"Compenser" les déplacements des ministres ? L'idée n'est pas neuve. Celle de lier la Coopération à ces mécanismes suscite d'importantes réserves.
La sortie du ministre de la Coopération au développement, Charles Michel (MR), dans "La Libre" ce mardi n'a pas manqué de susciter certains commentaires. Pour rappel, celui-ci y exposait deux idées. Tout d'abord, celle de proposer au Conseil des ministres de vendredi un mécanisme visant à compenser systématiquement les émissions de CO2 générées par les déplacements officiels à l'étranger des ministres, des membres de leurs cabinets ou des administrations. Ensuite, celle que certains projets soutenus par la Coopération au développement belge puissent en quelque sorte être assimilés aux "mécanismes de développement propre" (MDP) prévus par le Protocole de Kyoto. Et de suggérer que l'on pourrait en outre permettre également à des entreprises privées de compenser leurs déplacements aériens via ces projets "durables" issus de la Coopération.
Sur le premier point, même si l'impact d'une telle mesure demeure très limité, aucun problème. L'idée avait d'ailleurs déjà été émise sous la précédente législature par Bruno Tobback. Sans succès. Là où les dents commencent à grincer, c'est sur le second volet de la proposition du ministre Michel. "C'est choquant", commente ainsi un expert du dossier "climatique". "Les MDP sont définis par un cadre légal très strict. L'une des conditions essentielles est notamment qu'il y ait une "additionnalité". En clair, pour que ces projets soient reconnus, il faut qu'il y ait un effort supplémentaire qui soit accompli et que cela ne soit pas un détournement de l'aide au développement classique. Or cette proposition va à l'encontre de cette philosophie. Elle démontre une méconnaissance totale du principe des mécanismes de flexibilité. A l'Onu, ils vont rire."
Une lecture que semble partager le ministre du Climat, Paul Magnette (PS), même si le ton est ici beaucoup plus diplomate. Si le sujet a été abordé mardi lors d'une réunion intercabinets, il entend également en discuter avec Charles Michel qui était à New-York ce mardi.
"Canada Dry"
L'idée de "compenser" les déplacements des ministres, rappelle tout d'abord M.Magnette, a été réactivée par son cabinet et inscrite à l'agenda du Conseil des ministres il y a une dizaine de jours. "Je suis ravi de voir que Charles Michel se rallie à celle-ci, et c'est tant mieux si on peut la faire passer en bonne intelligence. Plus il y a de ministres qui la soutiendront, plus il sera facile d'obtenir un accord". "Celle-ci, souligne-t-il, s'inscrit dans une série d'actions qu'il a proposées et sur lesquelles le gouvernement se doit de montrer l'exemple".
"Par contre, enchaîne-t-il, il faut que les compensations passent par les mécanismes codifiés et reconnus, sans quoi on risque de les déconstruire et de les fragiliser". "Il faut que ces compensations soient effectives. Dire que ce que l'on fait déjà en Coopération, on va continuer à le faire mais en considérant que c'est de la compensation, cela se réduit à un habillage comptable. C'est un peu de la compensation 'canada dry'. Je sais que le développement durable est un sujet à la mode, mais je ne veux pas que l'on fasse des effets d'annonce avec des politiques qui sont importantes à mes yeux."
Accepter des actions qui nous coûtent
Pour le climatologue Edouard Bard, les pays industrialisés doivent lancer une dynamique vertueuse. Une responsabilité collective.
entretien
Professeur au Collège de France et climatologue de réputation internationale, Edouard Bard était de passage à Bruxelles ce mercredi pour y donner une conférence à l'invitation de l'ULB.
L'année 2007 semble avoir marqué un tournant dans la prise de conscience de la réalité du réchauffement. Avez-vous le sentiment que les pouvoirs publics ont pris la pleine mesure des changements qu'ils doivent induire ?
Oui et non. Je pense qu'il n'y a pas à l'heure actuelle un décideur d'un grand pays qui n'ait pas conscience du fait qu'il y a effectivement un problème et qu'il faut s'en occuper. Mais il y a des résistances très fortes, parce que l'on doit à présent faire bouger nos sociétés au niveau des industries, et aussi de nos activités quotidiennes. Et pas avec des mesures cosmétiques. Dès que l'on touche à des gigatonnes de carbone, cela concerne tous nos comportements, nos modes de vie et surtout l'économie de façon très profonde. A cela s'ajoutent des problèmes diplomatiques liés à des pays émergents qui consomment de plus en plus. Il est très difficile de les convaincre d'être vertueux. Pour cela, il faut que nos pays industrialisés se mettent à accepter des mesures qui nous coûtent dans tous les sens du terme. Mais encore une fois, si l'on intègre tous les coûts liés à la pollution résultant de toutes nos activités, on se rend compte que finalement, ce n'est que justice. On ne doit pas fermer les yeux et laisser assumer aux générations futures un problème qui pourrait être monumental.
Mais même les objectifs chiffrés que veut se fixer l'Europe pour montrer l'exemple restent en dessous ce que préconise le Giec...
Oui, mais il faut aussi se montrer pragmatique et ménager nos économies. Réduire nos émissions de 20 pc d'ici 2020 est déjà un effort conséquent. Si l'UE arrive à démontrer qu'elle atteint cet objectif, cela enclenchera encore une fois un système vertueux et cela pourrait permettre de convaincre des pays qui, en termes d'émissions globales, sont la clef. C'est le premier pas qui est très difficile à faire. Et même si c'est encore insuffisant au niveau des flux globaux de carbone, je ne vois pas d'autres solutions que de faire des pas complémentaires les uns des autres pour arriver à des changements véritablement importants dont on ne verra les résultats que dans la seconde moitié de ce siècle. Il faut que tous les politiques soient conscients que c'est un problème qui doit faire l'objet d'un plan pluriannuel qui ne soit pas remis en cause à chaque échéance électorale.
Pourra-t-on toujours éviter le débat sur une réduction de la consommation tout court, ce qui revient à toucher au dogme de la croissance économique ?
Il faut avant tout arriver à "décarboner" rapidement nos économies. Après, il est effectif qu'il faudra opérer des réductions massives de consommation, mais cela remet en cause nos modes de vie. Il est clair que ce message n'est pas populaire et qu'il est électoralement dévastateur, mais si l'on veut aller vers les réductions de 20 pc en 2020 et davantage au-delà, on sera bien obligé de l'envisager. On n'y coupera pas.
Quand on voit les résultats d'études récentes sur la fonte des glaces notamment, le Giec ne se montre-t-il pas encore trop prudent ?
Paradoxalement, on l'accuse souvent d'être catastrophiste. Or je pense que ce n'est effectivement pas le cas. Sur de nombreux points, il est plutôt prudent et n'a pas inclus des tendances qui sont encore incertaines. Au niveau de la hausse du niveau de la mer, par exemple, il est très clair que la contribution en particulier de la fonte de la calotte du Groenland qui semble apparemment s'accélérer, n'a volontairement pas été prise en compte dans le bilan final du Giec.
Parmi les facteurs d'emballement redoutés, quels sont ceux qui sont le plus inquiétants ?
L'inquiétude la plus concrète est à mon avis une amplification liée à la biosphère. Celle-ci absorbe et rejette naturellement du dioxyde de carbone. A l'heure actuelle, il y a un consensus dans la communauté scientifique pour dire que l'un dans l'autre, la biosphère va recracher du gaz carbonique supplémentaire à cause du réchauffement, ce qui contribuera à empirer le mal. C'est tout à fait acquis, mais l'amplitude du phénomène fait encore débat. L'autre vient du fait que l'océan va de moins en moins pomper de CO2 parce qu'il devient de plus en plus acide et que certains changements de la circulation océanique font que le transfert de gaz carbonique de la surface vers la profondeur va se faire de moins en moins bien. En ce qui concerne les hydrates de méthane, ils sont encore sujets à certaines controverses.
Des solutions que l'on présentait il y a encore quelques années comme "ultimes" sont aujourd'hui de plus en plus souvent évoquées. C'est le cas du stockage géologique du CO2 ou de certains projets de géoingénierie. Sont-elles crédibles ?
Il faut d'abord avoir en tête que l'homme fait déjà en quelque sorte de la géoingénierie globale en émettant du dioxyde de carbone par le biais de ses activités industrielles. Il faut aussi savoir que le réchauffement pourrait être pire. Les effets du CO2 émis sont en effet partiellement compensés par des aérosols sulfatés qui sont liés eux aussi à des processus de combustion. Et ceux-ci ont à l'inverse des effets de refroidissement. Quant à faire effectivement de la géoingénierie de manière volontaire et pensée, c'est autre chose. Le stockage de gaz carbonique, même il y a des obstacles, c'est quelque chose qui est recommandé. On ne peut en effet pas arrêter du jour au lendemain toutes les centrales qui fonctionnent au charbon et au pétrole, et il est donc tout à fait fondamental que la prochaine génération de ces centrales se fasse avec un stockage du carbone à la source. Cela ne suffit bien évidemment pas mais, encore une fois, il faut vraiment agir sur tous les leviers.
Enfin, d'autres types de géoingénierie sont envisagés à l'échelle mondiale. L'une consiste à copier le mécanisme des éruptions volcaniques en injectant du soufre qui va se transformer en sulfate dans la stratosphère, ce qui contribue à un refroidissement généralisé à l'échelle mondiale. L'autre consiste à fertiliser les océans avec du fer pour doper l'absorption de CO 2 par le phytoplancton. Tout montre qu'il vaut mieux éviter d'arriver à ces solutions, mais par contre il est important d'en parler pour démontrer que ce n'est pas la panacée et faire croire que c'est une roue de secours qui va nous permettre d'échapper aux efforts de réduction. Il faut donc étudier ces alternatives pour montrer que les effets pervers sont conséquents et pratiquement impossibles à gérer.
Dans la première hypothèse, on observe que l'on peut déboucher sur un phénomène de réchauffement hivernal à l'échelle de certaines régions, en particulier en Europe. Dans la seconde, les observations montrent que si l'on va trop loin dans la fertilisation de l'océan, des zones de masse d'eau anoxiques, c'est-à-dire sans oxygène, peuvent apparaître. Avec d'autres conséquences, notamment celle d'entraîner d'autres réactions chimiques qui vont aboutir à la formation de protoxyde d'azote, un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le dioxyde de carbone.
Tous les sceptiques n'ont pas encore rendu les armes. Pourtant la plupart de leurs arguments sont pris en compte dans les travaux du Giec. Y a-t-il véritablement une volonté de désinformation ?
La planète sceptique est très variée. Il y a effectivement une classe de gens bien connus qui ont un agenda dicté par des lobbies industriels puissants. Notamment les pétroliers aux Etats-Unis qui ont recruté toute une frange de scientifiques à la marge pour perturber les débats en masquant certaines choses ou en les caricaturant. On peut aussi observer que des mouvements créationnistes américains font partie des lobbies des sceptiques. On a l'impression que cela relève véritablement d'une crise contre la science d'une certaine frange de la population. D'autres aussi, sont sceptiques par ignorance, cela arrive souvent.