28 juillet 2008

Un seul point les sépare : la manière de désenclaver Bruxelles

Bruxelles peut/doit-elle s’asseoir à la table des négociations institutionnelles, au même titre que la Flandre et la Wallonie ?
Charles Picqué. Oui. D’abord parce que cela fait partie du contrat fédéral belge. Ensuite parce que ce n’est pas mauvais pour la négociation, vu que Bruxelles est un élément d’apaisement ou fédérateur. Enfin, l’importance de Bruxelles sur le plan économique et international justifie pleinement sa place aux côtés des autres.
Ce n’est pas du nombrilisme, c’est le bon sens. Et la simple reconnaissance d’une situation de fait : la Région bruxelloise existe.
Guy Vanhengel. Bruxelles, c’est la Belgique en miniature. Il faut nous reconnaître, voire s’inspirer du fonctionnement de Bruxelles. Depuis que la Région existe et malgré toutes les tensions communautaires, nous parvenons à maintenir un équilibre. Pourtant, il n’y aurait rien de plus facile que de faire monter la pression communautaire à Bruxelles. Eh bien, avec notre gouvernement, nous sommes parvenus à démontrer qu’il y a moyen de gérer Bruxelles correctement.
Ch. P. Il faut se projeter dans l’avenir. Quelle que soit la configuration institutionnelle de la Belgique de demain ou de ce qu’il en restera, il faudra coopérer. Or, on ne coopérera pas bien s’il n’y a pas un respect mutuel. Ecarter Bruxelles, c’est créer un manque de confiance et mettre en péril la coopération. Par ailleurs, le statut international de Bruxelles ne s’accommodera pas d’une crise dont Bruxelles serait le centre sur fond de nationalisme et d’intolérance belgo-belges.
G. V. C’est aussi une méconnaissance des Bruxellois en tant que tels. Ecarter Bruxelles, c’est mener une négociation de Communauté à Communauté, de Flamands à francophones. C’est progresser vers la sous-nationalité. Et ça, c’est tout le contraire de ce qu’est devenu le Bruxellois.
Une grande partie des ménages bruxellois sont mixtes, avec des composantes du nord et du sud ou de pays lointains. Vouloir imposer un choix aux Bruxellois, celui d’être uniquement flamand ou francophone, c’est contraire à la réalité.
C’est la méconnaissance de l’identité multiple. C’est pousser vers l’identité unique.
Peut-on revendiquer cette identité multiple et être à la fois francophone ou néerlandophone ?
Ch. P. Au début des années 90, quand j’expliquais ma conception de Bruxelles, je parlais de double loyauté : à l’égard de notre Région et de la Communauté dont nous faisons partie. Ce n’est pas contradictoire. On peut vivre avec cette double loyauté.
Une loyauté prime sur l’autre ?
Ch. P. Non.
G. V. Non, non. La bonne gestion politique, c’est de chercher les synergies et non la concurrence entre loyautés. C’est un exercice auquel nous devons nous appliquer chaque jour à Bruxelles.
La réforme de l’Etat va renforcer l’autonomie des entités fédérées, Région ou Communauté. Comment va-t-on procéder à Bruxelles ? Par exemple en matière de soins de santé ?
Ch. P. On ne peut pas créer deux régimes de santé, un francophone et un flamand. Je ne peux pas concevoir que Bruxelles devienne le symbole d’une discrimination entre individus.
Imaginez-vous que nous gérions demain une ville dont certains citoyens auraient plus d’avantages que d’autres ? Bruxelles doit rester le symbole de la solidarité entre personnes. La sous-nationalité renvoie à une conception des rapports sociaux qui est contraire à ce que Bruxelles incarne.
La Flandre accuse les Bruxellois de mal gérer leur ville.
G. V. Je vous défie de trouver, ces dernières années, une déclaration du VLD qui ose dire que Bruxelles est mal gérée. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas moyen de faire mieux. Je pense à la relation entre les communes et la Région. Nous avons calqué le modèle bruxellois sur le modèle de Flandre ou de Wallonie.
Or, nous avons un territoire spécifique, totalement urbanisé, où le transport en commun, l’aménagement du territoire doivent se faire avec une très grande cohérence. Progressivement, en devenant adulte, la Région et les communes doivent pouvoir négocier entre elles une meilleure répartition des tâches. On progresse déjà au niveau de la fiscalité ou du stationnement. Je supporte de moins en moins qu’on nous fasse la leçon de l’extérieur. La mauvaise gestion de Bruxelles, on l’a connue quand elle était gérée par le fédéral. C’est depuis qu’on a pris les choses en main nous-mêmes, qu’on a fait progresser spectaculairement cette ville en 20 ans.
Ch. P. Le procès en mauvaise gestion de Bruxelles n’est étayé par aucun argument, par aucun chiffre. Nous nous trouvions devant trois défis majeurs à la création de la Région, nous les avons relevés. D’abord, l’internationalisation : en 20 ans, Bruxelles a confirmé son statut international. Ensuite, Bruxelles a confirmé son rôle de place économique. Enfin, nous devions lutter contre la dégradation de certains quartiers. C’est en bonne voie, même si le travail n’est pas fini. Le procès fait à Bruxelles est très injuste d’autant que nous avons relevé un quatrième défi : faire fonctionner les institutions bruxelloises malgré leur immense complexité. Bruxelles dérange parce que Bruxelles est la démonstration qu’avec pragmatisme et raison, on peut encore construire des choses ensemble.
Bruxelles peut-elle coopérer avec la Flandre comme elle entend le faire avec la Wallonie ?
Ch. P. La coopération indispensable passe par le respect. En 20 ans, alors qu’on voyait le souhait d’une plus grande coopération entre la Wallonie et Bruxelles, on est resté pour le moins dans l’ambiguïté avec la Flandre. C’est ça qui a amené un rapprochement, sur le plan politique, exclusivement avec la Wallonie.
Certains, en Flandre, considèrent que mettre les trois Régions à table, c’est se retrouver à deux (francophones) contre un. C’est oublier qu’on a inventé un système politique pour que Bruxelles soit bilingue, qu’on a donné du pouvoir aux Flamands, qu’on a un gouvernement paritaire. Dire que c’est deux contre un, ça signifie qu’il y a un présupposé…
G. V… que nous sommes inexistants ! D’ailleurs, la tendance séparatiste nous reproche d’être de mauvais Flamands.
Vous avez l’air d’accord sur tout. Ch. P. Bruxelles a deux problèmes sérieux. Un, le financement. Là, on est d’accord. Deux, la nécessité d’une stratégie transfrontalière avec l’hinterland. Là, on est d’accord sur le principe.
Mais pas sur les modalités…
G.V. Là, ça diverge.
Ch. P. Les réponses peuvent diverger. Je ne vais pas demander à Guy Vanhengel de réclamer l’élargissement jusqu’à Londerzeel. Il y a matière à discuter. Certains parlent élargissement, d’autres parlent communauté urbaine. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut trouver une formule.
G.V. Il faut progresser sur ce qui est raisonnablement acceptable des deux côtés. Du côté néerlandophone, une extension du territoire est inimaginable. Comme, côté francophone, une simple scission de BHV. Il ne faut pas se focaliser là-dessus mais aller à la recherche des éléments qui peuvent nous rassembler.
Ch. P. C’est le seul point où, à partir d’un même constat, nous avons des réponses différentes. Quand on arrive à la conclusion qu’il n’y a qu’un sujet majeur sur lequel on peut avoir des réponses différentes et nuancées, ce n’est pas énorme…
Si Picqué et Vanhengel représentent Bruxelles dans la négociation, que va dire Bruxelles ?
Ch. P. Il faudra qu’on ait un déjeuner ensemble.

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