30 août 2008

« L’excellence pour tous, chacun à 90% de son talent »

Les priorités du ministre de l’Enseignement : la lutte contre l’échec scolaire et la formation des enseignants.

Voilà six mois que le ministre de l’Enseignement obligatoire Christian Dupont (PS) a succédé à Marie Arena. Six mois pendant lesquels il a passé beaucoup de temps sur le terrain, à rencontrer les partenaires de l’école pour tenter d’en identifier les manques et les faiblesses. Pour nourrir les réformes qu’il compte enclencher d’ici la fin de la législature. Et, espère-t-il, voir aboutir ensuite… Car cet ancien prof ne cache pas qu’il ne lui déplairait pas de rempiler après les élections de juin 200.


La Fédération des associations de parents veut une grande réforme pour éradiquer l’échec scolaire. Partagez-vous son vœu ?

Je partage l’avis de la Fapeo sur le trop grand nombre d’échecs en Communauté française. Je ne suis pas pour une nouvelle grande réforme mais pour une profonde réflexion qui implique tous les acteurs et fasse remonter des solutions d’en bas. J’ai vu un peu tout le monde, les associations de parents, les syndicats, l’inspection, les associations patronales… Conclusion : ce ne sont pas les efforts individuels des enseignants qui posent problème, mais la transmission et les passages de niveau. C’est comme le relais 4 x 100 m belge : ce qui fait sa force, c’est la technique de passage du témoin. Individuellement, on n’est pas les plus forts, ensemble on a eu une médaille d’argent. Dans l’enseignement, on est parmi les plus forts, mais on laisse tomber le témoin et donc, collectivement, on est nuls. C’est inacceptable.


Vous évoquez le passage du témoin entre enseignants, entre niveaux, entre réseaux ?

Tout cela en même temps. Par exemple dans l’apprentissage de la lecture, la première rupture est entre le maternel et le primaire, puis entre le primaire et le secondaire, mais même le passage d’une année à l’autre manque de continuité. C’est vrai aussi en sciences, en maths. On veut faire la fusée Ariane, chacun fait les composants dans son coin puis on s’étonne qu’elle ne décolle pas.


Comment changer cela ?

Il faut le dire et le redire, et puis il faut agir. Nous venons de tenir à Gembloux la première rencontre entre enseignants du supérieur et du secondaire et des inspecteurs du secondaire et du primaire sur le thème de la lecture. Des gens qui ne se parlent habituellement pas. On a mis le doigt sur les failles dans l’apprentissage de la lecture et tout s’est dit sans complaisance. Voilà l’essentiel. Plutôt que d’imposer une grande réforme d’en haut, il faut faire prendre conscience aux gens du terrain qu’ils font le même métier et ont des besoins communs. La démarche est entamée.


Un enfant sur deux redouble au cours de sa scolarité, c’est même un taux record, cher et contreproductif. Stop ou encore ?

Le redoublement n’a aucune valeur remédiatrice, mais moi je ne veux pas faire le coup de l’école de la réussite, ce qu’il faut, c’est éviter les redoublements. Il faut entrer dans une autre culture, celle de la vraie réussite. Pour cela il faut bien soigner les passages qui sont autant de ruptures potentielles, veiller à ce que ça se passe mieux, qu’on se parle entre niveaux. Mais il faut aussi installer une culture de la remédiation précoce auprès des enseignants. La première remédiation doit venir d’eux. Il faut les doter des techniques qui leur permettent, quand ils rencontrent une difficulté, de ne pas réexpliquer la même chose de la même manière mais de tenter autre chose ou de passer l’élève en difficulté à un autre collègue dans un autre groupe classe. C’est une culture à installer, ce sont des stratégies à enseigner, à apprendre en formation continuée. On l’a trop peu fait jusqu’ici.


Les profs sont-ils mal formés ?

Il y a un déficit de formation initiale et de formation continuée. Trois ans de formation initiale, c’est trop peu, il faudra un jour passer à cinq ans. Ce n’est pas ma compétence, mais j’en suis convaincu. On a fait une première approche dans l’accord sectoriel en valorisant les enseignants qui font un master après leur formation de trois ans, même s’ils restent dans la même fonction. C’est un pas, il faut aller plus loin.


Le domaine des sciences, dites-vous, est un bon exemple…

C’est aussi un des domaines où il n’y a pas de continuum pédagogique. Les programmes et les socles de compétence sont très lourds, et donc les enseignants en font beaucoup trop peu. Il faut donner le goût des sciences le plus tôt possible aux jeunes. Il y a de remarquables exemples, comme l’asbl Hypothèse à Liège qui fait de la didactique de l’enseignement des sciences dans le primaire. Nous allons initier avec eux un programme de formation pour quinze enseignants de base motivés. On va les former à devenir formateurs en sciences, pour que leur formation percole dans l’ensemble de nos écoles et qu’on puisse construire quelque chose sur lequel le secondaire pourra venir s’appuyer au lieu de devoir tout reprendre à zéro. C’est le modèle que l’on devrait développer en matière de formation continue.


La formation continue des enseignants, aujourd’hui, c’est un peu tout et n’importe quoi, non ?

En la matière, on a deux décrets, pour le primaire et le secondaire, pas toujours ajustés l’un à l’autre. Ils ont poussé à une certaine marchandisation de la formation continuée parce qu’ils obligent à lancer des marchés publics et excluent, en tant que formateurs, les enseignants eux-mêmes, qui sont pourtant les meilleurs experts… Je vais revoir ce décret. Il faudra faire le tri. Peut-être cela en fera-t-il hurler certains qui ont pris l’habitude d’obtenir les marchés. Je ne suis pas la pour distribuer des marchés mais pour faire de la formation continue cohérente. Il faut répondre aux besoins des enseignants en temps utile. On ne fera pas de la qualité ni de l’excellence sans donner aux enseignants la possibilité de réfléchir, de souffler, de se voir proposer un certain nombre d’alternatives pédagogiques.


L’un des décrets qu’il vous reste à faire adopter, très attendu, est celui sur l’encadrement différencié, censé permettre le recrutement de 1.200 enseignants pour aider les élèves en difficulté…

D’abord, je veux dire qu’on a tenu toutes nos promesses et qu’on tiendra celle-là aussi. On le fera.


Le texte est prêt ?

Non, parce que je veux prendre le temps de rencontrer les directeurs et enseignants des écoles en discrimination positive. C’est prévu dès la rentrée.


Faut-il réellement recruter des enseignants supplémentaires ?

Oui, parce qu’il y a un véritable scandale de la dualisation de notre enseignement. C’est bien là où le bât blesse dans les études internationales : l’écart entre les plus forts, qui ont un excellent niveau, et les plus faibles. Moi, je veux l’excellence pour tous, c’est-à-dire chacun à 90 % de ses talents. Je ne peux me résoudre à ce scandale, ce gaspillage humain qui hypothèque l’avenir de la Communauté Wallonie-Bruxelles. C’est une de mes deux grandes priorités et je le ferai. Non seulement en mettant un encadrement supplémentaire dans les classes, mais en veillant à tout ce qui se passe avant l’école, c’est-à-dire l’apprentissage de la langue d’enseignement notamment, la préparation à la lecture… et tout ce qui se fait après l’école avec des études surveillées et avec le monde associatif. Ce sera un décret très large, qui abordera toutes les facettes du problème.


Beaucoup de critiques visent la sélection précoce, qui oriente très tôt les élèves vers des filières éventuellement moins valorisées. Qu’en pensez-vous ?

Je suis d’accord. D’où l’importance du certificat d’études de base, obligatoire dès cette année, qui a donné de bons résultats en phase d’essai. Je verrai les concepteurs du CEB prochainement pour faire le point avec eux et leur donner un message qui est : je souhaite que vous éleviez encore le niveau ! On a beaucoup dit que c’était fort difficile, mais il ne faut pas transiger sur la nécessité d’aller vers la compréhension du sens en lecture et on doit être plus exigeant en mathématique. Mais il faut le faire de manière claire en disant aux enseignants où sont les lacunes, donc où il faut travailler et leur donner des pistes. Je les invite aussi à tenir compte, bien plus qu’ils ne le font, dans tous les réseaux, des résultats des évaluations externes et des pistes qui leurs sont données, c’est comme ça que le niveau s’améliorera. Les évaluations externes, c’est une des chances de notre enseignement parce que cela dit où on en est.


Cela n’est pas toujours perçu comme ça…

Non, c’est pour cela qu’il faut soigner la communication là-dessus sinon on va tuer l’outil parce qu’on décourage les enseignants.


On assiste à une marchandisation de l’échec scolaire, avec l’explosion des cours particuliers payants, parfois donnés par des enseignants à leurs élèves, ou par des entreprises qui réclament l’instauration d’un « chèque-devoirs »… Une dérive ?

C’est inacceptable. Et c’est aussi anti-pédagogique. La situation idéale est celle de l’enseignant qui détecte les difficultés et est doté des techniques pour y remédier ou a la possibilité de transférer son élève dans un groupe classe plus restreint où l’on s’occupe de remédiation. Ce que l’on fait après l’école, c’est du bachotage. On doit former les profs à la remédiation précoce. Le premier qui remédie doit être l’enseignant, en classe. Nous allons par ailleurs mettre en ligne dès septembre, à la disposition des élèves, des professeurs et des parents, des outils de remédiation sur l’apprentissage du français, la compréhension à l’audition en néerlandais, la géométrie, mais aussi des outils de l’enseignement à distance.


Il y a eu récemment des tensions entre réseaux, certains ont tenté de les opposer, voire de ranimer la guerre scolaire… Vous espérez toujours les rapprocher ?

Ce qui m’inspire c’est le passage du témoin. Il ne sert à rien de faire des efforts tout seul et de se dire « après moi, on verra bien ». L’enseignant doit inscrire son travail dans la profondeur, et la profondeur, c’est la diversité chez nous, parce que les enfants vont d’un réseau à l’autre au cours de leur scolarité, qu’on le veuille ou non. Le minimum que l’on puisse demander aux réseaux, c’est qu’ils s’ajustent les uns aux autres, sinon ils ne font pas leur travail éducatif. C’est sur le collectif que le bât blesse. Je veux avoir un discours clair vis-à-vis des réseaux. Je veux vraiment faire en sorte qu’ils travaillent en commun. J’enlève toute aspérité de mon discours là-dessus et je suis prêt à tout entendre. Mais je voudrais quand même bien qu’on ne soit pas observé du coin de l’œil sur la moindre virgule d’une circulaire, comme si on était là pour faire des fautes et si on était nécessairement idiots… Et le prurit électoral de certains m’agace. Attaquer l’école pour des raisons politiques, dans la situation institutionnelle dans laquelle on se trouve, me paraît être un très mauvais projet politique à long terme. Et moi je suis là pour travailler sur le long terme, même si mon terme sera peut-être court.

« Il y aura des tests d’évaluation en langues »
Le leit-motiv est partout : renforcer les apprentissages de base. Et les langues ? Le français, que certains voudraient voir enseigner comme une langue étrangère dans les écoles à forte population allochtone ?

Je suis partisan de cette piste. Il faut enseigner le français comme une langue étrangère pour un certain nombre de jeunes parce que les techniques d’apprentissage d’une langue étrangère sont mieux adaptées à ce public. Cela figurera dans le décret enseignement différencié. Pour ce qui est des langues étrangères, un des gros problèmes est qu’il n’y a aucun continuum entre le primaire et le secondaire. On recommence à zéro en 1ère secondaire. Ce n’est pas acceptable, c’est du gaspillage, c’est n’importe quoi. Il y aura en 2009 une évaluation externe des cours de langues. Pour nous y préparer, il y aura dès ce mois d’octobre dans les écoles un test en néerlandais, anglais et allemand. Un modèle disant « voilà ce que vos élèves doivent pouvoir faire à la fin de l’année ». Et il y aura à côté du CEB qui devient obligatoire, une épreuve facultative mais préparatrice en langue étrangère. Notre pari est que cela aidera à faire évoluer la pédagogie en amont.


Etes-vous aussi en faveur du renforcement du sport à l’école ?

Oui, et je n’ai pas attendu Pékin pour y penser. J’avais rencontré Monsieur Borlée et entendu ses propositions à la dictée du Balfroid, j’ai été ministre des Sports, c’est une passion. Ma préoccupation première en tant que ministre de l’Enseignement est la condition physique des jeunes, insuffisante. Il faut revoir un peu les programmes des cours de gym, passer à 3 heures d’éducation physique au lieu de 2 dans le primaire. Il faut aussi ranimer un outil commun de mesure de la condition physique des jeunes qui a existé mais disparu. Ça, c’est le minimum. Et sur le sport, au moins ceci : on peut revoir un peu les programmes dans le primaire pour mieux apprendre la culture du geste sportif ; et mener des expériences pilotes pour des écoles qui feraient plus. On leur donnerait un bonus si elles s’engagent à donner 3 heures d’éducation physique, à s’occuper de la santé, de l’hygiène, à avoir contacts avec des clubs sportifs… L’idée serait de les faire labelliser et de récompenser les projets avec des prix comme le fait de participer à Londres 2012. Je suis par ailleurs sensible à la difficulté pour les sportifs de haut niveau de mener en parallèle leurs études et leurs entraînements quotidiens. Une possibilité pourrait être de proposer une option forte de 4 heures en gym. Mais j’ai aussi la préoccupation de garder ces peut-être futurs athlètes de haut niveau dans notre

système éducatif, parce qu’ils ne seront pas sportifs toute leur vie et que la reconversion est parfois difficile – on vient d’en avoir encore un exemple. Il faut pouvoir marier sports et études, mais pas au détriment d’une formation de base. Il y a malheureusement beaucoup de candidats et peu d’élus.


Un mot sur le rôle des parents : la Fapeo réclame un décret pour régler les relations parents-écoles. D’accord ou pas ?

Oui, on va faire un décret pour permettre aux associations de parents d’exercer leur rôle et d’avoir plus de moyens. Je pense très fort que l’éducation doit s’appuyer sur le triangle magique enseignants-parents-enfants. Ça ne se passe pas toujours de la manière la plus simple entre eux. Autant ce n’est pas simple, autant ça me paraît essentiel. S’il n’y a pas de relais à la maison de ce qui se fait à l’école, ou s’il y a incompréhension, cela ne peut pas marcher. C’est pour cela que dans le décret sur l’encadrement différencié, on prévoira sans doute de donner des cours de langue de l’enseignement aux parents qui en ont besoin, pour qu’ils comprennent les bulletins et des choses comme ça.

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