19 juillet 2008

Série noire dans l'industrie nucléaire

Trois incidents en dix jours dans ou aux abordsde centrales : du jamais vu. Les autorités dédramatisent et appellent à la modération, mais les associationsne décolèrent pas. La "diplomatie nucléaire"de l'Elysée embarrassée ?
S écurité et transparence". Lors d'une conférence de presse organisée en catastrophe vendredi, Jean-Louis Borloo a promis de "remettre à plat les dispositifs d'information, d'analyse et de sécurité" dans l'industrie nucléaire, qui a été le théâtre de trois incidents ces dix derniers jours. Le ministre de l'Ecologie n'en a pas moins ostensiblement affecté le plus grand calme, et a appelé l'opinion, les médias et les associations à la modération. "Ne mélangeons pas transparence et diffusion d'inquiétudes", a-t-il exhorté. "Ne surdimensionnons pas, ne surréagissons pas".
Le dernier incident en date a été signalé vendredi à Roman-sur-Isère (Drôme). La rupture d'une canalisation souterraine dans une fabrique de combustible nucléaire a causé "un épanchement d'uranium d'une quantité comprise entre 120 et 750 grammes". Précédemment déjà, des effluents contenant 74 kilos d'uranium s'étaient accidentellement échappés d'une cuve d'une usine de traitement de déchets nucléaires du site du Tricastin (Vaucluse). Sur le même site, quelques jours plus tard, quatre points de concentration en uranium anormalement élevés ont été repérés dans une nappe phréatique. Cette pollution-là proviendrait de déchets nucléaires militaires enfouis il y a quarante ans.
La série noire, en fait, avait commencé au mois de mai, lorsque le chantier de construction du réacteur EPR à Flamanville (Manche) avait dû être interrompu à cause d'"anomalies" dans le coulage du béton du réacteur nucléaire.
Un manque de "rigueur"
En termes de gravité, ces incidents, a rappelé Jean-Louis Borloo vendredi, ne sont que de niveau 1, soit le plus faible échelon d'une échelle qui en compte sept. Il se produit chaque année une centaine d'incidents de ce type.
Toutefois, leur multiplication en un laps de temps aussi réduit est une première. Le ministre de l'Ecologie y voit un manque de "rigueur" de la filière, en tout cas en ce qui concerne le traitement des effluents ou de l'eau des centrales nucléaires.
Le gouvernement envisage d'accroître et de renforcer les contrôles effectués par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le "gendarme du nucléaire". En attendant, il a ordonné une inspection de toutes les nappes phréatiques situées à proximité de centrales.
Certaines explications données par les autorités n'ont rien de rassurant. Ainsi, la canalisation qui a rompu dans la Drôme était "défectueuse depuis longtemps". De même, la cuve en cause au Tricastin aurait en fait été fissurée "depuis quinze mois". Et en 2007 déjà, des mesures inhabituellement hautes avaient été effectuées dans les déchets nucléaires enfouis non loin de la centrale. Autant d'éléments qui en disent long sur la fiabilité et le suivi des contrôles dans ce secteur.
La situation, en tout cas, est apparue suffisamment grave à l'ASN pour qu'elle ordonne la suspension de l'activité de l'usine du Tricastin, estimant "pas complètement satisfaisante" sa "mise en sécurité destinée à empêcher toute nouvelle pollution".
L'ASN a aussi déploré "des irrégularités" dans l'exploitation de l'usine et "des lacunes" en matière de transparence et d'information. Le directeur de la société a été limogé. Et des mesures de précaution ont été prises a posteriori (interdiction de consommation d'eau, des baignades, etc.), mesures qui, selon les associations, dépassent le cadre de simples incidents de niveau 1.
Des associations qui, évidemment, ne décolèrent pas. "Derrière ces incidents à répétition, se dessine la faillite de toute une filière dangereuse, coûteuse, polluante et mal maîtrisée", ex-ministre de l'Environnement Corinne Lepage juge que cette série noire met en lumière "un sous-investissement dans la sécurité, la protection de la santé humaine et de l'environnement". "Le politique a perdu le contrôle de la filière nucléaire", estime carrément l'association France Nature Environnement
"La culture du secret"
Les associations réclament davantage de contrôles, et que ceux-ci soient effectués par des organismes totalement indépendants. Les médias, critiques, dénoncent "la culture du secret", "démontrant que tout n'est pas aussi parfait qu'on le dit au royaume de l'excellence nucléaire". Ces incidents, écrivait un éditorialiste vendredi, ont même "de quoi refroidir l'ardeur nucléaire de l'exportateur Nicolas Sarkozy", qui, à chacun de ses déplacements à l'étranger, en profite pour vendre des centrales nucléaires françaises.
Ce n'est pas le seul dégât collatéral de cette série noire qui pourrait gêner le gouvernement. Le débat sur l'obsolescence du parc nucléaire est relancé : au lieu de construire un deuxième réacteur de la nouvelle génération EPR, ne faudrait-il pas remplacer les vieilles centrales ? Greenpeace, en tout cas, met la pression : pour l'ONG, le programme EPR doit être "stoppé en attendant qu'un vrai bilan de la filière nucléaire soit effectué".
Ces incidents à répétition pourraient aussi gêner les autorités dans leur ambition de privatiser bientôt le groupe nucléaire Areva, vu la crainte de certains milieux que la sécurité soit sacrifiée sous l'autel de la rentabilité. Sans parler de la décision que devait prendre le gouvernement cet été de désigner la commune française qui accueillera bientôt 170 000 m3 de déchets nucléaires. Ce n'était déjà pas une décision facile à prendre. Elle l'est encore moins désormais.

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