwart
L’opinion publique francophone est aujourd’hui convaincue de sa nature démoniaque. Il est devenu très difficile aujourd’hui de tenter un discours différent. Gare à celui, en Wallonie, qui ose prendre la défense de Leterme. Par Jean-Yves Huwart (son blog), auteur de l'ouvrage "Le second déclin de la Wallonie" aux éditions Racines.
A force de donner à Yves Leterme les cornes du diable, l’opinion publique francophone est aujourd’hui convaincue de sa nature démoniaque. Il est devenu très difficile aujourd’hui de tenter un discours différent. Gare à celui, en Wallonie, qui ose prendre la défense de Leterme. Attention, “il faut se méfier”, “cet homme est dangereux”, “sinon, le confédéralisme guette”, etc…
En fait, voila près de quarante ans déjà que la Belgique fonctionne comme une confédération. Depuis la séparation des partis politiques en deux ailes communautaires autonomes ! Pourquoi certains s’aveuglent-ils encore à nier cette situation?
Les Belges francophones gardent, c’est vrai, un attachement sentimental à la Belgique plus fort qu’en Flandre. En grattant un peu les discours, néanmoins, la vraie crainte qui émerge des positions fancophones vient de la perte éventuelle de ressources financières. La Wallonie et Bruxelles ne peuvent à ce jour se permettre de perdre un quart de leurs recettes dans l’arrêt des transferts nord-sud. Ce serait rendre le contexte économique intenable. Ce serait tuer les chances des deux Régions de redresser rapidement leurs économies. Cela, les Flamands le savent. Ils n’y ont pas intérêt.
Un certain nombre d’éditorialistes et de responsables politiques flamands ne se privent pas de flageller le sud du pays. Ils estiment que ce dernier ralenti le train du développement flamand. Mais, faut-il encore le rappeller, la majorité des Flamands ne sont pas séparatistes.
Il reste que, par leurs erreurs, leur manque d’entrain à tirer l’économie de l’ornière, à réduire le chômage en Wallonie et à Bruxelles, les dirigeants politiques francophones ont permis au discours autonomiste de prospérer davantage ces dernières années en Flandre, même dans les rangs les plus modérés. Il est trop tard pour revenir en arrière. Le mal est fait. Tant que l’opinion publique francophone n’intégrera pas cette réalité, elle ne comprendra pas pourquoi la Flandre tient à ce point à obtenir davantage de leviers pour se gérer toute seule. Simplement, elle ne fait plus confiance à la Wallonie.
S’il est trop tard pour revenir en arrière, il est cependant encore bien temps de définir un nouveau projet de vie commune pour les Francophones et les Néerlandophones au sein de la Belgique fédérale. Il est encore temps de démontrer que les Wallons et les Bruxellois peuvent à nouveau compter parmi les meilleurs en Europe.
Ce travail doit commencer par la définition d’un projet ambitieux et décomplexé pour la Wallonie et pour Bruxelles, qui soit un peu plus que la simple préservation d’une pension alimentaire. Il nécessite aussi aujourd’hui de tailler un autre costard à Yves Leterme, qui malgré ses nombreuses maladresses et lourdeurs, ne mérite pas celui dont on l’affuble au sud du pays. Pour reprendre les mots de Dorothée Klein, rédactrice en chef du Vif-L’Express, “diaboliser Leterme ne sert pas les intérêts des Francophones. Cette diabolisation pèse sur des négociations délicates qui demandent plus de sérénité”.
A mes collègues journalistes francophones
Boudewijn VANPETEGHEM - 31/07/2007
Ne traduisez pas la grande maladresse d'Yves Leterme comme étant du mépris pour les francophones. Ne vous excitez pas mutuellement et essayez de séparer l'essentiel du superflu.
Chef de la rédaction finale du magazine "Trends" - Groupe Roularta (comme l'hebdomadaire "Le Vif-L'Express).
Blogger avec "Wablief" sur www.trends.be/nl
Chers collègues,
Votre relation tendue avec Yves Leterme défraie de plus en plus la chronique. Le formateur s'y prend, en effet, très gauchement, mais, en toute amitié, je trouve que certains d'entre vous s'excitent mutuellement, au risque de perdre de vue l'essentiel.
La manchette du journal "De Standaard" titrait ce week-end : "Leterme se heurte à un mur francophone" . Le quotidien citait certains de vos commentaires. Tout compte fait, je n'y trouvais rien qui puisse faire référence à un mur. Mis à part peut-être l'hebdomadaire "Le Vif", qui, en couverture, s'en prend vertement à Leterme : "Et si Leterme échouait". "Les gaffes de Monsieur Sans-Gêne". "Négociations secrètes : il a trahi Dehaene". "Son seul projet : la Flandre d'abord".
"De Standaard" aurait mieux du faire son boulot. Son journaliste aurait dû ouvrir "Le Vif" et lire le commentaire de la rédactrice en chef, Dorothée Klein. Il n'y a que quelques mois qu'elle est entrée en fonction et elle ose heureusement encore formuler une opinion qui est à l'opposé du point de vue dominant. Cela devient de plus en plus difficile dans notre profession. Il n'y a plus rien à faire quand le "la" est donné. Un collègue me dit un jour : "La perception est la vérité." Je me suis fait la réflexion : qu'est-ce que cet homme fait dans le monde du journalisme qui doit regarder au-delà de la perception et informer correctement les gens ?
L'éditorial de Dorothée Klein a pour titre : "Un ton plus bas, SVP" . Attention, elle ne s'adresse pas à Leterme. Elle écrit : "Les francophones ont tort de diaboliser Leterme. Cela ne sert pas leur cause. (...) Cette diabolisation de Leterme pèse sur des négociations délicates qui réclament davantage de sérénité. Il est dangereux de spéculer trop hardiment sur l'échec du formateur."
Cela se trouve, en effet, en forte contradiction avec sa couverture, mais démontre qu'il n'est jamais inutile d'aller voir derrière la façade, de regarder plus loin que son nez. "De Standaard" laisse croire que "Le Vif" est farouchement opposé à Leterme, mais le commentaire de sa rédactrice en chef donne un tout autre regard sur la question. Les deux rédactions font le même choix sur leur couverture : celui du commerce au détriment d'un journalisme consciencieux.
Je crois que Leterme réagit aussi maladroitement parce qu'il manque de confiance en lui-même. C'est étrange car ce quadragénaire s'est petit à petit construit une carrière politique à succès et il tient le cap qu'il s'est choisi. Jusqu'à présent, il a effectué un presque sans faute et il se trouve à deux doigts de devenir Premier ministre.
Tout peut encore capoter bien sûr et cela joue indéniablement dans son attitude incertaine et parfois grossière. Mais ce n'est qu'un élément d'explication, comme le démontre ce qui s'est passé lors de son voyage en Chine lorsqu'il était ministre-président flamand. Notre collègue du "Standaard" avait eu vent de rumeurs comme quoi Leterme n'arrivait pas à se lever à temps et autres idioties de ce genre. Il en faisait état dans ses colonnes, mais tout s'avérait faux. Résultat : un Leterme furibard, qui, de retour à Bruxelles, somme le journaliste en question et son rédacteur en chef de venir place des Martyrs, au siège du gouvernement flamand.
Je me suis laissé dire que la conversation fut des plus déplaisantes. Le lendemain, dans son journal, le rédacteur en chef présentait ses excuses au chef du gouvernement flamand et à ses lecteurs pour avoir publié de fausses informations. Je suis sûr que Leterme aurait eu gain de cause en le demandant poliment et sans menacer, car la rédaction en chef du "Standaard" ne rigole pas quand il s'agit de l'exactitude de l'information.
Tout cela pour vous dire que les réactions maladroites de Leterme, quand il est malmené dans la presse, ne datent pas d'hier. Mais nous ne devons pas faire comme si ce comportement d'un "top" de la politique nous étonne. Le Premier ministre sortant, Guy Verhofstadt, s'y connaît quand il s'agit de s'en prendre aux journalistes. Son prédécesseur, Jean-Luc Dehaene, agissait de même mais plus subtilement. Cependant, je ne les ai jamais entendu, comme Leterme, dire en public : "Ceux qui s'en prennent à moi le payeront tôt ou tard." Le formateur se trouve là en ligne avec Louis Michel, qui a dit un jour à un collègue journaliste : "Ça mon cher, tu vas me le payer."
Leterme aurait dû réagir avec une plaisanterie ou un trait d'esprit au lieu de s'en aller fâché après cette superbe blague belge où il chantait la Marseillaise à la place de la Brabançonne. Répondre : "Je vous connais, vous prenez probablement vos rêves pour de la réalité" , à un collègue de la RTBF qui demande s'il ne craint pas d'échouer, est tout simplement idiot. Leterme doit passer outre l'affaire de la Marseillaise et peut-être que la RTBF devrait lui présenter ses excuses. Savez-vous que notre collègue de la télévision, Christophe Deborsu, qui est l'auteur du reportage sur l'histoire de la Marseillaise, pense que Leterme était tout simplement distrait quand il a entonné l'hymne français. La RTBF a été malhonnête intellectuellement quand elle a mis cette distraction en rapport avec l'image négative de Leterme au sud du pays. Comme si le formateur mépriserait les francophones. Son père et une part de sa famille en sont, pardi !
Je crois que vous faites fausse route en traduisant une grande maladresse comme étant du mépris pour les francophones. Je suis d'accord que le cynisme et l'ironie que Leterme emploie et son ton qui peut être très cassant, ne facilitent pas le déchiffrage du personnage. Leterme devrait d'ailleurs mieux mâcher ses mots vu les grandes responsabilités qui sont les siennes. Dire que les francophones ne sont pas aptes à apprendre le néerlandais est de très mauvais goût.
Mais je veux quand même placer ces mots dans leur contexte. Ils ont été dits pour se profiler en tant que ministre-président flamand. Trop facile comme explication, me dites-vous. Je vous invite à (re) lire le deuxième "Burgermanifest" que Guy Verhofstadt écrivit quand il était chef de l'opposition. Les résolutions du Parlement flamand, qui vous exaspèrent, sont de la petite bière en comparaison avec les prises de position du Premier ministre sortant dans son manifeste. Comparer cependant ce texte avec l'action de son auteur en tant que Premier ministre.
La jeune génération de politiciens flamands qui est à la barre, a grandi politiquement dans un état fédéral. Son impatience et sa détermination à faire de nouveaux pas dans la réforme de l'Etat sont grands. Il est à voir qui met la Belgique en danger : le Flamand qui réclame une nouvelle réforme de l'Etat ou le francophone qui n'en veut pas.
N'oublions surtout pas que toutes les fois qu'il tonne le tonnerre ne tombe pas. Ne vous excitez donc pas trop. Gardez la tête froide. Ne mélangez pas l'essentiel et le superflu. Et de grâce, mettons l'accent sur le contenu des pourparlers à Val Duchesse. Nos lecteurs, auditeurs et téléspectateurs en profiteront.
Formation du gouvernement poussive, blocage institutionnel en vue... Et si la Flandre était tentée de prendre son envol ? De quoi serait fait l'avenir de la Wallonie ? Il est temps de se concerter.
Auteur de "L'incurable mal belge, sous le scalpel de François Perin"
Le 17 mai 2006, "Le Monde" publiait ma carte blanche intitulée "La Belgique à l'agonie". J'y formulais notamment le constat suivant : "La Flandre fourbit d'ores et déjà ses armes pour l'ultime combat qu'elle entend mener en 2007, à l'occasion des prochaines élections législatives. Si ses aspirations ne sont pas entendues - notamment la scission de l'emploi et de la sécurité sociale -, elle est disposée à bloquer la formation de tout gouvernement fédéral, voire à larguer les amarres. (...) Du côté des Wallons et des Bruxellois francophones(...), une unanimité semble se dégager pour refuser toute nouvelle avancée institutionnelle qui transformerait l'Etat en une coquille vide. On voit mal, dans ces conditions, comment le clash final pourrait être évité. (...) Une chose est sûre en tout cas. Si la Flandre veut mettre fin à l'Etat belge, on ne voit pas ce qui pourrait l'en empêcher. Elle peut, en effet, fort bien proclamer unilatéralement son indépendance à partir de son propre Parlement, lequel tire sa légitimité du scrutin démocratique."
Hypothèse irréaliste ? Elle servit en tout cas de base au fameux documentaire-fiction de la RTBF qui provoqua, le 13 décembre dernier, l'électrochoc que l'on sait.
Le dernier scrutin législatif a provoqué une double rupture. Outre le fiasco subi par les socialistes, on assiste, au Nord du pays, à une radicalisation très nette du discours nationaliste. On a pu voir, le soir des élections, les drapeaux jaune et noir s'agiter copieusement, tandis qu'Yves Leterme (près de 800 000 voix de préférence) se félicitait du triomphe remporté par le cartel CD&V/N-VA. L'intéressé n'a d'ailleurs pas omis de rappeler avec force ses priorités : "Meer veiligheid, meer zekerheid, meer rechtvaardigheid en een moderne staatshervorming" ("Plus de sûreté, plus de sécurité, plus de justice et une réforme de l'Etat moderne"). Est-il besoin d'ajouter que le CD&V envisage cette réforme de l'Etat sur le modèle confédéral et que son allié en cartel, la N-VA, est franchement séparatiste ? Par ailleurs, en ne désavouant pas le Vlaams Belang et en permettant à la Lijst Dedecker de créer la surprise en décrochant 5 sièges à la Chambre, l'électeur flamand a donné un signal clair, que le Roi, dans son dernier discours, semble n'avoir pas bien perçu.
Comme les francophones se présentent en "non demandeurs" sur le plan de la réforme de l'Etat, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que l'on s'oriente vers de très longues et ardues négociations. En fait, l'on peut d'ores et déjà parler d'un dialogue de sourds, qui a toutes les chances de se solder par un échec.
Yves Leterme aurait pu rattraper sa bévue "marseillaise" du 21 juillet en présentant une note qui aurait affiché, en tant que formateur, son intention de se situer au-dessus de la mêlée politique. Non content de ne présenter ses excuses qu'en néerlandais, il propose un document qui s'apparente à un catalogue programmatique CD&V/N-VA : le communautaire y est omniprésent. En fait, Yves Leterme n'a cure de la Belgique, à laquelle il ne reconnaît "aucune valeur en soi". Son ambition réelle est de prendre la tête d'un Etat flamand souverain, après avoir apporté la démonstration que toute négociation est devenue impossible avec les francophones.
Poussé dans le dos par la radicale N-VA, le CD&V ne peut se permettre de reculer sur ses exigences institutionnelles, qui ont été soulignées à nouveau, ce 11 juillet, à l'occasion de la Fête flamande : scission de l'arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde et application des fameuses cinq résolutions votées par le Parlement flamand en 1999. De plus, pas question, au Nord, de toucher à un centimètre carré du territoire flamand. Lorsque l'on connaît la position du FDF concernant ce dernier point et l'"extrême vigilance institutionnelle" de la présidente du CDH, Joëlle Milquet - qui avait fait du refus de toute nouvelle réforme de l'Etat son thème de campagne ! -, on mesure l'énorme difficulté à laquelle est confronté le formateur Leterme. D'autant que la formule de l'Orange bleue - présentée comme la seule possible - ne permet pas de recueillir la majorité des deux tiers, indispensable pour concrétiser cette Belgique à deux "deelstaten" qui constitue en fait la philosophie de base du CD&V.
Le 28 avril 1981, François Perin écrivait dans "La Meuse" : "Cela fait des années que je pressens ce qui va arriver : les Wallons et les Bruxellois vont se retrouver assez bêtement belges tout seuls. Après d'éventuelles élections qui n'auront qu'exacerbé le malaise (...), le malheureux chef de l'Etat se mettra à courir après un gouvernement introuvable : la Belgique peut disparaître par implosion."
Le fédéralisme s'est avéré être un échec complet. Au lieu d'engendrer la cohabitation sereine et harmonieuse des Communautés, il s'est traduit par l'agressivité, la suspicion et la chamaille constantes. En fait, il aura surtout permis à la Flandre de s'ériger en nation. Et si le moment était venu pour elle de prendre son envol ?
En prévision de ce scénario, il me paraît essentiel que l'ensemble des forces vives de la Wallonie - toutes idéologies et classes sociales confondues - se réunissent en "états-généraux" de manière à se concerter sur le devenir de la Région. A l'instar de ce qui s'est passé lors du Congrès national wallon d'octobre 1945, les quatre choix suivants pourraient être proposés : "En cas de disparition du Royaume de Belgique, souhaitez-vous : 1°un Etat wallon indépendant, 2°un Etat wallo-bruxellois, 3°la réunion à la France, 4°la réunion à une autre composante européenne que la France ?" Sur ce plan, je rejoins entièrement le général de Gaulle, qui, à la fin des années 60, avait déclaré au professeur Robert Liénard de l'Université de Louvain : "J'ai pourtant la conviction que seul un pays comme la France peut assurer l'avenir à vos trois à quatre millions de Wallons."
Bruxelles, pour reprendre les termes d'Yves Leterme, constitue dans tout cela "une bombe à retardement". On peut espérer que le sort de la Région-Capitale pourra être réglé de manière pacifique. Mais après avoir assisté récemment à la manifestation des étudiants flamands catholiques à Rhode-Saint-Genèse, encadrés par les radicaux du TAK et du Voorpost, on réalise que le recours à certaines formes de violence pourrait fort bien intervenir.
En attendant, les observateurs étrangers ne sont pas dupes. Sous le titre "Une Belgique en voie de disparition...", Jean Quatremer écrit, dans "Libération" du 12 juin : "Aucun parti francophone n'est prêt à accepter davantage de fédéralisme, ce qui va rendre extrêmement complexe la formation d'un gouvernement. Pour réformer la Constitution, Leterme doit réunir au moins deux tiers des députés tant du côté francophone que néerlandophone. Une mission qui semble aujourd'hui impossible. La Belgique est-elle encore gouvernable ?"
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